Contribution à la critique de l’économie politique/C

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Traduction par Laura Lafargue.
Texte établi par Alfred Bonnet, V. Giard et E. Brière (p. 245-304).

C. Théorie sur les moyens de circulation et sur la monnaie.

Tandis qu’au xvie et au xviiie siècle, dans l’enfance de la société bourgeoise moderne, la passion universelle de l’or lançait les peuples et les princes dans des croisades au delà des mers à la recherche du Graal d’or[1], les premiers truchemans du monde moderne, les pères du système monétaire, duquel le système mercantile n’est qu’une variante, proclamèrent l’or et l’argent, c’est-à-dire la monnaie, la richesse unique. Avec raison ils déclaraient que la vocation de la société bourgeoise est de faire de l’argent, donc, au point de vue de la circulation simple de la marchandise, de former le trésor éternel que ne rongent ni les mites ni la rouille. Dire qu’une tonne de fer du prix de 3 £ a la même grandeur de valeur que 3 £ d’or, ce n’est pas répondre au système monétaire. Il ne s’agit pas ici de la grandeur de la valeur d’échange, mais de sa forme adéquate. Si le système monétaire et mercantile déclare que le commerce mondial et les branches spéciales du travail national qui s’embouchent directement dans le commerce mondial sont les seules sources véritables de la richesse et de l’argent, il importe de noter qu’à cette époque la plus grande partie de la production nationale affectait encore des formes féodales, et servait de source de subsistance immédiate aux producteurs eux-mêmes. Les produits, en grande partie, ne se transformaient pas en marchandises ni, par conséquent, en monnaie ; ils n’entraient pas dans l’échange social général de la matière, ils n’apparaissaient pas comme la matérialisation du travail général-abstrait, et, de fait, ils ne créaient point de richesse bourgeoise. L’argent, en tant que but de la circulation, est la valeur d’échange ou la richesse abstraite, et non un élément matériel quelconque de la richesse constituant le but déterminant et le mobile actif de la production. Ainsi qu’il convenait à ce stade primitif de la production bourgeoise, ces prophètes méconnus s’en tinrent à la forme solide, palpable et éclatante de la valeur d’échange, à sa qualité de marchandise générale opposée à toutes les marchandises particulières. La sphère économique bourgeoise proprement dite de cette époque était la sphère de la circulation des marchandises. Et c’est au point de vue de cette sphère élémentaire qu’ils jugeaient tout le procès compliqué de la production bourgeoise, et confondaient l’argent avec le capital. L’inextinguible lutte que mènent les économistes modernes contre le système monétaire et mercantile vient de ce que ce système ébruite d’une façon naïvement brutale le secret de la production bourgeoise, à savoir qu’elle est sous la domination de la valeur d’échange. Ricardo remarque quelque part, pour en faire, il est vrai, une fausse application, que même aux époques de famine on importe des céréales, non parce que la nation a faim, mais parce que le marchand de blé fait de l’argent. Dans sa critique du système monétaire et mercantile l’économie politique pèche donc en ce qu’elle combat ce système comme une illusion, une théorie fausse et en ce qu’elle ne le reconnaît pas comme une forme barbare de son propre principe fondamental. De plus, ce système ne garde pas seulement un droit historique mais, dans des sphères déterminées de l’économie moderne, son plein droit de cité. À tous les degrés du procès de production bourgeois ou la richesse revêt la forme élémentaire de la marchandise, la valeur d’échange revêt la forme élémentaire de la monnaie, et dans toutes les phases du procès de production la richesse reprend toujours momentanément la forme élémentaire générale de la marchandise. Même dans l’économie bourgeoise la plus développée, les fonctions spécifiques de l’or et de l’argent comme monnaie, à la différence de leur fonction comme moyen de circulation, et à l’opposé des autres marchandises, ne sont pas annulées mais seulement restreintes ; le système monétaire et mercantile conserve donc son droit. Le fait catholique que l’or et l’argent, en tant qu’incarnation immédiate du travail social et partant forme d’apparition de la richesse abstraite, confrontent les autres marchandises profanes, blesse naturellement le point d’honneur protestant de l’économie bourgeoise et la crainte des préjugés du système monétaire l’empêcha, pendant un temps très long, de juger les phénomènes de la circulation de la monnaie, ainsi que le montrera l’exposé qui suit.

Contrairement au système monétaire et mercantile qui ne connaît l’argent que sous sa forme fixe de produit cristallin de la circulation, il était dans l’ordre que l’économie classique le conçut d’abord sous la forme fluide de la valeur d’échange créée dans le procès même de la métamorphose des marchandises et disparaissent ensuite. La circulation des marchandises était donc conçue exclusivement sous la forme M-A-M et celle-ci, à son tour, étant conçue exclusivement comme l’unité évolutive de vente et d’achat, on oppose la monnaie sous sa forme déterminée de moyen de circulation à sa forme déterminée de monnaie en général. Si l’on isole le moyen de circulation lui-même dans sa fonction de numéraire, il se transforme, nous l’avons vu, en signe de valeur. Mais la circulation metallique étant la forme dominante de la circulation que l’économie classique trouve tout d’abord en face d’elle, elle prend la monnaie metallique pour du numéraire et le numéraire metallique pour le simple signe de valeur. Conformément à la loi de la circulation des signes de valeur, on pose la proposition, que les prix des marchandises dépendent de la masse de la monnaie circulante, mais que la masse de la monnaie circulante ne dépend pas des prix des marchandises. Chez les économistes italiens du xviie siècle, cette opinion est énoncée plus ou moins clairement ; elle est tantôt affirmée, tantôt niée par Locke et développée avec précision dans le Spectator (no du 19 octobre 1711) par Montesquieu et par Hume. Hume étant le représentant de beaucoup le plus important de cette théorie au xviiie siècle, c’est par lui que nous commencerons notre revue.

Certaines conditions étant données, une augmentation ou une diminution dans la quantité, soit de la monnaie métallique circulante, soit des signes de valeur circulante, parait agir uniformément sur les prix des marchandises. Qu’il y ait hausse ou baisse de la valeur de l’or et de l’argent dans lesquels sont évaluées les valeurs d’échange des marchandises comme prix, les prix haussent ou baissent parce que leur mesure de valeur a varié et il circule plus ou moins d’or et d’argent parce qu’il y a eu hausse ou baisse des prix. Le phénomène visible est la variation des prix, — la valeur d’échange des marchandises restant la même — avec augmentation ou diminution de la quantité des moyens de circulation. Que si, d’autre part, la quantité des signes de valeur circulants monte au-dessus ou tombe au-dessous de leur niveau nécessaire, ils y sont ramenés violemment par la baisse ou la hausse des prix des marchandises. Dans les deux cas, il semble que la même cause ait produit le même effet, et Hume se tint à cette apparence.

Tout examen scientifique du rapport du nombre des moyens de circulation au mouvement des prix des marchandises doit supposer que la valeur de la matière monétaire est donnée. Hume, au contraire, étudie exclusivement des époques où il y a révolution dans la mesure des métaux précieux eux-mêmes, donc des révolutions dans la mesure des valeurs. La hausse des prix des marchandises, simultanément avec l’accroissement de la monnaie métallique depuis la découverte des mines américaines, constitue le fond historique de sa théorie, de même que la polémique contre le système monétaire et mercantile en fournit le motif pratique. L’apport des métaux précieux peut naturellement être augmenté sans que varient leurs frais de production. D’autre part, la diminution de leur valeur, c’est·à-dire du temps de travail exigé pour leur production, ne se montrera en premier lieu que par l’augmentation de leur apport. Ainsi donc, disaient les disciples de Hume, la valeur diminuée des métaux précieux se manifeste dans la masse croissante des moyens de circulation et la masse croissante des moyens de circulation se constate dans la hausse des prix des marchandises. Mais ce qui augmente, en fait, ce sont les prix des marchandises exportées lesquelles s’échangent contre l’or et l’argent en tant que marchandises et non en tant que moyens de circulation. Aussi le prix des marchandises qui sont évaluées en or et en argent de valeur diminuée, s’élève-t-il par rapport à toutes les autres marchandises dont la valeur d’échange continue à être évaluée en or et en argent selon l’étalon de leurs anciens frais de production. Cette double évaluation des valeurs d’échange des marchandises dans le même pays ne peut naturellement être que temporaire, et les prix or ou argent doivent se compenser dans des proportions déterminées par les valeurs d’échange elles-mêmes, de manière qu’en fin de compte les valeurs d’échange de toutes les marchandises sont estimées conformément à la nouvelle valeur de la matière de la monnaie. Ce n’est pas ici le lieu de développer ce procès ni d’examiner comment la valeur d’échange des marchandises s’établit au sein des fluctuations des prix du marché. De nouvelles recherches critiques sur le mouvement des prix des marchandises au xvie siècle ont démontré d’une manière frappante que cette compensation est très graduelle[2] aux époques où la production bourgeoise est peu développée, et s’étend sur de longues périodes, mais qu’en tout cas, elle ne marche pas du même pas que l’augmentation de la monnaie courante. Sans pertinence aucune sont les références, chères aux disciples de Hume, à la hausse des prix dans l’antique Rome par suite de la conquête de la Macédoine, de l’Égypte et de l’Asie Mineure. Le brusque et violent transport d’un pays dans un autre des trésors d’argent emmagasinés qui était propre au monde antique, la réduction temporaire, dans un pays donné, des frais de production des métaux précieux par le simple procédé du pillage, n’affectent pas pus les lois immanentes de la circulation de l’argent que la distribution gratuite à Rome du blé égyptien ou sicilien n’affecte la loi générale qui règle le prix du blé. Les matériaux qu’exige une observation détaillée du cours de la monnaie ; une histoire exacte des prix des marchandises d’une part, et, d’autre part, des statistiques officielles suivies sur l’expansion et la contraction du moyen circulant, l’afflux et l’écoulement des métaux précieux, etc. ; ces matériaux, qui ne s’accumulent que lorsque la banque est pleinement développée, ont manqué à Hume ainsi qu’à tous les autres écrivains du xviiie siècle, La théorie de la circulation de Hume peut se résumer dans les propositions suivantes : 1o Les prix des marchandises dans un pays sont déterminés par la masse d’argent qui s’y trouve (argent réel ou symbolique) ; 2o l’argent circulant dans un pays représente toutes les marchandises qui s’y trouvent. Dans la proportion dans laquelle croît le nombre des représentants, c’est-à-dire de l’argent, il revient plus ou moins de la chose représentée à chaque représentant particulier ; 3o si les marchandises augmentent, leurs prix diminuent ou la valeur de l’argent monte. Si l’argent augmente, c’est inversement le prix des marchandises qui monte et la valeur de l’argent qui tombe[3].

« La cherté de tout, dit Hume, en conséquence d’une surabondance d’argent est un désavantage pour tout commerce établi, en ce qu’elle permet aux pays plus pauvres de supplanter les plus riches sur tous les marchés étrangers[4], par la vente au rabais des marchandises. À considérer une nation en elle-même, la rareté ou l’abondance du numéraire pour compter ou pour représenter les marchandises ne peut exercer aucune influence, bonne ou mauvaise, pas plus que le bilan d’un commerçant ne serait altéré si, dans la comptabilité, il employait le système de compter arabe qui demande peu de chiffres, au lieu du système romain qui en exige un nombre plus considérable. Une quantité d’argent plus grande pareille aux chiffres romains est plutôt un embarras et donne plus de peine tant pour la conservation que pour le transport[5]. » Pour prouver quoi que ce soit, Hume aurait dû montrer que dans un système donné de numération la masse des chiffres employés ne dépend pas de la grandeur de la valeur des chiffres, mais qu’au contraire la grandeur de leur valeur dépend de la masse des caractères employés. Il est très vrai que ce n’est pas un avantage d’estimer ou de « compter » les valeurs des marchandises en or ou en argent déprécié, et c’est pour cela que les peuples ont toujours trouvé plus commode de compter en argent qu’en cuivre et en or qu’en argent, lorsque s’accroissait la somme des valeurs des marchandises circulantes. À mesure qu’ils devenaient plus riches, ils convertissaient les métaux moins précieux en numéraire subsidiaire et les plus précieux en monnaie. D’autre part, Hume oublie que pour compter les valeurs en or et en argent, il n’est pas nécessaire que l’or et l’argent soient présents. Pour lui, la monnaie de compte et le moyen de circulation se confondent, et tous deux sont du numéraire (coin). Parce qu’une variation de valeur dans la mesure des valeurs ou des métaux précieux qui servent de monnaie de compte fait hausser ou baisser les prix des marchandises et, par suite, la masse de la monnaie circulante, la vitesse du cours étant constante, Hume conclut que la hausse ou la baisse des prix des marchandises dépend de la quantité de la monnaie qui circule. Le fait qu’au xvie et au xviie siècle la quantité d’or et d’argent non seulement augmentait, mais que simultanément leurs frais de production diminuaient, Hume aurait pu le constater par la fermeture des mines européennes. Au xvie et au xviie siècle les prix des marchandises en Europe montèrent à mesure qu’augmentait la masse d’or et d’argent importée d’Amérique ; donc, les prix des marchandises de chaque pays sont déterminés par la masse d’or et d’argent qui s’y trouve. C’était là la première « conséquence nécessaire » de Hume[6] Au xvie et au xviie siècle, les prix ne montèrent pas dans la même proportion qu’augmentaient les métaux précieux ; plus d’un demi-siècle s’écoula avant qu’il se produisît une variation quelconque et même alors il se passa bien du temps encore avant que les valeurs d’échange des marchandises fussent généralement estimées en conformité avec la valeur diminuée de l’or et de l’argent, donc avant que la révolution atteignit les prix généraux des marchandises. Ainsi donc, conclut Hume — qui, en parfaite contradiction avec les principes de sa philosophie, transforme, sans critique, des faits observés incomplètement en propositions générales, — ainsi donc, le prix des marchandises ou la valeur de la monnaie est déterminée non par la masse absolue de la monnaie existant dans un pays, mais plutôt par la quantité d’or et d’argent qui entre réellement dans la circulation ; finalement, tout l’or et l’argent qui se trouvent dans un pays doivent être absorbés par la circulation à titre de numéraire[7]. Il est évident que si l’or et l’argent possèdent une valeur propre, abstraction faite de toutes les autres lois de la circulation, il ne peut circuler qu’une quantité déterminée d’or et d’argent comme équivalent d’une somme de valeurs donnée de marchandises. Si toute quantité d’or et d’argent qui peut se trouver dans un pays, doit servir de moyen de circulation dans l’échange des marchandises, sans égard à la somme des valeurs des marchandises, l’or et l’argent ne possèdent point de valeur immanente et alors, en fait, ils ne sont point de véritables marchandises. C’est la troisième « conséquence nécessaire » de Hume. Dans le procès de circulation, il fait entrer des marchandises sans prix, et de l’or et de l’argent sans valeur. Aussi ne parle-t-il jamais de la valeur des marchandises, de la valeur de l’or, mais seulement de leur quantité relative. Locke déjà avait dit que l’or et l’argent n’ont qu’une valeur purement imaginaire ou conventionnelle : la première forme brutale de la contradiction à l’assertion du système monétaire que l’or et l’argent seuls ont une valeur véritable. Le fait que la forme monnaie de l’or et de l’argent dérive seulement de leur fonction dans le procès d’échange social[8] il l’interprète ainsi : qu’ils doivent leur propre valeur, et partant leur grandeur de valeur, à une fonction sociale. L’or et l’argent sont donc des choses sans valeur, toutefois ils acquièrent à l’intérieur du procès de circulation une grandeur de valeur fictive, à titre de représentants des marchandises. Le procès les transforme, non en monnaie, mais en valeur. Et leur valeur est déterminée par la proportion entre leur propre masse et la masse des marchandises, les deux masses devant se superposer. Alors donc que Hume fait entrer dans le monde des marchandises l’or et l’argent comme non-marchandises, il les transforme, au contraire, des qu’ils apparaissent sous la forme déterminée de numéraire, en simples marchandises qui s’échangent contre d’autres marchandises au moyen du troc simple. Si le monde des marchandises consistait en une marchandise unique, par exemple un million de quarters de blé, on comprendrait aisément qu’un quarter s’échange contre deux onces d’or s’il existe 20 millions onces d’or, que, par conséquent, le prix des marchandises et la valeur de l’argent monte ou tombe en rapport inverse à la quantité d’argent existant[9]. Mais le monde des marchandises se compose d’une infinie variété de valeurs d’usage, dont la valeur relative est nullement déterminée par leur quantité relative. Comment alors Hume se représente-t-il cet échange entre la masse des marchandises et la masse de l’or ? Il se contente de cette représentation vague et vide d’idées, que chaque marchandise, partie aliquote de la masse totale des marchandises, s’échange contre une partie aliquote correspondante de la masse d’or. Le mouvement évolutif des marchandises qui a sa source dans l’antinomie contenue en elles de valeur d’échange et de valeur d’usage, qui apparait dans le cours de la monnaie et se cristallise dans les différentes formes déterminées de celle-ci, est donc éteint et à sa place apparaît l’égalisation mécanique imaginaire entre la masse de poids des métaux précieux existant dans un pays et la masse des marchandises qui s’y trouve en même temps.

Sir James Steuart commence son examen du numéraire et de l’argent par une critique circonstanciée de Hume et de Montesquieu[10]. C’est lui, en effet, le premier, qui pose la question : la quantité de l’argent circulant est-elle déterminée par les prix des marchandises ou bien les prix des marchandises sont-ils déterminés par la quantité de l’argent circulant ? Quoique son exposé soit obscurci par une conception fantastique de la mesure des valeurs, par une représentation flottante de la valeur d’échange en général et par des ressouvenirs du système mercantile, il découvre les formes déterminées essentielles de l’argent ainsi que les lois générales de sa circulation, parce qu’il ne place pas mécaniquement les marchandises d’un côté et l’argent de l’autre, mais déduit effectivement les différentes fonctions des différents moments de l’échange des marchandises. « L’usage de la monnaie dans la circulation intérieure a deux fins principales : paiement de ce qu’on doit, achat de ce dont on a besoin ; tous deux réunis constituent la demande pour le paiement en espèce (ready money demands). L’état du commerce et des manufactures, le mode d’existence et les dépenses coutumières des habitants, pris dans leur ensemble, règlent et déterminent la masse de la demande pour le paiement en espèce, c’est-à-dire la masse des aliénations. Pour effectuer ces paiements multiples, il est besoin d’une certaine proportion de monnaie. Cette proportion peut augmenter ou diminuer selon les circonstances, quoique la quantité des aliénations reste la même. En tout cas la circulation d’un pays ne peut absorber qu’une quantité déterminée de monnaie[11] Le prix de marché de la marchandise est déterminé par l’opération compliquée de la demande et de la concurrence (demand and competition) qui sont entièrement indépendantes de la masse d’or et d’argent qui se trouvent dans un pays. Et que deviennent l’or et l’argent qui ne servent pas de numéraire ? Ils sont amassés sous forme de trésor ou employés dans la production d’articles de luxe. Si la masse d’or et d’argent tombe au-dessous du niveau nécessaire pour la circulation, on la remplace par de la monnaie symbolique ou l’on recourt à d’autres expédients. Si un cours du change favorable apporte une surabondance de monnaie dans le pays et arrête la demande pour son exportation à l’étranger, il s’accumulera dans les coffre-forts où il est aussi inutile que s’il était resté dans les mines »[12]. La deuxième loi découverte par Steuart est le reflux à son point de départ de la circulation fondée sur le crédit. Enfin il développe les effets que produit dans les différents pays la différence du taux de l’intérêt sur l’exportation et sur l’importation internationales des métaux précieux. Étant étrangers à notre thème, la circulation simple, nous n’indiquons ces deux derniers points que pour compléter notre résumé[13]. La monnaie symbolique et la monnaie de crédit — Steuart ne distingue pas encore entre ces deux formes de la monnaie — peuvent suppléer, en qualité de moyen d’achat ou moyen de paiement, les métaux précieux sur le marché du monde. Les billets de papier sont, par conséquent, la monnaie de la societé tandis que l’or et l’argent sont la monnaie du monde (money of the world)[14].

C’est une particularité des nations ayant un développement « historique », au sens de l’école de droit historique, d’oublier constamment leur propre histoire. Ainsi la polémique sur le rapport des prix des marchandises à la quantité des moyens de circulation a agité continuellement le parlement pendant ce demi-siècle et a fait surgir des milliers de pamphlets grands et petits, et néanmoins Steuart est demeuré plus encore un « chien mort » que Spinoza l’avait paru à Moses Mendelson au temps de Lessing. Même le plus récent historien de la « Currency », Maclaren, transforme Adam Smith en l’inventeur de la théorie de Steuart et Ricardo en celui de la théorie de Hume[15]. Tandis que Ricardo affinait la théorie de Hume, Adam Smith enregistrait les résultats des recherches de Steuart comme des faits morts. Adam Smith a appliqué sa sentence écossaise : « Mony mickles mak a muckle » (les petits ruisseaux font les grandes rivières) à la richesse spirituelle aussi, et il prend une peine mesquine pour cacher les sources auxquelles il doit le peu dont, à la vérité, il sait tirer beaucoup. Plus d’une fois il émousse la pointe d’une question parce qu’une formule aiguë le forcerait à compter avec ses devanciers. Il en est ainsi de la théorie de la monnaie. Il adopte tacitement la théorie de Steuart lorsqu’il dit : l’or et l’argent qui se trouvent dans un pays servent en partie de numéraire, en partie ils sont accumulés comme fonds de réserve dans les pays privés de banques et comme réserves de banque dans les pays possédant une circulation de crédit, en partie ils servent de trésor pour balancer les paiements internationaux, en partie ils sont convertis en articles de luxe. Il passe sous silence la question de la quantité du numéraire circulant en considérant faussement la monnaie comme une simple marchandise[16].

Son vulgarisateur, l’insipide J.-B. Say, que les Français ont érigé en prince de la science — Johann Christoph Gottsched a bien érigé son Schönaich en Homère et Pietro Aretino s’est bien proclamé lui-même terror principum et lux mundi. — Say, avec beaucoup d’importance, a poussé jusqu’au dogme cette méprise, qui n’est pas tout à fait naïve, d’Adam Smith[17]. Au reste, son attitude de polémiste à l’égard des illusions du système mercantile a empêché Adam Smith de concevoir objectivement les phénomènes de la circulation métallique, alors que ses considérations sur la monnaie de crédit sont originales et profondes. De même que dans les théories géologiques du xviiie siècle il y a toujours un courant inférieur qui prend sa source dans la critique ou l’apologétique de la tradition biblique du déluge, derrière toutes les théories de la monnaie du xviiie siècle il se cache une lutte sourde contre le système monétaire, le spectre qui avait veillé sur le berceau de l’économie bourgeoise et qui continuait à projeter son ombre sur la législation.

Ce n’étaient pas les phénomènes de la circulation métallique, mais plutôt ceux de la circulation des billets de banque qui, au xixe siècle, donnèrent l’impulsion aux recherches sur la nature de la monnaie. On ne remonta jusqu’aux premiers que pour découvrir les lois des derniers. La suspension des paiements en espèces de la banque d’Angleterre à partir de 1797, la hausse ultérieure des prix de beaucoup de marchandises, la baisse du prix monétaire de l’or au-dessous de son prix de marché, la dépréciation des billets de banque, notamment depuis 1809, fournirent les motifs pratiques immédiats d’une lutte au dedans du parlement et d’un tournoi théorique au dehors aussi passionné l’un que l’autre. Ce qui servait de fond historique au débat, c’étaient l’histoire du papier monnaie au xviiie siècle, le fiasco de la Banque de Law, la dépréciation, marchant de front avec la quantité croissante des signes de valeur, des billets de banque provinciaux des colonies anglaises de l’Amérique du Nord, qui se manifestait du commencement jusqu’au milieu du xviiie siècle ; plus tard, le papier-monnaie (continental bills) à cours forcé, émis par le gouvernement central de l’Amérique pendant la guerre de l’indépendance ; enfin, l’expérience faite sur une plus grande échelle encore des assignats français. La plupart des écrivains anglais de cette époque confondent la circulation des billets de banque, qui est régie par de tout autres lois, avec la circulation des signes de valeur ou des papiers d’État à cours forcé, et tandis qu’ils prétendent expliquer les phénomènes de cette circulation forcée par les lois de la circulation métallique, en fait ils déduisent inversement les lois de cette dernière des phénomènes de la première.

Nous laissons de côté les nombreux écrivains de la période de 1800-1809 pour porter de suite notre regard sur Ricardo parce qu’il résume ses prédécesseurs en même temps qu’il formule leurs vues avec plus de précision, et parce que la forme qu’il a donnée à la théorie de la monnaie domine jusqu’à ce jour la législation anglaise des Banques. Ricardo, de même que ses prédécesseurs, confond la circulation des billets de banque ou de la monnaie de crédit et la circulation de simples signes de valeur. Le fait qui le préoccupe c’est la dépréciation du papier-monnaie accompagnée de la hausse simultanée des prix des marchandises. Ce qu’étaient pour Hume les mines américaines, les presses à billets de papier de Threadneedle Street l’étaient pour Ricardo, et lui-même, en un endroit, identifie expressément les deux facteurs. Ses premiers écrits qui ne traitent que de la question de la monnaie paraissent à l’heure où règne la plus violente polémique entre la banque de l’Angleterre, que défendaient les ministres et le parti de la guerre, et leurs adversaires, autour desquels se groupaient l’opposition parlementaire, les whigs et le parti de la paix. Ses écrits paraissent comme les avant-coureurs directs du célèbre rapport du Bullion committee de 1810 où sont adoptées les vues de Ricardo[18]. Ricardo et ses partisans qui déclarent que l’argent n’est qu’un signe de valeur s’appellent « bullionists » (les hommes des lingots d’or) et cette curieuse circonstance est due non seulement au nom de ce comité mais aussi au contenu de sa doctrine même. Dans ses ouvrages sur l’Économie politique, Ricardo a répété et développé les mêmes vues, mais nulle part il n’a étudié la nature de l’argent en soi, comme il l’a fait pour la valeur d’échange, le profit, la rente, etc.

Ricardo détermine d’abord la valeur de l’or et de l’argent, ainsi que celle de toutes les autres marchandises, par le quantum de temps de travail qu’ils concrètent[19]. En eux, en tant que marchandises d’une valeur donnée sont mesurées les valeurs de toutes les autres marchandises[20]. Cette quantité se modifie par l’économie pratiquée dans le mode de paiement[21]. La quantité de monnaie d’une valeur donnée qui peut circuler étant ainsi déterminée, et sa valeur dans la circulation n’apparaissant que dans sa quantité, de simples signes de valeur, s’ils sont émis dans la proportion déterminée par la valeur de la monnaie, peuvent la remplacer dans la circulation et « la monnaie circulante est à l’état le plus parfait lorsqu’elle consiste entièrement en papier-monnaie d’une valeur égale à l’or qu’elle prétend représenter »[22]. Jusqu’ici Ricardo détermine donc, la valeur de la monnaie étant donnée, la quantité des moyens de circulation par les prix des marchandises, et la monnaie, en tant que signe de valeur, est pour lui le signe d’un quantum d’or déterminé et non, comme pour Hume, le représentant sans valeur des marchandises.

Dès que Ricardo dévie de la marche unie de son exposition pour revirer à l’opinion contraire, il se tourne vers la circulation internationale des métaux précieux et embrouille ainsi le problème par l’introduction de considérations étrangères. Pour suivre son propre raisonnement intime, nous écartons tout d’abord les points incidents artificiels et nous situons les mines d’or et d’argent dans l’intérieur des pays ou les métaux précieux circulent à titre de monnaie. L’unique proposition qui découle du développement antérieur de Ricardo est que, la valeur de l’or donnée, la quantité de la monnaie circulante se trouve être déterminée par les prix des marchandises. Ainsi donc, à un moment donné, la masse de l’or circulant dans un pays est simplement déterminée par la valeur d’échange des marchandises qui circulent. Supposons que la somme de ces valeurs diminue, soit parce qu’on produit moins de marchandises aux anciennes valeurs, soit parce que, en conséquence d’une plus grande force productive du travail, la même masse de marchandises contient une valeur d’échange moindre. Ou supposons, inversement, que la somme des valeurs augmente parce que la masse des marchandises augmente, les frais de production restant les mêmes, ou bien parce que la valeur de la même ou d’une moindre masse de marchandises croît par suite d’une force productive du travail diminuée. Que devient dans les deux cas la quantité donnée du métal circulant ? Si l’or n’est de la monnaie que parce qu’il court comme moyen de circulation, s’il est contraint de stationner dans la circulation sous forme de papier monnaie à cours forcé émis par l’État (et c’est ce que Ricardo a dans l’idée) alors, dans le premier cas il y aura surabondance dans la quantité de monnaie circulante par rapport à la valeur d’échange du métal ; dans le second cas elle tomberait au-dessous de son niveau normal. Quoique possédant une valeur propre, l’or, dans le premier cas, deviendrait signe d’un métal d’une valeur d’échange intérieure à la sienne ; dans le dernier cas, signe d’un métal d’une valeur supérieure. Dans le premier cas il serait, comme signe de valeur, au-dessous ; dans le second cas, au-dessus de sa valeur réelle (encore une abstraction du papier-monnaie avec cours forcé). Dans le premier cas ce serait la même chose que si les marchandises étaient estimées dans un métal de valeur inférieure, dans le second que s’ils l’étaient dans un métal de valeur supérieure. Dans le premier cas les prix des marchandises hausseraient, dans le second ils baisseraient. Dans les deux cas le mouvement des prix des marchandises, leur hausse ou leur baisse, serait l’effet de l’expansion ou de la contraction relative de la masse de l’or circulant au-dessus ou au-dessous du niveau correspondant à sa propre valeur, c’est-à-dire la quantité normale qui est déterminée par le rapport de sa propre valeur à la valeur des marchandises à circuler.

Le même procès aurait lieu si la somme des prix des marchandises en circulation restait la même, mais que la masse de l’or circulant vint à se trouver au-dessous ou au-dessus du niveau normal ; au-dessous, si les espèces d’or usées dans la circulation n’étaient pas remplacées par une nouvelle production correspondante des mines, au-dessus, si le nouveau rendement des mines avait dépassé les besoins de la circulation. Il est sous-entendu, dans les deux cas, que les frais de production de l’or, que sa valeur, restent les mêmes.

En résumé : la monnaie circulante se trouve au niveau normal quand sa quantité, la valeur des marchandises étant donnée, est déterminée par sa propre valeur métallique. La monnaie déborde, l’or tombe au-dessous de sa propre valeur métallique et les prix des marchandises montent parce que la somme des valeurs d’échange de la masse des marchandises diminue ou que le rendement des mines d’or augmente. La monnaie se contracte et tombe au-dessous de son niveau normal, l’or s’élève au-dessus de sa propre valeur metallique et les prix des marchandises baissent parce que la somme des valeurs d’échange de la masse des marchandises augmente ou que le rendement des mines d’or ne compense pas la masse d’or usée. Dans les deux cas l’or circulant est signe de valeur, d’une valeur supérieure ou inférieure à celle qu’il contient réellement. Il peut devenir un signe surestime ou déprécié de lui-même. Dès que les marchandises auraient été estimées généralement dans cette nouvelle valeur de la monnaie et que les prix des marchandises auraient en général hausse ou baissé proportionnellement, la quantité de l’or circulant correspondrait de nouveau aux besoins de la circulation (conséquence que Ricardo fait ressortir avec une satisfaction particulière) mais elle contredirait aux frais de production des métaux précieux et partant à leur rapport comme marchandises aux autres marchandises. D’après la théorie ricardienne des valeurs d’échange en général, la hausse de l’or au-dessus de sa valeur d’échange, c’est-à-dire de la valeur déterminée par le temps de travail qu’il contient, amènerait une augmentation de la production de l’or jusque ce que son abondance l’eût de nouveau abaissé à sa grandeur de valeur normale. Grâce à ces mouvements inverses, la contradiction entre la valeur métallique de l’or et sa valeur comme moyen de circulation se compenseraient, le niveau normal de la masse d’or circulant s’établirait et la hauteur des prix des marchandises répondrait de nouveau à la mesure des valeurs (une baisse de l’or au-dessous de sa valeur déterminerait inversement une diminution de sa production jusqu’à ce qu’il lut ramené à sa grandeur de valeur exacte). Ces fluctuations dans la valeur de l’or circulant atteindraient également l’or en barre puisque, dans l’hypothèse, tout l’or qui n’est pas utilisé pour articles de luxe est mis en circulation. Puisque l’or lui-même, soit sous forme de numéraire, soit sous forme de barre, peut devenir signe de valeur d’une valeur métallique plus grande ou plus petite que la sienne propre, il va de soi que les billets de banque convertibles qui circulent, partagent le même sort. Quoique les billets de banque soient convertibles et que leur valeur réelle, par conséquent, corresponde à leur valeur nominale, la masse totale de la monnaie circulante, or et billets (the aggregate currency consisting of metal and of convertibles notes) peut être surestimée ou dépréciée suivant que leur quantité totale, pour les raisons développées plus haut, s’élève au-dessus ou s’abaisse au-dessous du niveau déterminé par la valeur d’échange des marchandises qui circulent et par la valeur métallique de l’or. À ce point de vue le papier-monnaie inconvertible n’a sur du papier convertible que cet avantage, qu’il peut être déprécié doublement. Il peut tomber au-dessous de la valeur du métal qu’il est censé représenter, parce qu’il est émis en nombre trop grand ; ou encore il peut tomber parce que le métal qu’il représente est tombé au-dessous de sa propre valeur. Cette dépréciation non du papier vis-à-vis de l’or, mais de l’or et du papier pris ensemble, ou de la masse totale des moyens de circulation d’un pays, est une des principales découvertes de Ricardo, laquelle Lord Overstone et Cie ont mise à profit et dont ils ont fait un élément fondamental de la législation sur la Banque de Sir Robert Peel.

Ce qu’il fallait démontrer, c’est que le prix des marchandises ou la valeur de l’or dépend de la masse de l’or qui circule. La démonstration consiste en ce qu’on suppose ce qui est à démontrer : que toute quantité du métal précieux qui sert de monnaie, quel qu’en soit le rapport à sa valeur intrinsèque, doit devenir moyen de circulation, monnaie, et ainsi signe de valeur des marchandises en circulation, quelle que soit la somme totale de leur valeur. En d’autres termes, la démonstration consiste à faire abstraction de toutes les fonctions de la monnaie, sauf de celle qu’elle remplit en qualité de moyen de circulation. Quand il est serré de près, ainsi que dans sa polémique avec Bosanquet, Ricardo, entièrement dominé qu’il est par le phénomène de la dépréciation du signe de la valeur par leur quantité, se réfugie dans les affirmations dogmatiques[23].

Si Ricardo avait établi cette théorie abstraitement, comme nous l’avons fait, sans y introduire des faits concrets et des incidents qui détournent de la question, le creux de la théorie devenait frappant. Or, il donne à tout le développement une teinture internationale. Ce sera chose facile de lui prouver que la grandeur apparente de l’échelle ne change rien à la petitesse des idées fondamentales.

La première proposition était : la quantité de la monnaie métallique circulante est normale quand elle est déterminée par la somme des valeurs des marchandises circulantes estimée dans sa valeur métallique. Du point de vue international ceci se formule : à l’état normal de la circulation chaque pays possède une masse de monnaie qui correspond à sa richesse et à son industrie. La monnaie circule à une valeur qui répond à sa véritable valeur ou à ses frais de production ; c’est-à-dire, elle à une seule et même valeur dans tous les pays[24]. La monnaie ne serait donc jamais exportée ou importée d’un pays dans un autre[25]. Un équilibre s’établirait entre les currencies (les masses totales de la monnaie circulante) des différents pays. Le niveau normal de la currency national est exprimé maintenant comme l’équilibre international des currencies, et, en fait, on énonce seulement que la nationalité ne change rien à la loi économique générale. Nous voici revenus au même point fatal. Comment le niveau normal est-il trouble ? Question qui, maintenant, se formule : Comment l’équilibre des currencies est-il troublé, ou comment la monnaie cesse-t-elle d’avoir la même valeur dans tous les pays, ou enfin, comment cesse-t-elle d’avoir dans chaque pays sa propre valeur ? Précédemment, le niveau normal était trouble parce que la masse d’or en circulation augmentait ou diminuait sans qu’il y eut variation dans la somme des marchandises, ou parce que la quantité de la monnaie circulante restait la même tandis que les valeurs d’échange des marchandises haussaient ou baissaient ; à présent, le niveau international, déterminé par la valeur du métal, est troublé parce que la masse d’or que possède un pays s’accroît par suite de la découverte des mines d’or[26] nouvelles ou parce que la somme des valeurs d’échange des marchandises qui circulent a augmenté ou diminué dans un pays particulier. Précédemment, la production des métaux précieux diminuait ou augmentait suivant qu’il était nécessaire de contracter ou d’étendre la currency et d’abaisser ou d’élever les prix des marchandises, maintenant c’est l’exportation ou l’importation d’un pays à l’autre qui produit cet effet. Dans les pays où les prix auraient monté et la valeur de l’or, par suite de l’engorgement de la circulation, serait tombée au-dessous de sa valeur métallique, l’or serait déprécié par rapport aux autres pays et, par conséquent, les prix des marchandises comparés à ceux des autres pays auraient monte. On exporterait donc de l’or, on importerait des marchandises et vice versa. Précédemment, c’était la production de l’or qui se continuait jusqu’au rétablissement du rapport normal entre le métal et la marchandise ; maintenant, ce serait l’importation et l’exportation de l’or et, avec elles, la hausse ou la baisse des marchandises qui continueraient jusqu’à ce que l’équilibre se fût rétabli entre les currencies internationales. Comme dans le premier cas la production de l’or n’augmentait ou ne diminuait que parce que l’or se trouvait au-dessus ou au-dessous de sa valeur, le mouvement international de l’or n’aurait lieu que pour cette raison. Comme dans le premier cas, chaque variation dans sa production affecterait la quantité du métal circulant et partant les prix, il en serait de même maintenant pour l’importation et l’exportation. Dès que la valeur relative de l’or et de la marchandise, ou la quantité normale des moyens de circulation, serait rétablie, la production dans le premier cas, et l’exportation et l’importation dans le second cas, n’auraient plus lieu, sauf pour remplacer les espèces usées et pour satisfaire la demande pour les articles de luxe.

Il s’ensuit « que la tentation d’importer de l’or en échange de marchandises ou ce qu’on appelle un bilan défavorable ne se produit jamais que par suite d’une surabondance des moyens de circulation »[27]. L’or ne serait exporté ou importé que parce qu’il serait surestimé ou déprécié suivant l’expansion ou la contraction de la masse des moyens de circulation au-dessus ou au-dessous de leur niveau normal[28]. Autre conséquence : puisque, dans le premier cas, la production de l’or n’augmente ou ne diminue, dans le second cas, l’or n’est importé ni exporté que parce que sa quantité se trouve au-dessus ou au-dessous de son niveau normal, que parce qu’il est estimé au-dessus ou au-dessous de sa valeur métallique, que les prix, par conséquent, sont trop élevés ou trop bas, chacun de ces mouvements agit comme correctif[29]. Ils ramènent les prix à leur niveau normal par l’expansion et la contraction de l’argent circulant ; dans le premier cas, le niveau entre la valeur de l’or et la valeur des marchandises, dans le second cas, le niveau international des currencies. Autrement dit : l’argent ne circule dans les différents pays qu’autant qu’il circule dans chaque pays en qualité de numéraire. L’argent n’est que du numéraire ; c’est pourquoi la quantité d’or qui existe dans un pays doit entrer dans la circulation et peut donc, étant son propre signe de valeur, monter au-dessus ou tomber au-dessous de sa valeur. Et nous voici, parle détour de cette complication internationale, heureusement revenus au simple dogme d’où nous sommes partis.

Quelques exemples montreront comment Ricardo interprète arbitrairement les phénomènes réels dans le sens de sa théorie abstraite. Ainsi il affirme qu’aux époques de mauvaises récoltes, fréquentes en Angleterre pendant la période de 1800-1820, l’or est exporté, non parce qu’on a besoin de blé et que l’or est de la monnaie et partant un moyen d’achat et de paiement toujours efficace sur le marché du monde, mais parce que l’or est déprécié dans sa valeur par rapport aux autres marchandises et qu’en conséquence la currency du pays où se produit la mauvaise récolte serait dépréciée par rapport aux autres currencies nationales. Ainsi donc, parce que la mauvaise récolte aurait fait diminuer la masse des marchandises circulante, la quantité donnée de l’argent circulant aurait dépassé son niveau normal et il y aurait hausse de tous les prix des marchandises[30]. Contradictoirement à cette interprétation paradoxale, on a démontré, au moyen des statistiques, que, depuis 1793 jusque dans ces derniers temps, la quantité des moyens de circulation dans le cas de mauvaises récoltes, ne surabondait pas mais devenait, insuffisante et que, par conséquent, il circulait et il devait circuler plus d’argent qu’auparavant[31].

Ricardo affirmait aussi, à l’époque du blocus continental napoléonien et des décrets de blocus anglais, que les Anglais exportaient de l’or au lieu de marchandises parce que leur monnaie était dépréciée par rapport à la monnaie des pays continentaux et qu’en conséquence les prix de leurs marchandises étaient plus élevés ; c’était donc une spéculation plus avantageuse d’exporter de l’or que des marchandises. Selon son dire, les marchandises étaient chères et la monnaie bon marché sur le marché anglais, tandis que sur le continent les marchandises étaient bon marché et la monnaie chère. « Le mal, dit un écrivain anglais, était le bas prix ruineux de nos objets fabriqués et de nos produits coloniaux, sous l’influence du système continental, pendant les six dernières années de la guerre. Les prix du sucre et du café, par exemple, estimés en or étaient, sur le continent, quatre ou cinq fois plus élevés que les mêmes prix estimés en billets de banque en Angleterre. C’était l’époque où les chimistes français découvrirent le sucre de betterave et substituèrent la chicorée au café et où des fermiers anglais faisaient des expériences sur l’engraissement des bœufs avec de la mélasse et du sirop ; c’était l’époque où l’Angleterre prenait possession d’Héligoland et y établissait un dépôt de marchandises pour faciliter la contrebande dans le nord de l’Europe et où les objets légers, de fabrication britannique, entraient en Allemagne en passant par la Turquie. Presque toutes les marchandises du monde entier étaient accumulées dans nos entrepôts d’où on ne pouvait les retirer que par petite quantité, au moyen d’une autorisation française pour laquelle les marchands de Hambourg et d’Amsterdam avaient payé à Napoléon une somme de 40.000 à 50.000 £. Ce devaient être de singuliers marchands pour payer de sommes pareilles la liberté de transporter un chargement de marchandises d’un marché cher à un autre bon marché. Quelle alternative avait un commerçant ? Ou bien, il lui fallait acheter pour 6 d. de café en billets de banque et l’expédier sur une place où il pourrait immédiatement vendre la livre à 3 ou 4 shillings en or, ou bien, acheter de l’or avec des billets de banque à 5 £ l’once et l’envoyer sur une place où il serait évalué à £ 3,17 s., 10 d. 1/2. Il est donc absurde de dire qu’en remettant de l’or au lieu de café on croyait faire une opération mercantile plus avantageuse. Il n’existait point de pays au monde qui offrit alors une aussi grande quantité de marchandises désirables que l’Angleterre. Bonaparte examinait toujours attentivement les prix courants anglais. Aussi longtemps qu’il constatait qu’en Angleterre l’or était cher et le café bon marché, il fut d’avis que son système continental fonctionnait bien[32]. »

Précisément à l’époque où Ricardo exposait pour la première fois sa théorie de la monnaie et que le Bullion committee l’incorporait dans son rapport parlementaire, en 1810, une baisse ruineuse se produisit dans les prix de toutes les marchandises anglaises, comparées avec ceux de 1808 et 1809, tandis qu’il y eut une hausse relative dans la valeur de l’or. Les produits agricoles formaient une exception parce que leur importation rencontrait des obstacles et que la masse disponible à l’intérieur avait été réduite par de mauvaises récoltes[33]. Ricardo méconnaissait si complètement le rôle des métaux précieux comme moyen de paiement international qu’il a pu déclaré dans son rapport devant le comité du House of Lords (1819) : « That drains for exportation would cease altogether so soon as cash payments should be resumed, and the currency be restored to its metallic level[34] ». Il mourut à temps ; à la veille même de l’explosion de la crise de 1825 qui donnait un démenti à sa prophétie.

La période pendant laquelle Ricardo fut littérairement actif était, en général, peu favorable à l’observation des métaux précieux dans leur fonction de monnaie universelle. Avant l’introduction du système continental, le bilan commercial était presque toujours en faveur de l’Angleterre, et sous ce système, les transactions avec le continent européen furent trop insignifiantes pour affecter le cours du change anglais. Les envois d’argent avaient, pour la plupart, un caractère politique et Ricardo paraît s’être complètement mépris sur le rôle que jouaient les subsides dans l’exportation de l’or anglais[35].

Parmi les contemporains de Ricardo qui formaient l’école représentant les principes de son économie politique, James Mill est le plus éminent, il a essayé d’exposer la théorie de la monnaie de Ricardo sur la base de la circulation métallique simple, sans introduire les complications internationales intempestives, derrière lesquelles Ricardo cache la pauvreté de sa conception, et sans faire de la polémique à l’intention de la Banque d’Angleterre. Ses propositions principales sont les suivantes[36] :

« Par la valeur de la monnaie, il faut entendre ici la proportion dans laquelle elle s’échange contre d’autres marchandises ou la quantité de monnaie qui s’échange contre une certaine quantité d’autres objets… C’est la quantité totale de la monnaie se trouvait dans un pays qui détermine quelle portion de cette quantité devra s’échanger contre une certaine portion des marchandises de ce pays. Si nous supposons que toutes les marchandises du pays sont d’un côté et tout la monnaie de l’autre, et qu’ils s’échangent d’un seul coup, il est évident… que la valeur de la monnaie dépendrait entièrement de sa quantité. Nous verrons que le cas est absolument le même dans l’état actuel des faits. La totalité des marchandises d’un pays n’est pas échangée d’un coup contre la totalité de la monnaie ; les marchandises sont échangées par portions, souvent en de très petites portions et à des époques différentes dans le courant de l’année. La même pièce de monnaie qui a servi à un échange aujourd’hui pourra servir à un autre échange demain. Certaines pièces de monnaie seront employées à beaucoup d’actes d’échange, d’autres à un petit nombre, quelques-unes, qui se trouvent être thésaurisées, à aucun. Dans toute cette variété, il s’établira une certaine moyenne basée sur le nombre des actes d’échange auxquels chaque pièce aurait servi si toutes les pièces en avaient accompli un nombre égal ; cette moyenne peut être le nombre qu’on voudra, mettons dix. Si chaque pièce de monnaie existant dans le pays accomplissait dix achats, c’est exactement la même chose que si toutes les pièces étaient multipliées par dix et n’accomplissaient chacune qu’un achat. La valeur de toutes les marchandises dans le pays est égale à dix fois la valeur de toute la monnaie… Si la quantité de la monnaie au lieu d’accomplir dix échanges dans l’année, était dix fois aussi grande et ne réalisait qu’un seul acte d’échange dans l’année, il est évident que toute addition faite à la quantité totale produirait une diminution de valeur proportionnelle dans chaque pièce prise séparément. Comme on suppose que la masse des marchandises contre lesquelles toute la monnaie est échangée en une fois reste constante, la valeur de la monnaie n’est pas devenue plus grande après que la masse en est augmentée qu’elle n’était auparavant. Si on la suppose augmentée d’un dixième, la valeur de chaque partie, celle d’une once, par exemple, aura diminué d’un dixième.

« Quel que soit le degré dans lequel est augmentée ou diminuée la quantité de la monnaie, celle des autres choses restant constante, la valeur de la masse totale et de chaque partie est réciproquement diminuée ou augmentée dans la même proportion. Cette proposition, il est évident, est universellement vraie. Toutes les fois que la valeur de la monnaie a haussé ou baissé (la quantité des marchandises contre lesquelles il est échangé et la rapidité de la circulation restant constantes) le changement doit dépendre d’une diminution ou d’une augmentation de la quantité et de rien autre. Si la quantité des marchandises diminue tandis que la quantité de la monnaie reste constante, c’est la même chose que si la quantité de la monnaie eut augmenté et vice versa… Des changements semblables sont produits par une variation quelconque, dans la rapidité de la circulation… Une augmentation dans le nombre de ces achats produit le même effet qu’une augmentation dans la quantité de la monnaie ; une diminution produit l’effet contraire… S’il y a une portion des produits annuels qui n’est pas échangés du tout, comme celle que le producteur consomme lui-même, elle n’entre pas en ligne de compte, car ce qui n’est pas échangé contre de l’argent est par rapport à l’argent comme s’il n’existait pas… Lorsque le monnayage est libre, la quantité de la monnaie est réglée par la valeur du métal… L’or et l’argent sont, en réalité, des marchandises… C’est le coût de production… qui détermine la valeur de celles-ci ainsi que des produits ordinaires[37]. »

Toute la sagacité de Mill se résout en une série de suppositions aussi arbitraires qu’absurdes. Il veut démontrer que les prix des marchandises ou la valeur de la monnaie est déterminé par « la quantité totale de la monnaie existant dans un pays ». Si l’on suppose que la masse et la valeur d’échange des marchandises restent les mêmes, ainsi que la vitesse de la circulation et la valeur des métaux précieux déterminée par les frais de production, et si l’on suppose, en même temps, que néanmoins la quantité de la monnaie métallique circulante s’élève ou s’abaisse proportionnellement à la masse de monnaie existant dans un pays, il devient en effet « évident » que l’on a supposé qu’on prétendait démontrer. D’ailleurs, Mill commet la même erreur que Hume, en faisant circuler des valeurs d’usage et non des marchandises d’une valeur d’échange donnée, et c’est pourquoi sa proposition est fausse alors même qu’on lui concède toutes ses « suppositions ». La vitesse de la circulation peut rester la même, ainsi que la valeur des métaux précieux, ainsi que la quantité de marchandises en circulation et, néanmoins, si leur valeur d’échange varie, une masse d’argent tantôt plus grande, tantôt plus petite, peut être requise pour la circulation. Mill voit le fait qu’une partie de l’argent existant dans le pays circule tandis que l’autre est stationnaire. À l’aide d’un calcul des moyennes hautement comique, il suppose, quoique dans la réalité l’apparence y contredise, qu’en vérité, tout l’argent se trouvant dans un pays circule. Supposez que 10 millions de thalers circulent dans un pays deux fois dans l’année, 20 millions pourraient circuler alors si chaque thaler n’effectuait qu’un achat. Et si la somme totale de l’argent existant dans le pays sous toutes les formes monte à 100 millions, on peut supposer que les 100 millions peuvent circuler, si chaque pièce de monnaie effectue un achat en cinq ans. On pourrait supposer aussi que tout l’argent du monde circule à Hampstead, mais que chaque partie aliquote de cet argent, au lieu d’accomplir trois tours en une année, accomplit un tour en 3.000.000 d’années. L’une de ces suppositions vaut l’autre pour déterminer le rapport entre la somme des prix des marchandises et la quantité des moyens de circulation. Mill comprend qu’il est pour lui d’une importance capitale de mettre les marchandises en contact direct, non avec le quantum d’argent qui circule, mais avec le stock total de l’argent qui, chaque fois, existe dans un pays. Il convient que la masse totale des marchandises d’un pays ne s’échange pas « en une fois » contre la masse totale de l’argent, mais que différentes portions des marchandises à différentes époques de l’année s’échangent contre différentes portions d’argent. Pour éliminer cette disproportion, il suppose qu’elle n’existe point. Au reste, toute cette conception du contact direct de la marchandise et de l’argent et de leur échange immédiate, est une abstraction du mouvement des achats et des ventes simples ou de l’argent dans sa fonction de moyen d’achat. Déjà dans le mouvement de l’argent faisant office de moyen de paiement disparaît cette apparition simultanée de la marchandise et de l’argent.

Les crises commerciales pendant le xixe siècle, notamment les grandes crises de 1825 et 1836, ne suscitèrent point un nouveau développement mais bien de nouvelles applications de la théorie ricardienne de la monnaie. Ce n’étaient plus les phénomènes économiques isolés, tels que, chez Hume, la dépréciation des métaux précieux au xvie et au xviie siècle ou que, chez Ricardo, la dépréciation du papier monnaie au xviiie siècle et au commencement du xixe, mais c’étaient les grands orages du marché mondial dans lesquels se déchargent tous les éléments en lutte du procès de production bourgeois, dont on cherchait l’origine et le remède dans la sphère la plus superficielle et la plus abstraite de ce procès, la sphère de la circulation de la monnaie. L’hypothèse théorique d’où part l’école des météoromanciers économiques se borne en fait à ce dogme : que Ricardo a découvert les lois de la circulation purement métallique. Ce qui leur restait à faire, c’était de soumettre à ces lois la circulation du crédit ou des billets de banque.

Le phénomène le plus général, le plus palpable des crises commerciales est la baisse subite, générale, des prix des marchandises, succédant à une hausse générale, assez prolongée, de ces prix. On peut dire qu’une baisse générale des prix des marchandises est une hausse de la valeur relative de la monnaie comparée avec toutes les marchandises, et inversement on peut dire qu’une hausse générale des prix est une baisse de la valeur relative de la monnaie. Les deux modes d’expression énoncent le phénomène mais ne l’expliquent pas. Que je pose le problème : expliquer la hausse générale périodique, alternant avec la baisse générale, des prix ; ou que je formule le même problème : expliquer la baisse et la hausse périodiques de la valeur relative de la monnaie comparée avec les marchandises, la phraséologie différente laisse subsister le problème aussi entier que le laisserait subsister sa traduction de l’allemand en anglais. La théorie de la monnaie de Ricardo était donc singulièrement opportune, puisqu’elle donne à une tautologie l’apparence d’un rapport causal. D’où vient la baisse générale périodique des prix des marchandises ? De la hausse périodique de la valeur relative de la monnaie. D’où vient, inversement, la hausse générale périodique des prix des marchandises ? D’une baisse périodique de la valeur relative de la monnaie. Avec autant de justesse pourrait-on dire que la hausse et la baisse périodiques des prix proviennent de leur hausse et de leur baisse périodiques. Le problème est posé dans l’hypothèse que la valeur immanente de la monnaie, c’est-à-dire sa valeur déterminée par les frais de production des métaux précieux, ne varie pas. Si cette tautologie prétend être mieux que de la tautologie, elle repose sur la méconnaissance des notions les plus élémentaires. Si la valeur d’échange de A mesurée en B tombe, nous savons que cela peut provenir aussi bien de la baisse de la valeur de A que de la hausse de la valeur de B. Il en est de même, inversement, si la valeur d’échange de A mesurée en B monte. Une fois que la transformation de la tautologie en un rapport causal est concédée, tout le reste suit sans difficulté. La hausse des prix des marchandises provient de la baisse de la valeur de la monnaie, mais la baisse de la valeur de la monnaie, Ricardo nous l’a appris, est due au débordement de la circulation, c’est·à-dire que la masse de la monnaie circulante dépasse le niveau déterminé par sa propre valeur immanente et les valeurs immanentes des marchandises De même, inversement, la baisse générale des prix des marchandises provient de la hausse de la valeur de la monnaie au-dessus de sa valeur immanente par suite d’une circulation insuffisante. Donc les prix montent et tombent périodiquement, parce que périodiquement il y a trop ou trop peu de monnaie qui circule. Si, maintenant, on démontre que la hausse des prix a coïncidé avec une circulation diminuée et la baisse des prix avec une circulation accrue, on peut néanmoins affirmer que par suite d’une diminution ou d’une augmentation quelconque — non démontrable par les statistiques — de la masse des marchandises circulantes, la quantité de monnaie qui circule a augmenté, si non absolument, du moins relativement. Or, nous avons vu que d’après Ricardo ces fluctuations générales des prix doivent se produire aussi dans une circulation purement métallique mais qu’elles se compensent par leur alternance. Ainsi une circulation insuffisante amène la baisse des prix des marchandises, la baisse des prix des marchandises entraîne l’exportation, cette exportation fait affluer l’argent à l’intérieur et cet afflux d’argent, à son tour, provoque la hausse des prix des marchandises. C’est l’inverse quand il s’agit d’une circulation exubérante où les marchandises sont importées et l’argent est exporté. Mais comme malgré ces fluctuations générales des prix, résultant de la nature de la circulation métallique ricardienne elle-même, sa forme violente et aiguë, sa forme de crise, appartient aux époques du système du crédit développé, il est clair comme le jour que l’émission des billets de banque n’est pas réglée exactement sur les lois de la circulation métallique. La circulation métallique possède son remède dans l’importation et l’exportation des métaux précieux qui circulent immédiatement à titre de numéraire et qui, par leur afflux ou leur reflux, font baisser ou hausser les prix des marchandises. Par une limitation des lois de la circulation métallique, les banques doivent maintenant produire artificiellement le même effet sur les prix des marchandises. Si l’or afflue de l’extérieur, c’est une preuve que la circulation est insuffisante, que la valeur de la monnaie est trop élevée et que les prix des marchandises sont trop bas, et, qu’en conséquence, il faut jeter dans la circulation des billets de banque proportionnellement à l’or nouvellement importé. Il faut, au contraire, les retirer de la circulation dans la proportion dans laquelle l’or s’écoule du pays. En d’autres termes l’émission des billets de banque doit se régler sur l’importation ou l’exportation des métaux précieux ou sur le cours du change. La fausse hypothèse de Ricardo que l’or n’est que du numéraire et que, par conséquent, tout l’or importé augmente la monnaie circulante et par là fait monter les prix ; que tout l’or exporté diminue le numéraire et fait baisser les prix, cette hypothèse théorique se tourne ici en l’expérience pratique de faire circuler autant de numéraire qu’il y a chaque fois d’or. Lord Overstone (le banquier Jones Loyd) le colonel Torrens, Norman, Clay, Arbuthnot et d’autres écrivains sans nombre, connus en Angleterre sous le nom de l’École du « Currency principle », ont fait plus que prêcher cette doctrine, ils en ont fait, au moyen des Bank Acts de 1844-1845 de Sir Robert Peel, la base de la présente législation de la banque anglaise et écossaise. Leur fiasco ignominieux, et dans la théorie et dans la pratique, après des expériences faites sur la plus grande échelle nationale, ne pourra être considéré que dans la théorie du crédit[38]. Mais on peut voir d’ores et déjà que la théorie de Ricardo qui isole la monnaie sous sa forme fluide de moyen de circulation aboutit ai attribuer à l’accroissement et au décroissement des métaux précieux une influence absolue sur l’économie bourgeoise telle que la superstition du système monétaire ne l’avait jamais rêvée. C’est ainsi que Ricardo, qui proclame le papier monnaie la forme la plus achevée de la monnaie, devint le prophète des Bullionistes.

Après que la théorie de Hume, ou l’antithèse abstraite du système monétaire, eut été ainsi développée jusqu’à sa dernière conséquence, la conception concrète de la monnaie qu’avait eue Steuart fut réintégrée dans ses droits par Thomas Tooke[39]. Tooke ne déduit pas ses principes d’une théorie quelconque mais d’une analyse consciencieuse de l’histoire des prix de 1793 à 1856. Dans la première édition de son histoire des prix, parue en 1823, Tooke est entièrement imbu encore de la théorie ricardienne et il s’efforce vainement à faire concorder les faits avec cette théorie. On pourrait même considérer son pamphlet On the Currency, qui parut après la crise de 1825, comme le premier exposé conséquent des vues que Overstone a fait prévaloir plus tard. Toutefois des recherches soutenues sur l’histoire des prix le contraignirent à reconnaître que cette connexion directe entre les prix et la quantité des moyens de circulation, sous-entendue par la théorie, est une chimère de l’esprit ; que l’expansion et la contraction des moyens de circulation, la valeur des métaux précieux restant constante, sont toujours l’effet, jamais la cause des fluctuations des prix ; que la circulation de l’argent, en général, n’est qu’un moment secondaire et que l’argent dans le procès de production réel revêt encore de tout autres formes déterminées que celle de moyen de circulation. Ses recherches de détail n’appartenant pas à la sphère de la circulation métallique simple ne peuvent pas être discutées ici, non plus que les recherches dans le même ordre d’idées de Wilson et de Fullarton[40]. Ces écrivains n’envisagent pas l’argent sous un aspect unique ; ils le conçoivent bien dans ses différents moments, mais d’une manière mécanique, sans liaison vivante aucune, soit de ces moments entre eux, soit avec le système total des catégories économiques. C’est pourquoi ils confondent à tort l’argent, distingué du moyen de circulation, avec le capital, voire avec la marchandise, quoique, d’autre part, ils se voient contraints, à l’occasion, de le différencier de l’un et de l’autre[41]. Quand, par exemple, on envoie de l’or à l’étranger, c’est en fait du capital qu’on y envoie, mais la même chose arrive quand on exporte du fer, du coton, du blé, bref, n’importe quelle marchandise. Tous deux sont du capital et ne se distinguent donc pas en tant que capital, mais en tant que monnaie et marchandise. Le rôle de l’or quand il sert de moyen d’échange international ne dérive donc pas de sa forme capital mais de sa fonction spécifique comme monnaie. Et pareillement, quand l’or, ou à sa place des billets de banque, servent de moyens de paiement dans le commerce intérieur, ils sont en même temps du capital. Mais du capital sous forme de marchandises ne pourrait pas les remplacer ainsi que le montrent les crises d’une façon palpable. C’est donc encore une fois parce que l’or, en tant que monnaie, se distingue de la marchandise, et non parce qu’il existe sous forme du capital, que l’or devient moyen de paiement.

Même là où le capital est exporté directement comme capital, pour prêter à intérêts une certaine somme à l’étranger, il dépend des conjonctures qu’il soit exporté sous forme, de marchandise ou d’or, et s’il est exporté sous la dernière forme, c’est à cause de la forme spécifique déterminée que revoient les métaux précieux comme monnaie vis-à-vis des marchandises. Ces écrivains, en général, ne considèrent pas en premier lieu l’argent sous son aspect abstrait, tel qu’il se développe dans l’enceinte de la circulation simple des marchandises et qu’il sort des rapports même des marchandises évoluantes. Ils oscillent donc continuellement entre les formes abstraites qu’acquiert l’argent par opposition à la marchandise et ses formes déterminées sous lesquelles se cachent des rapports plus concrets, tels que le capital, le revenu et autres[42].

    nouvellement découvertes. Voici un aperçu des prix de l’argent sur le marché de Londres.

    Prix de l’argent par once
    Année Mars Juillet Novembre
    1852 60 1/8 pence 61 1/4 pence 61 7/8 pence
    1853 61 3/8 pence 61 1/2 pence 61 7/8 pence
    1854 61 7/8 pence 61 3/4 pence 61 1/2 pence
    1855 60 7/8 pence 61 1/2 pence 60 7/8 pence
    1856 60 pence 61 1/4 pence 62 1/8 pence
    1857 61 3/4 pence 61 5/8 pence 61 1/2 pence
    1858 61 5/8 pence

  1. L’or est une chose merveilleuse ! Qui le possède est maître de tout ce qu’il désire. Au moyen de l’or on peut même ouvrir aux âmes les portes du Paradis ». Colombe, Lettre de la Jamaïque, 1503 (Note de la 2e éd. Cf. le Capital, vol. I, ch. iii, p. 54, éd. française).
  2. Hume admet d’ailleurs que cette compensation est graduelle, bien que cela ne s’accorde guère avec son principe. Cf. David Hume, Essays and treatises on several subjects, éd. London, 1777, vol. 1, p. 300.
  3. Cf. Steuart, l. c., t. I, p. 394-400.
  4. David Hume, l. c., p. 300.
  5. David Hume, l. c., p. 303.
  6. David Hume, l. c., p. 308.
  7. « It is evident that the prices do not so much depend on the absolute quantity of commodities, and that of money, which are in a nation, as on that of the commodities, which can or may come to market, and of the money which circulates. If the coin be looked up in chests, it is the same thing with regard to prices, as if it were annihilated; if the commodities be hoarded in magazines and granaries, a like effect follows. As the money and commodities in these cases, never meet, they cannot affect each other. The whole (of prices) at last reaches a just proportion with the new quantity of specie which is in the kingdom », l. c., p. 307, 308, 303 (Il est évident que les prix dépendent moins de la quantité absolue des marchandises et de celle de l’argent qui se trouvent dans un pays que de la quantité des marchandises qui peuvent être apportées au marché et de l’argent qui circule. Si les espèces sont enfermées dans des caisses, l’effet est le même en ce qui est du prix, que si elles étaient détruites ; si les marchandises sont amassées dans les magasins et les greniers, l’effet est pareil. Comme dans ces cas l’argent et les marchandises ne se rencontrent jamais, ils ne peuvent pas agir les uns sur les autres. L’ensemble des prix en fin de compte atteint une juste proportion avec la nouvelle quantité de numéraire qui se trouve dans le royaume).
  8. Voir Law et Franklin sur le surplus de valeur que l’or et l’argent sont censés acquérir de leur fonction comme monnaie. Voir aussi Forbonnais (Note de la 2e éd.)
  9. Cette fiction se trouve textuellement chez Montesquieu (Note de la 2e éd.). Le passage en question est cité dans das Kapital, vol. I, 1re Section. Note 80, 4e éd., p. 88.
  10. Steuart, l. c., t. I, p. 399 seq.
  11. Steuart, l. c., t. II, p. 377-379 passim.
  12. L. c., p. 379-380 passim.
  13. « The additional coin will be locked up, or converted into plate… As for the paper money, as soon as it has served the first purpose of supplying the demand of him who borrowed it, it will return upon the debtor in it and become realised… Let the specie of a country, therefore, be augmented or diminished in ever so great a proportion, commodities will still rise and fall according to the principles of demand and competition, and these will constantly depend upon the inclinations of those who have property or any kind of equivalent whatsoever to give, but never upon the quantity of coin they are possessed of… Let the quantity of specie in a country be ever so low, while there is real property of any denomination in the country, and a competition to consume in those who passess it, prices will be high, by the means of barter, symbolical money, mutual prestations and a thousand other inventions… If this country has a communication with other nations, there must be a proportion between the prices of many kinds of merchandize there and elsewhere, and a sudden augmentation or diminution of the specie, supposing it could of itself operate the effects of raising or sinking prices, would be restrained in its operation by foreign competition », loc. cit., t. I, p. 400-402. « The circulation of every country must be in proportion to the industry of the inhabitants producing the commodities which come to market… If the coin of a country, therefore, falls below the proportion of the price of industry offered to sale, inventions, like symbolical money, will he fallen upon, to provide for an equivalent for it. But if the specie be found above the proportion of industry, it will have no effect in raising prices, nor will it enter into circulation it will be hoarded up in treasures… Whatsoever be the quantity of money in a nation, in correspondence with the rest of the world, there can never remain, in circulation, but the quantity nearly proportional to the consumption of the rich and to the labour and industry of the poor inhabitants », and this proportion is not determined « by the quantity of money actually in the country » (loc. cit., p. 403-408 passim). « All nations will endeavour to throw their ready money, not necessary for their own circulation, into that country where the interest of money is high with respect to their own », loc. cit., t. II. p. 5. « The richest nation in Europe may be the poorest in circulating specie », loc. cit., t. II, p. 6. (Le numéraire additionnel sera mis sous clef ou transformé en vaisselles d’or et d’argent… Quant au papier monnaie, dès qu’il aura servi à satisfaire la demande de celui qui l’a emprunté il retournera à qui l’a émis et sera réalisé… Que les espèces d’un pays aient donc augmenté ou diminué dans une proportion aussi grande qu’on voudra, les marchandises n’en continueront pas moins à hausser et à baisser selon les principes de la demande et de la concurrence, et celles-ci dépendront constamment des dispositions de ceux qui ont de la propriété ou des équivalents quelconques à offrir, mais jamais de la quantité du numéraire qu’ils possèdent. Quelque petite que soit la quantité d’espèces dans un pays, aussi longtemps qu’il y a de la propriété réelle dans le pays et une concurrence chez eux qui la possèdent, les prix seront élevés par suite du troc, de la monnaie symbolique, des prestations mutuelles et mille autres inventions… Si ce pays a des relations avec d’autres nations, il faut qu’il existe une proportion entre les prix de plusieurs genres de marchandises là et ailleurs et une augmentation ou une diminution subite des espèces, en admettant qu’elle pût d’elle-même opérer la hausse ou la baisse des prix serait entravée dans son action par la concurrence étrangère », loc. cit., t. I, p. 400-402. « La circulation de chaque pays doit être proportionnée à l’industrie des habitants qui produisent les marchandises portées au marché…Si le numéraire d’un pays tombe au-dessous de la proportion du prix du travail à vendre, on recourra à des inventions comme la monnaie symbolique, pour fournir un équivalent du numéraire. Mais si les espèces se trouvent être au-dessus de la proportion du travail, elles n’influeront pas sur la hausse des prix et elles n’entreront pas dans la circulation. Elles seront thésaurisées… Quelle que soit la quantité d’argent dans un pays en relation avec le reste de l’univers, il ne peut jamais demeurer dans la circulation que la quantité à peu près proportionnelle à la consommation des riches et au travail industrieux des habitants pauvres, et cette proportion n’est pas déterminée par la quantité d’argent qui se trouve effectivement dans le pays. » (loc. cit., p. 403-408 passim).

    « Toutes les nations essaieront de déverser les espèces qui ne sont pas requises par leur propre circulation dans le pays où l’intérêt de la monnaie est élevée par rapport au leur  », loc. cit., t. II, p. 25. « La nation la plus riche de l’Europe peut être la plus pauvre en espèces circulantes », loc. cit., t. II, p. 6.

    (Voir la polémique contre Steuart chez Arthur Young. Dans le Capital, trad. française, vol. I, section p. 51, Marx

    dit : « La théorie de Hume, d’après laquelle « les prix dépendent de l’abondance de la monnaie », fut défendue contre Sir James Steuart et d’autres, par A. Young dans sa Political Arithmetic, London, 1774, pp. 112 et suiv. et dans un chapitre special : prices, depend on quantity of money, p. 112 sqq. » Note de Kautsky, 2e éd.)
  14. Steuart, loc. cit., t. II, p. 370. Louis Blanc transforme « la monnaie de la société », ce qui signifie tout bonnement la monnaie de l’intérieur ou nationale, en monnaie socialiste, ce qui ne signifie rien du tout, et conséquemment ; il fait de Jean Law un socialiste. Voir son premier volume de la Révolution Française).
  15. Maclaren, loc. cit., p. 43 seq. Le patriotisme a porté un auteur allemand (Gustav Julius), mort trop tôt, à opposer le vieux Busch à l’école ricardienne, comme une autorité. Busch a traduit l’anglais génial de Steuart en patois hambourgeois et il a gate l’original aussi souvent que possible.
  16. Ceci n’est pas exact. Adam Smith exprime correctement la loi en plusieurs endroits. Cf. le Capital, vol. I, section I, note 78, 4e édit., p. 87 (Note de Kautslry).

    (Voici la note où Marx dit : « Dans mon livre : Zur Kritik, etc., p. 183, j’ai dit qu’Adam Smith passa sous silence cette question de la quantité de la monnaie courante. Cela

    n’est vrai cependant qu’autant qu’il traite la question de l’argent ex professo. À l’occasion, par exemple dans sa critique des systèmes antérieurs d’économie politique, il s’exprime correctement à ce sujet : « La quantité de monnaie dans chaque pays est réglée par la valeur des marchandises qu’il doit faire circuler… La valeur des articles achetés et vendus annuellement dans un pays requiert une certaine quantité de monnaie pour les faire circuler et les distribuer à leurs consommateurs et ne peut en employer davantage. Le canal de la circulation attire nécessairement une somme suffisante pour le remplir et n’admet jamais rien de plus ».)
  17. Aussi la différence entre « currency » et « money », c’est-à-dire le moyen de circulation et l’argent ne se trouve-t-elle pas dans le « Wealth of Nations ». Trompé par l’impartialité apparente d’Adam Smith qui connaissait fort bien son Hume et son Steuart, l’honnête Maclaren dit : « The theory of the dependence of prices on the extent of the currency had not as yet attracted attention ; and Doctor Smith like M. Locke, considere metallic money nothing but a commodity. » Maclaren, loc. cit., p. 44. (La théorie de la dépendance des prix de la quantité des moyens de circulation n’avait pas encore attiré l’attention, et le Docteur Smith, de même que Monsieur Locke (Locke varie dans sa manière de voir) considère la monnaie métallique comme rien d’autre qu’une marchandise).
  18. David Ricardo : « The high price of Bullion, a proof of the depreciation of Banknotes », 4e édition, London, 1811. (La première édition parut en 1809). Et encore : Reply to M. Bosanquet’s practical observations on the report of the bullion committee. London, 1811.
  19. David Ricardo : On the principles of political economy, etc., p. 77. « Their value (of metals) like that of all other commodities depends on the total quantity of labour necessary to obtain the metal and to bring it to market ». (La valeur des métaux précieux, ainsi que celle de toutes les autres marchandises, dépend de la quantité de travail nécessaire pour les obtenir et pour les porter au marché).
  20. Loc. cit., p. 77, 180, 181.
  21. Ricardo, loc. cit., p. 421. « The quantity of money that can be employed in a country must depend on its value : if gold alone were employed for the circulation of commodities, a quantity would he required, one fifteenth only of what would be necessary, if silver were made use of for the same purpose ». (La quantité de monnaie employée dans un pays dépend de sa valeur. Si l’or seul circulait, il en faudrait quinze fois moins que si l’argent était seul employé.) Voir aussi : Proposals for an economical and secure currency : Ricardo, London, 1816, p. 17, 18, où il dit : « The amount of notes in circulation depends on the amount required for the circulation of the country ; which is regulated… by the value of the standard of money, the amount of payments, and the economy practised in effecting them ». (La quantité des billets qui circulent dépend de la quantité qui est requise pour la circulation du pays, et cette quantité est réglée par la valeur de l’étalon de la monnaie, le montant des paiements et l’économie pratiquée dans leur réalisation).
  22. Ricardo, Principles of political economy, p. 432-433.
  23. David Ricardo, Reply to M. Bosanquet’s practical observations, etc., p. 49. « That commodities would rise or fall in price, in proportion to the increase or diminution of money, I assume as a fact which is incontrovertible ». (Que le prix des marchandises hausserait ou baisserait proportionnellement à l’accroissement ou à la diminution de la monnaie je le pose comme un fait incontestable.)
  24. David Ricardo : The high price of Bullion, etc. « Money would have the same value in all countries ». Dans son Économie politique Ricardo a modifié cette proposition mais non pas d’une façon à entrer en ligne de compte ici.
  25. Loc. cit., p. 3-4.
  26. Loc. cit., p. 4.
  27. « An unfavourable balance of trade never arises but from a redundant currency ». Ricardo, loc. cit., pp. 11-12.
  28. « The exportation of the coin is caused by its cheapness, and is not the effect but the cause of an unfavourable balance », loc. cit., p. 44. (L’exportation du numéraire est causée par son bon marché et n’est point l’effet mais la cause d’un bilan défavorable.)
  29. Loc. cit., p. 17.
  30. Ricardo, loc. cit., p. 74, 75. « England, in consequence of a bad harvest, would come under the case of a country having been deprived of a part of its commodities, and, therefore, requiring a diminished amount of circulating medium. The currency which was before equal to the payments would now become super abundant and relatively cheap in proportion of her diminished production. The exportation of this sum, therefore, would restore the value of the currency to the value of the currencies of other countries ». (« L’Angleterre, par suite d’une mauvaise récolte, se trouverait dans le cas d’un pays qui aurait été privé d’une partie de ses marchandises et qui aurait besoin d’une quantité moindre de moyens de circulation. La currency qui auparavant était adéquate aux paiements deviendrait surabondante et relativement bon marché proportionnément à sa production diminuée. L’exportation de cette somme ramènerait la valeur de la currency à la valeur des currencies des autres pays »). La confusion qu’il fait entre l’argent et la marchandise et l’argent et le numéraire prend une allure ridicule dans le passage suivant : « If we can suppose that after an unfavourable harvest, when England has occasion for au unusual importation of corn, another nation is possessed of that article, but has no wants for any commodity whatever, it would unquestionably follow that such a nation would not export its corn in exchange for commodities : but neither would it export corn for money, as that is a commodity which no nation ever wants absolutely, but relatively », loc. cit., p. 75. (Si nous pouvons supposer qu’après une mauvaise récolte, lorsque l’Angleterre a besoin d’une importation extraordinaire de blé, il se trouve chez une autre nation une surabondance de cet article, mais nul besoin d’une autre marchandise, il s’ensuivrait incontestablement que cette nation n’exporterait pas son blé en échange de marchandises, mais elle n’exporterait pas non plus du blé pour de l’argent, puisque ce dernier est une marchandise dont une nation n’a jamais besoin absolument mais relativement).

    Pushkin dans son poème héroïque fait du père de son héros un homme incapable de comprendre que la marchandise est de l’argent. Que l’argent est une marchandise, les Russes l’ont de tout temps compris, comme le démontrent non seulement les importations de blé anglaises de 1838-1842 mais encore toute leur histoire commerciale.

  31. Cf. Thomas Tooke, History of Prices et James Wilson, Capital, currency and banking. (Ce dernier livre est une réimpression d’une série d’articles publiés en 1844, 1845 et 1847 dans le London Economist).
  32. James Deacon Hume, Letters on the corn laws, London, 1854, p. 29-31.
  33. Thomas Tooke, History of prices, etc., London, 1848, p. 110.
  34. « Que les drainages pour l’exportation cesseraient tout à fait dès que seraient repris les paiements en espèces et que la currency aurait retrouvé son niveau métallique ».
  35. Cf. W. Blake, Les observations, etc., citées plus haut.
  36. James Mill, Elements of political economy.
  37. Loc. cit., p. 128-136 passim.
  38. Quelques mois avant l’explosion de la crise commerciale de 1857, un comité de la Chambre des communes siégeait pour ouvrir une enquête sur les effets des Bank Acts de 1844 et 1845. Dans son rapport Lord Overstone, le père théorique de ces lois, se laissa aller à la fanfaronnade suivante : « By strict and prompt adherence to the principles of the act of 1844, everything has passed off with regularity and ease ; the monetary system is safe and unshaken, the prosperity of the country is undisputed, the public confidence in the wisdom of the act of 1844 is daily gaining strength; and if the committee wish for further practical illustration of the soundness of the principles on which it rests, or of the beneficial results which it has assured, the true and sufficient answer to the committee is, look around you : look at the present state of trade of the country, look at the contentment of the people; look at the wealth and prosperity which pervades every class of the community; and then, having done so, the committee may be fairly called upon to decide whether they will interfere with the continuance of an act under which these results have been developed ». (Grâce à l’observation stricte et prompte des principes de l’acte de 1844, les choses se sont passées avec régularité et facilité ; le système monétaire est assuré et nullement ébranlé ; la prospérité du pays est incontestée, la confiance publique dans la sagesse de l’acte de 1844 grandit tous les jours, et si le comité désire d’autres illustrations pratiques de la sûreté des principes sur lesquels il repose, ou des bienfaisants résultats qu’il a donnés, la vraie et suffisante réponse au comité est : regardez autour de vous ; voyez l’état actuel du commerce du pays, voyez le contentement du peuple ; voyez la richesse et la prospérité qui règnent dans chaque classe de la communauté et quand vous aurez regardé autour de vous, on pourra loyalement inviter le comité à décider s’il doit s’opposer au maintien d’un acte qui a donné de tels résultats). C’est ainsi que Overstone emboucha sa trompette le 14 juillet 1857 ; le 15 novembre de la même année le ministère a dû suspendre sous sa propre responsabilité l’acte miraculeux de 1841.
  39. Tooke ignorait complètement l’écrit de Steuart, comme le prouve la History of prices from 1839-1847, London, 1848, où il résume l’histoire des théories de la monnaie,
  40. L’écrit le plus important de Tooke, outre la History of prices que son collaborateur a édité en six volumes, est : An Inquiry into the currency principte, the connexion of currency with prices, etc., 2e édition, London, 1844. Nous avons déjà cité l’écrit de Wilson. Il nous reste enfin à mentionner John Fullarton : On the regulation of currencies, 2e édition, London, 1845.
  41. « We ought to… distinguish… between gold… as marchandise, i.e. as capital, and gold… as currency ». (Il convient de distinguer entre l’or comme marchandise, c’est-à-dire comme capital et l’or comme moyen de circulation) Tooke, An Inquiry into the currency principle, etc., p. 10. « Gold and silver may be counted upon to realise on their arrival nearly the exact sum required to be provided… gold and silver possess an infinite advantage over all other description of merchandize… from the circumstance of being universally in use as money… It is not in tea, coffee, sugar or indigo that debts, whether foreign or domestic, are usually contracted to be paid, but in coin : and the remittance, therefore, either in the identical coin designated, or in bullion which can he promptly turned into that coin through the mint or market of the country to which it is sent, must always afford to the remitter, the most certain, immediate, and accurate means of affecting this object, without risk of disappointment from the failure of demand or fluctuation of price. » Fullarton, loc. cit., p. 132-133. (On peut compter sur l’or et l’argent pour réaliser à leur arrivée presque l’exacte somme nécessaire… l’or et l’argent possèdent un avantage infini sur toutes les autres marchandises… parce qu’ils servent universellement de monnaie… Ce n’est pas en thé, café, sucre ou indigo qu’on contracte ordinairement le paiement des dettes à l’étranger et à l’intérieur, mais en espèces, et le paiement, soit dans l’identique numéraire désigné, soit en lingot qu’on peut promptement convertir en ce numéraire au marché ou à la Monnaie du pays où il est expédié, offrira toujours à l’expéditeur le moyen le plus sûr, le plus direct, le plus exact pour remplir ce but sans risque de déception causée par la fluctuation du prix). « Any other article (except gold or silver) might in quantity or kind be beyond the usual demand of the country which it is sent ». (Tout autre objet (que l’or et l’argent) pourrait dépasser par la quantité ou la qualité la demande ordinaire du pays où il est expédié) Tooke, An Inquiry, etc.
  42. Nous étudierons la transformation de l’argent en capital dans le troisième chapitre, lequel traite du capital et clôt cette première section.

    note du traducteur

    L’Écrit, Zur Kritik der politischen Oekonomie (Contribution à la Critique de l’Économie politique) publié par Karl Marx en 1859, 12 ans après la Misère de la Philosophie et 8 ans avant das Kapital, ouvre la série des ouvrages dans lesquels il étudie et dévoile « la loi économique du mouvement de la société moderne ». Dans le premier chapitre du Capital, l’auteur a résumé, en modifiant son plan d’exposition, le contenu de la Critique mais de telle manière que nombre

    de points simplement indiqués dans la Critique sont amplement développés dans le Capital tandis que d’autres complètement développés dans la Critique ne sont plus qu’indiqués dans le Capital. C’est ainsi que l’histoire de la théorie de la valeur et de la monnaie qui forme une partie importante du premier ouvrage a été écartée du second. Le Capital fait donc suite à la Critique mais il ne la remplace pas. L’un est le complément de l’autre.

    Dans la Critique de l’Économie politique comme dans le Capital, la méthode de Karl Marx est la méthode dialectique. Il fait la matière sienne dans tous ses détails, il en analyse les diverses formes de développement et en découvre le lien intime. Une fois cette tache accomplie, mais seulement alors, il expose le mouvement réel dans son ensemble. Et parce qu’il y réussit et que la vie de la matière se réfléchit dans sa reproduction idéale, ce mirage fait croire à une construction a priori. (Voir la Postface du Capital, trad. franc. p. 350.)

    Après que l’auteur a analysé la marchandise, montré la genèse et résolu l’énigme de la forme monnaie, il expose le développement et le caractère historique des théories sur la marchandise et la monnaie. Il examine une forme de société historique déterminée, la loi de la valeur supposant pour son complet développement la société de la grande production industrielle et de la libre concurrence, c’est-à-dire, la société bourgeoise moderne. Il passe en revue les doctrines des économistes attitrés ; il démontre les erreurs des uns, l’insuffisance et le peu de profondeur des autres ; il met à nu leur inconsciente hypocrisie et dénonce leur empêtrement dans les notions et les préventions bourgeoises. C’est ainsi que Ricardo, qui dissèque l’économie bourgeoise avec une singulière acuité théorique, considère la forme bourgeoise comme la forme naturelle et éternelle du travail.

    Dans la célèbre Préface de Zur Kritik, Karl Marx formule pour la première fois la conception matérialiste de l’histoire et donne quelques indications sur le cours des études politiques et économiques qui l’ont conduit au résultat général suivant : « Le mode de production de la vie matérielle conditionne le procès de vie social,

    politique et intellectuel en général. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine la réalité, c’est au contraire la réalité sociale qui détermine leur conscience ».

    L’ébauche de l’Introduction à une Critique de l’Économie politique, trouvée dans les manuscrits laissés par l’auteur, a été publiée pour la première fois par Karl Kautsky dans la revue, Die Neue Zeit, en 1903, puis réimprimée dans la seconde édition de Zur Kritik, parue en 1907. C’est à cette Introduction, dont la traduction est donnée en supplément dans ce volume, que Marx fait allusion dans sa Préface lorsqu’il dit : « Je supprime une Introduction générale que j’avais jetée sur le papier, parce que, après y avoir bien réfléchi, il me paraît qu’anticiper sur des résultats qu’il reste encore à démontrer, ce serait dérouter le lecteur ».

    Dans l’avant propos à la 2e édition de Zur Kritik, Karl Kautsky dit au sujet de cette Introduction « Malgré qu’un demi-siècle se soit écoulé depuis que l’Introduction fut écrite ; malgré que Marx et Engels aient depuis lors exposé dans le détail et consolidé leur philosophie, ainsi que leur conception de l’histoire et du mode de production capitaliste, et qu’ils en aient fait l’application de la manière la plus pénétrante dans les directions les plus diverses ; malgré tout cela le petit morceau de l’Introduction, avec ses indications fragmentaires et inachevée nous apporte une ample moisson de vues nouvelles. S’il n’anticipe plus sur des résultats encore à démontrer, en revanche, il donne de la profondeur et de la clarté à nos idées sur les résultats acquis. L’Introduction enrichit éminemment la littérature marxiste et rehausse par là la valeur de ce livre ».

    (N. D. T.)