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Conversations des gens du monde/Les Visites du Jour de l’An

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Conversations des gens du monde dans tous les tems de l’annéeImprimerie PolytypeTome I (p. 1-80).


LES VISITES
DU
JOUR DE L’AN.


PREMIÈRE JOURNÉE.

PERSONNAGES.

Séparateur


LA VICOMTESSE DE VERCOURT.
LE COMTE D’ORSOY.
LA MARQUISE DE GUERSON.
L’ÉVÊQUE.
Madame GAZIN, Marchande de Modes.
HENRIETTE, Femme-de-Chambre de la Vicomtesse.
DUBOIS, Valet-de-Chambre de la Vicomtesse.
LE CHEVALIER DE SANT-AVREL
LA DUCHESSE D’AUNIS.
DUVAL, Valet-de-Chambre de la Duchesse.
LE COMMANDEUR.
LA MARQUISE DE CLERCY.
LA BARONNE DE BLEZIERES.
LA COMTESSE DE SOURVILLE.
L’ABBÉ.
DUBUT, Valet-de-Chambre de la Marquise.
DES LAQUAIS.


La Scene est en différens Endroits.

Scène première.

LA VICOMTESSE, LE COMTE, DUBOIS.
Dubois.

Monsieur le Comte d’Orsoy.

La Vicomtesse.

Comment, Comte ! c’est une visite du jour de l’an que vous me faites !

Le Comte.

Sans doute, Madame : je voulois venir hier ; mais il m’a été absolument impossible. N’êtes-vous pas enrhumée ?

La Vicomtesse.

Je ne sais pas, j’ai la tête prise, je n’ai pas dormi de la nuit ; cela est affreux !

Le Comte.

C’est ce tems-là.

La Vicomtesse.

Pour moi, je le crois.

Le Comte.

Vous pouvez en être certaine.

La Vicomtesse.

Croyez-vous que cet hiver soit long ?

Le Comte.

Je n’en sais rien ; tout ce que je puis vous dire, c’est que les chevaux ne tiennent pas sur le pavé ; j’ai cru que je n’arriverois jamais jusqu’ici.

La Vicomtesse.

Il est vrai qu’il y a de la barbarie à sortir par un pareil tems : on risque ses chevaux, & puis le Cocher, les Laquais… J’irai pourtant demain à la Comédie.

Le Comte.

Et vos Chevaux resteront à l’air par ce tems-là ?

La Vicomtesse.

Que voulez-vous, j’ai ma Loge.

Le Comte.

Est-ce qu’il y a une Pièce nouvelle ?

La Vicomtesse.

Mondieu non ; ce sera peut-être quelque vieillerie, & les mauvais Acteurs, encore : mais c’est pour ma belle-fille ; car moi…

Le Comte.

Ah ! oui, j’entends. Et est-elle à Versailles, aujourd’hui ?

La Vicomtesse.

Oui, elle y est allé coucher hier, & son mari y est allé ce matin.

Le Comte.

A propos, & les cordons bleus ?

La Vicomtesse.

Eh bien, y en a-t’il ?

Le Comte.

Mais sûrement, il doit y en avoir ; on veut absolument que le Marquis le soit.

La Vicomtesse.

Cela est fort nécessaire.

Le Comte.

Il sera cause qu’il y en aura quatre.

La Vicomtesse.

Je ne saurois m’intéresser à tout cela, dans ce moment-ci, il n’y a pas un des miens sur le trotoir.

Le Comte.

Les Gens en place absorbent tout. On dit, d’ailleurs, que ce n’est pas une grace militaire ; mais je n’irai pas, à présent, me faire courtisan pour l’avoir. Ne trouvez-vous pas que je serois un joli novice, à mon âge.

La Vicomtesse.

Cela ne devroit pas vous arrêter.

Le Comte.

Ma foi, je n’en sais rien.


Scène II.

LA VICOMTESSE, LA MARQUISE, LE COMTE, DUBOIS.
Dubois.

Madame la Marquise de Guerson.

La Vicomtesse.

Quoi, Marquise, c’est vous ?

La Marquise.

Oui, vraiment, c’est moi-même.

La Vicomtesse.

Savez-vous que je vous trouve bien brave, de sortir par ce tems-là !

La Marquise.

Mais, pas mal.

La Vicomtesse.

Mettez-vous donc dans ce fauteuil, Marquise ; vous ne verrez pas le feu.

La Marquise.

Je suis fort bien ici. Ah çà, que je vous dise donc.

La Vicomtesse.

Qu’est-ce que c’est ? Tenez, approchez-vous un peu, par ici. Comte, donnez-lui ce petit écran, non, l’autre.

La Marquise.

Je n’en ai pas besoin.

La Vicomtesse.

Allons, dites à présent.

La Marquise.

Ce sont les étrennes de la Vidame : vous les a-t’on dit ?

La Vicomtesse.

Non vraiment, à propos ?

La Marquise.

Vous ne devineriez jamais : on ne sait pas d’où cela lui vient ; mais elle a reçu hier au soir une grosse buche de bois de compte avec son écorce, le tout très-bien imité, en parfilage.

Le Comte.

Ah ! ah ! celui-là est neuf & de la saison.

La Vicomtesse.

Qu’est-ce qui a pu imaginer cela ?

La Marquise.

Je vous dis, on n’en sait rien. Il y a encore quelque chose, attendez donc que je me souvienne. Ah ! c’est le portrait de son Médecin en buste.

La Vicomtesse.

Aussi en parfilage ?

La Marquise.

Sans doute, vous savez qu’elle l’aime beaucoup.

Le Comte.

Il doit être fort ressemblant ; car il est assez jaune, le cher Docteur.

La Marquise.

Ah ! n’en dites pas de mal.

Le Comte.

Moi, je l’aime autant que la Vidame ; parce qu’il mange fort & qu’il boit de même.

La Vicomtesse.

En vérité, vous êtes charmante d’être venue.

La Marquise.

Cela ne plaisoit pas trop à mes Gens, que je sortisse ; mais j’ai pensé qu’aujourd’hui que tout le monde est à Versailles, je ne verrois personne que des gens dont je ne me soucie pas ; car je n’ai jamais su faire une liste, & je n’ai pas voulu faire fermer ma porte & risquer de m’ennuyer toute seule.

Le Comte.

Mais vous avez votre beau-frère l’Abbé.

La Marquise.

Oui, qui me dit toujours les mêmes choses, ou bien des nouvelles du coin de la rue, qui n’ont pas le sens commun, qui ne sont jamais vraies, & sur quoi il faut que je dispute ; en vérité, cela m’excède & m’abîme la poitrine !

La Vicomtesse.

Mais, Madame, savez-vous qu’on a trouvé dans Nostradamus que nous aurions un hiver aussi rigoureux que celui de sept cent neuf ?

La Marquise.

Cela pourroit bien être ; car ce tems-là est cruel ! Je ne sais si la rivière charie ; mes Gens me l’ont sûrement dit, ils savent tout cela eux ; mais je ne me le rappelle pas.

La Vicomtesse.

Vous avez la un beau manchon.

La Marquise.

Je ne l’aime pas trop ; c’est ma fille qui me l’a donné ; on dit que c’est la mode.

La Vicomtesse.

Eh bien, Comte, où allez-vous donc ? attendez un moment.

Le Comte.

Non, il faut que j’aille voir le Maréchal ; c’est mon ancien ami ; & depuis quarante-cinq ans, nous nous voyons toujours le premier jour de l’an, sans y manquer, ou chez lui ou chez moi, & je suis sûr de le trouver ; car je sais qu’il a la goutte.

La Vicomtesse.

Dites-lui bien, je vous prie, que j’irai le voir, quand il ne fera plus ce tems-là, quand on pourra sortir.

Le Comte.

Oui, oui.


Scène III.

LA MARQUISE, LA VICOMTESSE.
La Vicomtesse.

Savez-vous ce qu’il me disoit, le Comte, quand vous êtes arrivée ?

La Marquise.

Non ; qu’est-ce que c’est ?

La Vicomtesse.

Qu’il avoit renoncé au cordon bleu.

La Marquise.

Celui-là est excellent !

La Vicomtesse.

Et il l’a demandé quinze ans de suite.

La Marquise.

On n’a jamais voulu lui donner, n’est-ce pas ?

La Vicomtesse.

Non, vraiment ; à-propos de quoi lui donneroit-on ?

La Marquise.

Ah ! voilà l’Évêque.


Scène IV.

La VICOMTESSE, LA MARQUISE, L’ÉVÊQUE.
La Vicomtesse.

Bon jour, Monseigneur.

L’Évêque.

Mesdames, je vous salue.

La Marquise.

Arrivez-vous de Versailles ?

L’Évêque.

Oui, vraiment.

La Vicomtesse.

Approchez-vous donc du feu.

L’Évêque.

Je n’ai pas trop froid ; il est vrai que j’avois dans ma voiture, une boule d’étain, une peau d’ours, mon Neveu & deux Grands-Vicaires.

La Marquise.

Eh bien, l’Abbaye ?

L’Évêque.

Je n’ai pas eu celle que je voulois.

La Vicomtesse.

Comment donc ?

L’Évêque.

Ils m’en ont donné une autre.

La Marquise.

Et, est-elle bonne ?

L’Évêque.

Je ne sais pas trop, on m’a dit de vingt-cinq à trente.

La Vicomtesse.

C’est-à-dire quarante ?

L’Évêque.

Mais, à peu près.

La Marquise.

Je ne conçois pas comment, vous qui passez votre vie à la Cour, sans avoir de charge qui vous oblige d’y être, comment on ne vous traite pas mieux que cela.

L’Évêque.

A dire vrai, cela a un peu étonné.

La Vicomtesse.

Mais, toutes les femmes devoient solliciter vivement pour vous.

L’Évêque.

Elles me disoient bien qu’elles avoient parole…

La Marquise.

Oui, parole !

L’Évêque.

Aussi elles ont été furieuses ; car je leur ai dit, eh bien ! Mesdames, vous étiez si certaines que j’aurois l’Abbaye de Saint-Etienne ; vous voyez ce qui m’arrive.

La Vicomtesse.

Elles n’ont sçu que dire !

L’Évêque.

Elles ne vouloient pas que je prisse celle qu’on m’a donnée.

La Marquise.

Ah ! cependant…

L’Évêque.

Vous sentez bien que je n’ai pas voulu bouder ; je le pouvois pourtant, car mon Neveu n’a eu qu’un Prieuré de douze mille livres.

La Vicomtesse.

C’est-à-dire quinze ?

L’Évêque.

Non, dix-huit.

La Marquise.

Il faut commencer par quelque chose.

L’Évêque.

Madame, un homme de qualité comme lui, devoit avoir mieux que cela.

La Vicomtesse.

Il n’est pas encore fort répandu.

L’Évêque.

Vraiment non, & il est timide encore : voilà ce que je lui reproche tous les jours. J’espère que ceci sera une bonne leçon pour lui, & que cela lui fera faire quelques réflexions.

La Marquise.

Et vous avez été obligé de remercier pour tout cela ?

L’Évêque.

Il a bien fallu ; c’est l’usage.

La Vicomtesse.

Et avez-vous été à la Chapelle ?

L’Évêque.

Sûrement, & j’y ai eu bien froid.

La Vicomtesse.

Je le crois bien ; car le Docteur ne veut pas que j’aie des fleurs dans ma chambre à coucher la nuit, & mon lilas a gelé chez Henriette

L’Évêque.

C’est que vous verrez qu’elle l’aura craint autant que vous, & qu’elle l’aura mis sur sa fenêtre.

La Vicomtesse.

Ah ! non ; c’est une fille sûre, elle m’est trop attachée pour faire une chose comme celle-là.

La Marquise.

Ah çà, Madame, je m’enfuis.

La Vicomtesse.

Comment ! pourquoi si-tôt ?

La Marquise.

C’est que ; puisque j’ai tant fait que de sortir, je veux aller chez Madame de Roumont.

La Vicomtesse.

Et pourquoi faire ? vous vous ennuierez là.

La Marquise.

Je le sais bien ; mais c’est une bonne action, & je n’y resterai qu’une minute.

La Vicomtesse.

Où souperez-vous ?

La Marquise.

Chez la Maréchale ; venez-y, Monseigneur, nous jouerons au loto.

L’Évêque.

Oui, pour y perdre mon argent, j’y suis ruiné depuis quelque tems.

La Marquise.

Vous y gagnez toujours.

L’Évêque.

Y viendrez-vous, Madame la Vicomtesse ?

La Vicomtesse.

Mais, j’en ai assez d’envie.

L’Évêque.

C’est que vous me remèneriez.

La Vicomtesse.

Je vous remènerai

L’Évêque.

Allons, j’y souperai.

La Vicomtesse.

Madame la Marquise, à tantôt.

La Marquise.

Venez de bonne-heure.

La Vicomtesse.

Oui, oui. (La Marquise sort.) Monseigneur, voulez-vous bien sonner ?

L’Évêque.

Volontiers. (il sonne, & sort.)


Scène V.

LA VICOMTESSE, DUBOIS.
La Vicomtesse.

Dubois, mes chevaux.

Dubois.

Ils sont mis, Madame.

La Vicomtesse.

Comment, ils sont mis ! le Cocher m’avoit dit que le tems étoit trop mauvais pour les faire sortir.

Dubois.

Je ne sais pas ce qu’il a dit à Madame.

La Vicomtesse.

Ah ! oui, oui, je me rappelle… faites-moi venir Henriette.

Dubois.

La voilà, Madame.

La Vicomtesse.

Allons, c’est bon. Laissez-nous.


Scène VI.

LA VICOMTESSE, HENRIETTE.
La Vicomtesse.

Mademoiselle, donnez-moi du rouge.

Henriette.

De quel numéro ?

La Vicomtesse.

De celui d’hier.

Henriette.

Madame ne le trouvoit pas beau.

La Vicomtesse.

Il est vrai, mais tout le monde m’en a fait compliment.

Henriette.

Madame, n’en aura plus de pareil.

La Vicomtesse, mettant du rouge.

Pourquoi cela ?.

Henriette.

C’est que le Marchand est mort.

La Vicomtesse.

Comment donc ?

Henriette.

Il est tombé sur la glace, il y a quelques jours ; il s’est cassé la cuisse ; il a fallu la lui couper, & il est mort entre les mains du Chirurgien qui faisoit l’opération.

La Vicomtesse.

Je parie que c’est ce Chirurgien que vous aimez tant ici.

Henriette.

Madame, c’est un très-habile homme !

La Vicomtesse.

Oui ; parce qu’il a tué ce Marchand de rouge.

Henriette.

Hélas ! le pauvre homme ! il a été enterré ce matin : il laisse quatre enfans, sa femme est grosse, & l’on a peur qu’elle ne meurre en couche.

La Vicomtesse.

Vous avez des histoires bien gaies. Avez-vous coupé ce roman ?

Henriette.

Oui, Madame.

La Vicomtesse.

Et, en avez-vous lu quelque chose ?

Henriette.

Non, Madame ; parce que comme j’allois commencer, Madame Gazin est venue.

La Vicomtesse.

Pour vous faire sa visite du jour de l’an, sans doute.

Henriette.

Elle est venue pour Madame & puis aussi pour moi : elle est là-dedans ; Madame veut-elle la voir ?

La Vicomtesse.

Oui ; faites-la entrer.

Henriette.

Entrez, entrez, Madame Gazin.


Scène VII.

LA VICOMTESSE, Mme GAZIN, HENRIETTE.
La Vicomtesse.

Bonjour, Madame Gazin.

Madame Gazin.

Madame, veut-elle bien me permettre de lui souhaiter une bonne & heureuse année, & de lui demander sa protection ?

La Vicomtesse.

Mais, vous savez bien que je n’achette qu’à vous, Madame Gazin.

Madame Gazin.

Il est vrai que c’est un effet de la bonté de Madame ; mais c’est pour ma Fille que je la demande aussi, parce que je vais la marier.

La Vicomtesse.

Ah ! vous allez la marier ?

Madame Gazin.

Oui, Madame ; le lendemain des Rois.

La Vicomtesse.

Et, est-ce un honnête homme qu’elle épouse, Madame Gazin ?

Madame Gazin.

Oui, Madame, & qui a une maison bien achalandée

La Vicomtesse.

Et, qu’est-ce qu’il est ?

Madame Gazin.

Marchand de Soie, rue Saint Honoré, à l’enseigne du Soleil d’or.

La Vicomtesse.

Vous le connoissiez donc, Madame Gazin ?

Madame Gazin.

Non, Madame ; c’est ma Fille qui l’aimoit depuis un an, sans m’en rien dire ; ils avoient fait connoissance à un bal le Mardi-gras. Depuis ce tems-là, il venoit tous les jours à la maison, je me doutois bien de quelque chose ; comme le parti me convenoit, pour le faire parler, je lui dis un jour, Monsieur Dufour, vous irez bientôt à la nôce ; moi, Madame, me dit-il ! Oui, vraiment, je vais marier ma fille. Je n’eus pas plutôt lâchée la parole, que le voilà qui pâlit tout d’un coup, & qui me répond, je ne sais pas trop quoi ; car il me fit tant de peine que je lui dis tout de suite, & celui qu’elle épousera est votre meilleur ami. Ma fille écoutoit, elle devint rouge comme du feu ; ils se regardèrent, ils étoient tout près de pleurer ; je ne pus pas y tenir, & je leur dis, allons, mes enfans, embrassez-vous & aimez-vous toujours bien. Voilà comme cela s’est fait, Madame la Vicomtesse.

La Vicomtesse.

Mais, vraiment ; cela est très-bien à vous. Ah ! ça, Madame Gazin, je voudrais bien avoir une pelisse.

Madame Gazin.

Il est fort aisé de vous en faire une.

La Vicomtesse.

A propos, est-ce vous avez vendu le manchon de la Marquise ?

Madame Gazin.

Oui, Madame.

La Vicomtesse.

Il est bien vilain !

Madame Gazin.

Dame, écoutez-donc ; j’étois bien embarrassée : Madame sa Fille m’a dit qu’elle n’y vouloit pas mettre beaucoup d’argent.

La Vicomtesse.

Ah ! j’entends.

Madame Gazin.

Oui, Madame ; voilà ce que c’est.

La Vicomtesse.

Elle croit qu’il est à la mode.

Madame Gazin.

Mais, vraiment ; il y étoit l’année passée. Si Madame la Vicomtesse vouloit donner des chapeaux à Madame sa fille, j’en ai de nouveaux, qui sont charmans ; ce sont des chapeaux aux étrennes ; je suis sûre qu’elle en seroit enchantée.

La Vicomtesse.

Il faut que les jeunes personnes fassent ces achats-là elles-mêmes.

Madame Gazin.

Elles n’en trouveront pas ailleurs de si jolis.

La Vicomtesse.

Adieu, Madame Gazin ; je suis bien aise de vous avoir vue.

Madame Gazin.

Madame la Vicomtesse a bien de la bonté, & puis je n’avois garde de manquer à mon devoir, sur-tout un jour comme aujourd’hui, & allant marier un fille, encore !

La Vicomtesse.

Henriette, vous allez voir avec Madame Gazin, pour ma pelisse.

Madame Gazin.

Oh ! Madame la Vicomtesse n’a que faire de s’embarrasser ; je sais ce qu’il lui faut ; elle sera contente.


Scène VIII.

LA VICOMTESSE, LE CHEVALIER, UN LAQUAIS.
La Vicomtesse.

Ah ! Chevalier, vous voilà ; vous allez venir avec moi.

Le Chevalier, lui donnant la main.

Mais en vérité, ma tante, je ne puis pas, en honneur.

La Vicomtesse.

Vous veniez me faire une visite ; eh bien ! vous me la ferez en chemin. Montez donc ! (Elle monte en carrosse.)

Un Laquais.

Où va Madame ?

La Vicomtesse.

Chez la Duchesse d’Aunis.

Le Chevalier.

Je n’entrerai donc pas avec vous.

La Vicomtesse.

Pourquoi cela ? est-ce que vous êtes brouillé avec elle ?

Le Chevalier.

Ce n’est pas cela ; mais c’est qu’elle a dit à quelqu’un qu’elle me trouvoit l’air gauche.

La Vicomtesse.

Qu’est-ce que cela vous fait ?

Le Chevalier.

Cela fait qu’on n’ose pas dire un mot, devant quelqu’un que l’on sait qui pense comme cela de vous.

La Vicomtesse.

Et, que vouliez-vous donc qu’elle en dit, puisqu’elle ne vous connoît pas ? C’est son jugement du premier instant, cela ne tire à aucune conséquence ; la nécessite de décider fait qu’on dit un mot pour un autre, il n’y a rien là d’effrayant.

Le Chevalier.

Il me semble qu’elle aurait pu mieux dire.

La Vicomtesse.

Il ne tiendra qu’à vous qu’elle change d’opinion ; ou plutôt laissez-moi faire.

Le Chevalier.

Comment ?

La Vicomtesse.

Je connois toutes ses prétentions. Ah ! elle y est, tant-mieux ! Vous allez voir. (Ils descendent & ils entrent.)


Scène IX.

LA VICOMTESSE, LA DUCHESSE, LE CHEVALIER, DUVAL.
Duval.

Madame la Vicomtesse de Vercourt, Monsieur le Chevalier de Saint-Avrel.

La Duchesse.

Quoi ! Madame la Vicomtesse, par ce tems-là !

La Vicomtesse.

Le tems n’y fait rien, Madame ; j’étois inquiète de vous.

La Duchesse.

Pourquoi donc ?

La Vicomtesse.

C’est que le Chevalier, que voilà, est arrivé hier au soir chez moi, en me disant, en vérité, je suis allarmé sur la santé de Madame la Duchesse d’Aunis ; elle étoit hier de la partie de traîneaux de la Reine, & elle toussoit beaucoup.

La Duchesse.

Cela est vrai. Comment, Monsieur le Chevalier, vous vous en êtes apperçu ?

La Vicomtesse.

Cela ne l’a pas empêché de remarquer la grâce avec laquelle vous meniez votre traîneau.

La Duchesse.

Mon cheval n’étoit pourtant pas des meilleurs.

La Vicomtesse.

Chevalier, vous avez raison, il n’y a pas de plus jolie taille que celle de la Duchesse.

La Duchesse.

Quoi ! il trouve……

La Vicomtesse.

Que vous vous mettez avec une grace, un goût, un charme…

La Duchesse.

Écoutez donc, j’en suis fort aise ; car j’ai pensé, dès la première fois que je l’ai vu, qu’il avoit un tact très-fin, & qu’il réussiroit par la tournure aisée & le ton avec lequel il est entré dans le monde ; cela n’est point du tout commun.

Le Chevalier.

Je suis très-flatté, Madame, que vous ayez eu une opinion si avantageuse de moi.

La Duchesse.

Je le disois encore tout-à-l’heure à quelqu’un de notre connoissance, et j’ajoutois, il mérite qu’on s’intéresse réellement à lui, & je ne conçois pas comment il n’a pas encore un Régiment.

Le Chevalier.

Je n’ai pas encore trop acquis le droit de m’en plaindre.

La Duchesse.

Mais, c’est qu’il faut vous montrer, faire votre cour. A propos, avez-vous dansé au dernier bal de la Reine ?

Le Chevalier.

Non, Madame, je n’y ai pas encore été.

La Duchesse.

Mais, si vous êtes farouche comme cela, vous ne serez point connu.

La Vicomtesse.

Il est timide, il se défie de lui ; il craint de faire des gaucheries.

La Duchesse.

Cela est incroyable !

La Vicomtesse.

Il dit que le ton le meilleur est celui que vous avez, par excellence, & qu’il sent qu’il en sera toujours à mille lieues.

La Duchesse.

Madame, un homme de son âge, qui distingue le ton & qui s’en occupe, n’a point à craindre de ne pas réussir.

La Vicomtesse.

Cela est vrai, Chevalier. Madame, j’espère que vous l’en corrigerez.

La Duchesse.

Oui ; mais il ne faut pas qu’il me fuie.

Le Chevalier.

Si vous me permettez, Madame, de vous faire ma cour……

La Duchesse.

C’est une chose dite ; de la confiance, & vous réussirez. Eh bien ! Madame ; quoi, déjà ?

La Vicomtesse.

Oui, vraiment ; j’ai mille choses à faire.

La Duchesse.

Vous ne songez donc pas au tems qu’il fait ?

La Vicomtesse.

Je vous répond que j’en suis effrayée. Ah ! çà, nous vous verrons Samedi ?

La Duchesse.

Sûrement. Monsieur le Chevalier y sera-t’il ?

La Vicomtesse.

Oui, oui ; je le mènerai.

La Duchesse.

Ah ! j’en serai fort aise.

La Vicomtesse.

Eh bien ! vous me conduisez ?

La Duchesse.

Allons, puisque vous le voulez, je vous laisse ; je n’ai pas encore écrit à des grands-parens de province, il faut que je m’en occupe.


Scène X.

LA VICOMTESSE, LE CHEVALIER, UN LAQUAIS. (Ils montent en carrosse).
Le Laquais.

va Madame ?

La Vicomtesse.

Chez la Marquise de Clercy.

Le Chevalier.

Je ferai encore cette visite ?

La Vicomtesse.

Sûrement. Eh bien ! croyez-vous encore que Madame d’Aunis vous trouve l’air gauche, à présent ?

Le Chevalier.

Je vous avoue que j’ai été confondu, de tout ce que vous lui avez fait croire que j’avois dit d’elle, & de mes allarmes sur ce qu’elle toussoit beaucoup dans le traîneau.

La Vicomtesse.

Vous serez bien plus surpris quand vous saurez que j’ignorois qu’elle eût été en traîneau.

Le Chevalier.

Réellement, vous l’ignoriez ?

La Vicomtesse.

Sans doute ; mais je ne risquois rien, supposé que vous vous fussiez trompé en croyant la voir, vos allarmes n’en subsistoient pas moins.

Le Chevalier.

Et, si elle va découvrir que je n’étois pas à Versailles ? si quelqu’un… ?

La Vicomtesse.

Elle soutiendra que vous y étiez, & elle ira même jusqu’à assurer qu’elle vous y a vu.

Le Chevalier.

Mais, son goût, sa grace, ce charme… Je n’ai jamais rien vu de tout cela.

La Vicomtesse.

Qu’importe ? Elle ne le croira pas moins, dira mille biens de vous, & il n’en faut pas davantage pour vous établir la meilleure réputation.

Le Chevalier.

Est-ce qu’elle n’a pas d’esprit ?

La Vicomtesse.

Elle en a ; mais elle a encore plus d’amour-propre. Votre ami le Vicomte s’étoit brouillé il y a quelque tems avec elle, il en étoit extrêmement inquiet & fâché ; il vint me conter cela. Je lui dis : prenez un couplet, bien fade, dans l’Almanach des Muses, & chantez-le lui, comme si vous l’aviez fait pour elle.

Le Chevalier.

Eh bien !

La Vicomtesse.

Cela lui réussit très-parfaitement.

Le Chevalier.

Et, si elle l’avoit trouvé, dans l’Almanach des Muses ?

La Vicomtesse.

Bon ! elle ne lit rien avec attention. Son seul livre est son miroir.

Le Chevalier.

Savez-vous, ma très-chère tante, que si vous vouliez, il ne tiendroit qu’à vous d’être méchante.

La Vicomtesse.

Voilà bien, mon neveu, ce qu’on appelle une petite idée de province.

Le Chevalier.

Vous avez raison, & j’ai tort ; sur-tout après ce que vous venez de faire pour moi.

La Vicomtesse.

Ah ! la Marquise est chez elle.

Le Chevalier.

Vous voulez que je la voie ?

La Vicomtesse.

Sans doute.

Le Chevalier.

Je n’y souperai pas, toujours.

La Vicomtesse.

Pourquoi donc ne l’aimez-vous pas ?

Le Chevalier.

C’est qu’elle est vieille, aigre & contrariante.

La Vicomtesse.

Elle n’a pas quarante ans, & vous la trouvez vieille !

Le Chevalier.

Mais…

La Vicomtesse.

Songez donc qu’elle fait faire à votre Ministre tout ce qu’elle veut, & qu’il faut cette année que vous ayez un Régiment ; mais rassurez-vous, je vous mènerai souper chez la Maréchale. (Ils entrent chez la Marquise.)


Scène XI.

LA MARQUISE, LA VICOMTESSE, LE COMMANDEUR, LE CHEVALIER.
La Vicomtesse.

Est-ce que vous sortez, Madame la Marquise ?

La Marquise.

Non, vraiment ; mais le Commandeur se plaignoit de ce que je ne reconduisois jamais personne, & je l’accompagnois jusqu’à l’escalier.

Le Commandeur.

Madame la Vicomtesse, voilà une plaisanterie de la Marquise ; vous la reconnoissez.

La Vicomtesse.

Oui, & elle va s’enrhumer avec cette plaisanterie.

La Marquise.

Je veux me corriger pour lui plaire, & je commence l’année comme je le lui avois promis.

La Vicomtesse.

Vous ne venez plus me voir, Monsieur le Commandeur.

Le Commandeur.

Madame la Marquise, vous savez bien que je n’ai fini mon quartier à Versailles que d’hier.


Scène XII.

LA MARQUISE, LA VICOMTESSE, LE CHEVALIER.
La Vicomtesse.

Savez-vous, Madame, qu’on n’a jamais vu un froid comme celui d’aujourd’hui.

La Marquise.

Je n’aime pas qu’on dise cela ; parce que j’en ai vu de plus grand ; mais aussi pourquoi sortez-vous ?

La Vicomtesse.

Parce qu’il y a mille ans que je ne vous ai vu.

La Marquise.

Et, nous avons soupé hier ensemble.

La Vicomtesse.

Oui ; mais je disois chez vous.

La Marquise.

Et, vous m’amenez-là un jeune homme, qui aimeroit bien mieux être à l’Opéra, avec toutes ces Demoiselles.

La Vicomtesse.

Vous ne le connoissez pas ; il n’est occupé que de son métier, & il préférera toujours à toutes choses, l’honneur de vous rendre ses devoirs & celui de vous faire sa cour.

La Marquise.

Il ne ressemble donc pas aux jeunes gens de ce tems-ci. Quel âge avez-vous, Monsieur le Chevalier ?

Le Chevalier.

Vingt-trois ans, Madame la Marquise.

La Marquise.

Voilà comme sont tous les jeunes gens d’à-présent, ils ont tous vingt-trois ans ; nous savons bien pourquoi ; mais cela n’y fera rien, le Roi ne veut pas faire de promotion de long-tems.

La Vicomtesse.

Mais, s’il en faisoit une, Madame la Marquise, j’espère pourtant que vous voudriez bien vous intéresser en notre faveur.

La Marquise.

Vous croyez, peut-être, que j’ai du crédit ; mais par-où mériterai-je d’en avoir ? Est-ce je suis coëffée à la mode ? est-ce que Mademoiselle Bertin me fournit des chapeaux ? est-ce que je suis habillée à l’angloise ? fais-je des cours de physique, de chimie, d’histoire naturelle ? Quel cas peut-on faire d’une femme qui n’est pas du beau monde d’aujourd’hui ?

La Vicomtesse.

On en fait le cas qu’inspire toujours le vrai mérite.

La Marquise.

Oui, c’est bien là après quoi l’on court ; la vertu, la raison, le mérite, tout cela ne vaut pas les graces. Cependant, moi, je n’en vois point dans ces buissons de fleurs, dans ces chevelures énormes, & dans tout ce linge dont on s’entortille.

La Vicomtesse.

Ah ! vous êtes charmante, Madame la Marquise ! & toujours bonne à voir & à entendre : tout ce qu’il y a de fâcheux, c’est d’être obligé de vous quitter.

La Marquise.

Où soupez-vous donc ce soir ?

La Vicomtesse.

Chez la Maréchale.

La Marquise.

Eh bien ! vous aurez de tout cela chez elle, en abondance ; la Maréchale aime les modes comme toutes nos jeunes Dames. Savez-vous qu’elle avoit un chapeau cet été, oh ! un chapeau !… Mais, elle est votre amie, à propos, je n’en dis plus rien.

La Vicomtesse.

Eh bien ! allez-vous me reconduire, comme le Commandeur ?

La Marquise.

Non, non : Je crois que Monsieur le Chevalier m’a assez vue.

La Vicomtesse.

Pourquoi donc le traitez-vous comme cela ? J’ai envie de prendre cette mauvaise plaisanterie pour un engagement de tout ce que vous voudrez bien faire pour lui.

La Marquise.

Vous savez, au moins, combien, je serois comblée de pouvoir faire tout ce que vous desirez pour vous & les vôtres.

La Vicomtesse.

Ce qu’il y a de sûr, c’est que j’aime fort à le croire. Eh bien ! où voulez-vous donc aller ? Je vous réponds que je ne sors pas que vous ne soyez assise.


Scène XIII.

LA MARQUISE, LA VICOMTESSE, LE CHEVALIER, L’ABBÉ.
La Vicomtesse.

Tenez, voilà l’Abbé, avec qui je vous laisse. Je ne vous vois plus, l’Abbé.

L’Abbé.

Madame, je sors de chez vous.

La Vicomtesse.

Vous savez bien ce que vous m’avez promis ; nous parlerons de cela une autre fois.


Scène XIV.

LA MARQUISE, L’ABBÉ.
La Marquise.

Qu’est-ce que vous lui avez donc promis, l’Abbé ?

L’Abbé.

Ma foi, Madame, je ne me le rappelle pas trop ; vous voyez que ce n’est pas un engagement bien sérieux.

La Marquise.

Elle prétend qu’il faut que son Neveu ait un Régiment, & elle croit que je dois me mêler de cela, moi.

L’Abbé.

Elle sait combien vous aimez à obliger.

La Marquise.

Ce ne sera pas elle, toujours.

L’Abbé.

Il est vrai que je ne lui crois pas beaucoup de goût.

La Marquise.

Du goût ! elle n’en a pas l’ombre,

L’Abbé.

N’est-ce pas elle qui passa une fois tout le tems du dernier Opéra dans votre loge à causer, sans en écouter un seul mot ?

La Marquise.

Elle-même ; & qui, lorsque je le lui reprochai, me dit qu’elle n’aimoit pas la musique des Opéras boufons ; & c’étoit une Tragédie.

L’Abbé.

Et mise en musique, comme il n’y en a jamais eu !

La Marquise.

Et jouée !

L’Abbé.

Ah ! ne parlons pas du jeu.

La Marquise.

Comment, Monsieur, vous n’avez pas trouvé…

L’Abbé.

Pardonnez-moi, Madame ; mais si vous aviez été en Italie, vous conviendriez que c’est trop joué.

La Marquise.

Trop joué !

L’Abbé.

Oui, Madame.

La Marquise.

Et trop bien exprimé peut-être ?

L’Abbé.

Sans doute.

La Marquise.

Je ne vous comprends pas !

L’Abbé.

Je n’en suis pas surpris. On n’aime pas assez la musique ici pour comprendre ce que je veux dire.

La Marquise.

Vous verrez que je n’aime pas la musique italienne, moi !

L’Abbé.

Non, Madame. Ceux qui aiment réellement la musique, n’ont pas besoin que l’on joue, ni que l’on exprime en chantant.

La Marquise.

Vous verrez que par là on n’en fait pas mieux sentir les beautés.

L’Abbé.

Au contraire, cette manière de chanter y nuit beaucoup.

La Marquise.

Quoi ! le jeu de l’Actrice nuit à la musique ?

L’Abbé.

Oui, Madame.

La Marquise.

Quoi ! cette expression qui passe dans votre ame & qui la pénètre…

L’Abbé.

Vous empêche de sentir toute la perfection de la musique.

La Marquise.

Vous croyez que le sentiment de l’actrice peut lui être contraire ?

L’Abbé.

Oui, vraiment. Les efforts qu’elle fait pour rendre le sentiment, nuisent à la beauté de sa voix, l’empêchent de sortir dans toute sa pureté, & font sacrifier la musique à l’expression.

La Marquise.

Vous le croyez ?

L’Abbé.

J’en suis certain ; & quand j’entends des gens se plaindre de ce qu’ils n’entendent pas les paroles, j’ai toujours envie de leur dire : Si vous voulez des paroles, allez à la Comédie Françoise, & ne venez point à l’Opéra.

La Marquise.

Vous pensez qu’il ne faut pas entendre les paroles ?

L’Abbé.

Rien ne nuit plus à la musique.

La Marquise.

Mais, comment saurai-je tout ce que la musique peint, exprime ?

L’Abbé.

Écoutez l’orchestre ; c’est là où vous le trouverez.

La Marquise.

Quoi ! la chanteuse…

L’Abbé.

Doit être immuable.

La Marquise.

Quand elle chante ?

L’Abbé.

Oui, Madame ; voilà comme on la veut en Italie ; & l’on y sait comme il faut aimer véritablement la musique.

La Marquise.

Comment, cette Didonna abandonnata, de Metastase…

L’Abbé.

Arrive, Madame, pendant la ritournelle, avec un Abbé qui lui donne la main. Quand elle est au bord du théâtre, elle lui fait la révérence ; ensuite elle salue les différens spectateurs de sa connoissance, qui sont dans les loges & qui ont quitté leur jeu & leur conversation pour l’entendre chanter.

La Marquise.

Et comment sait-on dans quelle situation elle doit se trouver ?

L’Abbé.

Tout cela est dans la ritournelle exécutée par l’orchestre. Lorsque la ritournelle est finie, alors la chanteuse déploie sa voix, sans faire le moindre geste, vous comprenez la facilité avec laquelle elle peut lui faire parcourir tous les tons qu’elle doit rendre, puisque rien ne la gêne. Voilà donc comme on peut chanter admirablement la musique la plus parfaite ; mais il faut des oreilles pour l’entendre, & non pas des yeux. Plus un sens est exquis, & moins il faut de distraction : aussi je soutiens que tous ceux qui ne se sont pas formé le goût en Italie, ne comprendront rien à l’exécution de la bonne musique. Jugez, d’après cela, comment à Paris on saura jamais l’entendre & la juger.

La Marquise.

Je commence à comprendre cela.

L’Abbé.

Tous ces prétendus amateurs qui forment deux partis dont les uns admirent un Musicien & les autres le blâment, qui se querellent sans cesse, ne savent seulement pas de quoi ils parlent.

La Marquise.

Comment, lorsqu’ils sont en guerre ?…

L’Abbé.

Ils ne se doutent pas de ce qui les divise.

La Marquise.

Vous le croyez ?

L’Abbé.

Demandez-le aux compositeurs qu’ils fêtent & qu’ils préfèrent, s’ils sont de bonne foi, ils vous le diront ; & ils vous prouveront que notre nation n’aura jamais l’oreille musicale.

La Marquise.

Mais, pourquoi cela ?

L’Abbé.

C’est que notre éducation s’y oppose.

La Marquise.

Il faudroit donc que tous les François fussent élevés en Italie.

L’Abbé.

Eh ! oui, Madame ; voilà le nœud, vous l’avez trouvé. Voyez combien nous serons toujours éloignés du vrai but !

La Marquise.

Savez-vous, l’Abbé, que cela est effrayant ?

L’Abbé.

Effrayant ? ah dites désespérant ! Je n’ose jamais y penser un seul instant.

La Marquise.

Vous avez bien raison. Je vous réponds que je ne pourrai plus entendre la musique, & que je trouve les connoissances que je croyois avoir furieusement rapetissées.

L’Abbé.

Il ne dépendra que de vous d’avoir le vrai goût.

La Marquise.

En faisant un voyage en Italie ?

L’Abbé.

Je ne vous le cacherai pas.

La Marquise.

Oh ! je le sens, il n’y a que cela. Mais dites-moi, quand je reviendrai en France ?

L’Abbé.

Vous ne pourrez pas souffrir la manière dont on y exécute la musique.

La Marquise.

J’en serai donc encore plus malheureuse ?

L’Abbé.

N’en doutez pas.

La Marquise.

Je pourrai mépriser au moins tous ceux qui n’auront pas été en Italie.

L’Abbé.

Vous en aurez acquis le droit,

La Marquise.

C’est toujours une consolation ; mais quand pourrai-je en jouir ? Je crains que ce ne soit un ridicule pour une Françoise de voyager.

L’Abbé.

Pourquoi donc ? Au contraire ; la mode pourroit en venir.

La Marquise.

Ce seroit alors une mode très-sensée.

L’Abbé.

J’entends, je crois, du monde.

La Marquise.

Nous reparlerons de tout cela une autre fois. Ah ! c’est ma nièce ; ne vous en allez pas.


Scène XV.

LA MARQUISE, LA BARONNE, L’ABBÉ, DUBUT.
Dubut.

Madame la Baronne de Blézières.

La Baronne.

Bon soir, ma tante. Ah ! voilà l’Abbé. Eh bien, ma tante, vous ne voulez pas m’embrasser ?

La Marquise.

Pardonnez-moi, mon enfant ; mais c’est que je m’arrange pour que vous ne me creviez pas les yeux avec votre chapeau.

La Baronne.

Il n’est pourtant pas bien grand. Savez-vous qu’il fait bien froid ce soir. Monsieur l’Abbé, il ne fait pas ce froid-là à Rome, j’espère.

L’Abbé.

Non, Madame.

La Baronne.

C’est que je lis l’Histoire Romaine, à présent, & je serois très-fâchée de penser que ces anciens Romains avoient eu aussi froid que nous l’avons dans ce moment-ci ; parce que, ma tante ne le croira pas, j’aime passionnément les grands-hommes de ce tems-là. Et les Grecs donc ! mais c’est que je ne saurai jamais leur langue.

La Marquise.

Ne croyez-vous pas savoir celle des Romains ?

La Baronne.

Pas tout-à-fait ; mais savez-vous que je commence à expliquer un peu l’Arioste ?

L’Abbé.

L’Arioste, Madame ?

La Baronne.

Oui ; venez me voir, & vous en jugerez. Ce qui aide à me le persuader, c’est que j’entends à merveille toutes les paroles des opéras bouffons.

La Marquise.

Vous voilà bien savante, ma nièce !

La Baronne.

Vous vous mocquez de moi, ma tante ; mais je vous réponds que cela a perfectionné mon goût pour la musique italienne, & que je n’en veux plus chanter d’autre.

L’Abbé.

Plus vous chanterez de celle-ci, & plus vous préférerez cette musique, & plus vous sentirez qu’il n’y a qu’elle.

La Baronne.

Imaginez-vous que je suis déjà si avancée, pour la manière de prononcer, qu’hier j’ai chanté trois airs de l’opéra nouveau, devant plus de douze personnes, & pas une n’a compris un mot des paroles, toutes ont cru que c’était des paroles italiennes.

La Marquise.

Mais, l’Abbé, pourquoi fait-on des opéras nouveaux sur des paroles françoises ?

L’Abbé.

Il en faut bien pour le peuple.

La Baronne.

Comment le peuple, l’Abbé ?

L’Abbé.

Quand je dis le peuple, Madame la Baronne, c’est-à-dire, les habitués de l’Opéra, qui regrettent encore la musique françoise.

La Baronne.

Il est donc vrai qu’il y a toujours de ces gens-là ?

La Marquise.

J’espère que cette génération barbare tire à sa fin.

La Baronne.

Ma tante, je meurs de froid.

La Marquise.

Eh bien ! chauffez-vous.

La Baronne.

Non ; il faut que je m’en aille : j’ai voulu vous voir un moment, sans cela je ne serois pas venue ; car il est tard.

Dubut.

Madame la Comtesse de Sourville.

L’Abbé.

Je m’enfuis.

La Marquise.

L’Abbé, je vous reverrai ?

L’Abbé.

Oui, Madame.


Scène XVI.

LA MARQUISE, LA BARONNE, LA COMTESSE.
La Comtesse.

Madame la Marquise, il faut avoir tout le désir que j’avois de venir vous chercher, pour sortir de ce tems-là ; car on ne va pas du tout.

La Marquise.

C’est bien honnête à vous.

La Comtesse.

Bonjour, mon cœur.

La Baronne.

Je m’en allois ; embrassez-moi donc.

La Comtesse.

Oui, depuis trois jours vous me délaissez ; que c’est affreux !

La Baronne.

Ne dites-donc pas de ces choses-là. Si vous saviez tout ce que j’ai fait, depuis que je ne vous ai vue ! Est-ce que je n’ai pas été obligée de courir tous les Marchands, avec ma belle-sœur.

La Comtesse.

Savez-vous que je n’ai rien trouvé de joli, cette année.

La Baronne.

Où avez-vous donc été ?

La Comtesse.

Mais, par-tout.

La Baronne.

Vous n’avez donc pas vu ce petit Secrétaire de porcelaine qui a un orgue, & qui à la fin de chaque air allume une bougie ?

La Comtesse.

Ah ! oui, cela est assez joli.

La Baronne.

Et les tablettes angloises, qui sont un nécessaire dont tous les instrumens sont ornés de portraits des Membres du Parlement d’Angleterre, avec leurs noms en anglois

La Comtesse.

Oui ; cela est instructif, par exemple. J’aime assez que le Roi d’Angleterre soit représenté sur les ciseaux.

La Baronne.

Cela vous apprend qu’il peut dissoudre le Parlement.

La Comtesse.

Et le souvenir, pour marquer les numéros du loto les plus heureux, afin d’y placer ses dauphins ?

La Baronne.

Et les bombonnières d’acier, à jour ?

La Comtesse.

J’en ai laissé tomber deux : cela se casse comme du verre.

La Baronne.

C’est la pendulle qu’il faut voir !

La Comtesse.

Comment est-elle donc ?

La Baronne.

D’abord, il n’y a point de chiffres pour marquer les heures.

La Marquise.

Et, comment sont-elles indiquées ?

La Baronne.

Par une petite Bergère assise auprès d’un rocher, d’où il sort un mouton à chaque heure ; en les comptant, on sait l’heure qu’il est. Un chien noir marque les demi-heures, un coq les quarts, & des colombes marquent les minutes en s’envolant d’un colombier. Il y a un petit Berger qui sort de derrière un buisson à toutes les heures & qui s’en retourne toujours, & il ne reste que lorsqu’il est minuit.

La Comtesse.

Qui est apparemment l’heure du berger ?

La Baronne.

Oui, je vous dis, c’est la plus jolie chose du monde !

La Marquise.

Moi, je trouve tout cela d’une bêtise affreuse !

La Baronne.

Ah ! ma tante ; c’est que vous ne l’avez pas vu ; je suis sûre que vous en seriez enchantée.

La Marquise.

Voilà ce que je ne crois pas. Vous êtes comme des pensionnaires qui ne connoissent rien que leur couvent.

La Comtesse.

En vérité, Madame, je vous assure que la Baronne a beaucoup de goût.

La Marquise.

Oui, voyez sa coëffure.

La Comtesse.

Elle est des plus à la mode.

La Marquise.

Je n’ai encore vu personne coëffé comme cela.

La Comtesse.

Je le crois bien, c’est une coëffure nouvelle d’aujourd’hui.

La Marquise.

On n’y comprend plus rien.

La Comtesse.

Ah ! mon cœur, il faut que nous allions, tout-à-l’heure, voir ensemble des chapeaux nouveaux, qu’on vient de m’indiquer.

La Baronne.

Je ne demande pas mieux.

La Marquise.

Vous arriverez bien tard, où vous irez souper.

La Baronne.

Oh ! que non.

La Comtesse.

Madame la Marquise, je suis bien aise de vous avoir trouvée.

La Marquise.

Voulez-vous souper ici, Mercredi ?

La Comtesse.

Mais……

La Marquise.

Vous regardez ma nièce pour accepter : elle y sera ; je ne vous prierois pas sans elle.

La Comtesse.

Quoi ! Madame, vous croyez…

La Marquise.

Allons, à Mercredi.

La Baronne.

Adieu, ma tante.

La Marquise.

Adieu, adieu ; quand vous verrai-je ?

La Baronne.

Mais, sûrement demain.

La Marquise.

Pour votre mari….

La Baronne.

Oh ! je ne me mêle pas de ses affaires.

La Marquise.

Madame la Comtesse, je vous laisse aller.

La Comtesse.

Ah ! Madame, rentrez donc.

La Marquise.

Puisque vous le voulez, ma nièce vous fera mes excuses.


Scène XVII.

LA COMTESSE, LA BARONNE, UN LAQUAIS.
La Comtesse.

J’ai imaginé les chapeaux pour vous tirer de chez la Marquise.

La Baronne.

Quoi, réellement, il n’y en a pas de nouveaux ?

La Comtesse.

Non ; mais j’étois impatientée de son humeur.

La Baronne.

Oh ! moi, j’y suis accoutumée. (Elles montent en carrosse.)

Le Laquais.

Où Madame la Comtesse va-t-elle ?

La Comtesse.

Chez la Maréchale. N’est-ce pas, mon cœur ?

La Baronne.

Sûrement. Si vous me ramenez, je m’en vais renvoyer ma voiture.

La Comtesse.

Sans doute. La France, dites-le au Cocher de la Baronne.

Le Laquais.

Oui, Madame.

La Baronne.

Le Chevalier sera-t-il chez la Maréchale ?

La Comtesse.

Non ; il est à Versailles.

La Baronne.

Nous nous ennuyerons.

La Comtesse.

Oh ! que non ; & puis si nous nous ennuyons, nous nous retirerons de bonne heure.

La Baronne.

Et j’en serai bien aise ; parce que j’ai envie de monter demain à cheval.

La Comtesse.

Eh bien ! mon cœur, j’y monterai avec vous.

La Baronne.

Ah ! cela sera charmant !

La Comtesse.

Je manquerai mon cours de physique.

La Baronne.

Et moi le mien d’histoire naturelle ; mais il y a quinze jours que je n’y ai été.

La Comtesse.

Je n’ai assisté encore qu’à trois leçons ; il faut pourtant que j’y aille un de ces jours.

La Baronne.

C’est la dernière réception de l’Académie qui m’a interrompue ; il faut aller de si bonne-heure à cette Académie !

La Comtesse.

Sans doute ; & puis les déjeûners à l’angloise.

La Baronne.

Oh ! je les aime à la folie.

La Comtesse.

À propos, savez-vous le raccommodement du Vicomte & de la Vicomtesse ?

La Baronne.

Comment ! que dites-vous donc ?

La Comtesse.

Quoi ! votre frere ne vous l’a pas dit ?

La Baronne.

Il y a huit jours que je ne l’ai vu.

La Comtesse.

Il est à la Campagne, avec la Vicomtesse, à jouer la Comédie.

La Baronne.

Je craignois que ce raccommodement ne se fût fait à ses dépens.

La Comtesse.

Vous pouvez être tranquille ; ils se sont brouillés, le même jour, à ne se jamais raccommoder.

La Baronne.

Ce que vous me dites-là est incompréhensible ! & je vous réponds qu’en mille ans….

La Comtesse.

Je vais vous l’expliquer, & vous verrez que vous l’entendrez. Vous savez la passion du Vicomte pour les chevaux, elle égale celle qu’il a eue pour sa femme pendant six mois.

La Baronne.

On a cru quelque tems qu’elle aimoit le Vicomte.

La Comtesse.

Comme il vouloit mener de front ces deux passions, être avec sa femme & avec ses chevaux, il lui proposa de lui montrer à monter à cheval. Elle n’étoit pas éloignée d’y consentir ; mais elle venoit de faire connaissance avec le Marquis, il commençoit à lui plaire, & son mari ne gagnoit pas à la comparaison.

La Baronne.

Cela est facile à penser.

La Comtesse.

Elle refusa donc tout net la proposition du Vicomte, & il en prit tant d’humeur que les affaires du Marquis n’en allèrent que mieux vis-à-vis de la Vicomtesse, son mari l’ayant abandonnée pour ses chevaux.

La Baronne.

Je croyois que c’était pour la petite Fulvie.

La Comtesse.

Elle y étoit bien aussi pour quelque chose.

La Baronne.

Je ne savois pas que le Marquis eût précédé mon frère auprès de la Vicomtesse.

La Comtesse.

Il n’en doutoit pas lui, & il n’en veut pas convenir ; mais ignorant, sans doute, la proposition que le Vicomte, avoit faite à sa femme, de monter à cheval, & qu’elle l’avoit refusée, il dit devant lui qu’elle en avoit envie, & qu’il savoit que si elle avoit des chevaux, elle les monteroit avec plaisir.

La Baronne.

De quoi s’avisoit-il ?

La Comtesse.

C’étoit, sans doute, l’envie qu’il avoit de se promener avec elle ; il le lui dit à elle-même, & ils crurent que cela n’auroit aucune suite : mais ce propos avoit réveillé la passion du Vicomte pour sa femme, & un beau jour il arrive chez elle & lui présente un habit de cheval charmant, un chapeau chargé de plumes, rien n’y manquoit ; il fallut bien accepter cette galanterie, & convenir d’un jour pour monter à cheval au bois de Boulogne ; en attendant ce moment, le Vicomte alloit & venoit continuellement chez sa femme, enchanté de ce qu’elle avoit enfin le goût qu’il lui desiroit depuis long-tems.

La Baronne.

Voilà une grande étourderie que mon frère avoit faite : cela me met presque en colère contre lui.

La Comtesse.

Attendez donc : le jour pris, on se rend au Bois de Boulogne ; il y avoit eu un grand déjeûner avant.

La Baronne.

A l’angloise ?

La Comtesse.

Sûrement, & tout ce qui était du déjeûner avoit suivi.

La Baronne.

Cela devait être charmant !

La Comtesse.

Rien n’étoit plus gai, à ce qu’on m’a dit ; votre frère seul avoit de l’humeur.

La Baronne.

J’imagine aisément, combien il craignoit les soins importuns du Vicomte pour sa femme.

La Comtesse.

Le rendez-vous était très-bien choisi. La Vicomtesse saute de la Voiture en criant, mon cheval ? mon cheval ? Le Vicomte veut mettre de l’importance à la leçon qu’il va donner, on l’entoure, on l’écoute….

La Baronne.

Et, l’on rit ?

La Comtesse.

Vous le pensez bien. On amène le cheval, la Vicomtesse, sans vouloir rien entendre, saute dessus & part au grand galop. L’étonnement du Vicomte étoit à peindre, il n’en revient que pour lui crier d’arrêter ; mais elle est déjà bien loin, & l’on n’apperçoit plus que le Jockey, qui s’efforçoit de la suivre.

La Baronne.

A merveille !

La Comtesse.

Toute la troupe monte à cheval & court après. On dit que c’étoit le plus beau coup-d’œil du monde.

La Baronne.

Ce devoit être une vraie chasse. Ah ! que j’aurois voulu être là !

La Comtesse.

On avoit perdu la voie ; on se disperse, & l’on se réunit enfin à la Croix de Mortemart, où l’on rejoint la Vicomtesse. Elle s’arrête. On voit venir son mari, on le lui dit ; elle imagine bien qu’il va arriver furieux, mais elle ne s’en embarrasse pas le moins du monde. Effectivement, il approche, tout essoufflé, ne se possédant pas de colère ; il veut parler, elle lui éclate de rire au nez ; sa fureur augmente, & il veut la faire descendre de cheval.

La Baronne.

A sa place, je n’y aurois pas consenti.

La Comtesse.

Au contraire, la voilà qui repart plus vite que la première fois.

La Baronne.

Ah ! fort bien !

La Comtesse.

Cependant, bientôt après elle s’arrête, & elle revient au-devant de lui, pour lui dire, ne croyez-vous pas que je veux monter à cheval pour aller au pas ? Non, Monsieur, voilà comme je compte toujours mener mes chevaux. Eh bien ! Madame, reprit-il, ce ne sera pas les miens que vous menerez comme cela ; voilà une bête dans un joli état ! Eh bien ! Monsieur, voilà quelque chose de rare ! je vous jure que je ne vous demanderai plus jamais de chevaux. A l’instant elle saute à terre, & lâche son cheval en lui donnant un coup de fouet. Le cheval s’emporte, le Vicomte le suit pour le rejoindre, & depuis ce tems-là il n’a plus voulu la revoir chez elle, que lorsqu’il y a beaucoup de monde.

La Baronne.

Je trouve que pour se débarrasser de son mari, elle a agi avec beaucoup d’esprit.

La Comtesse.

C’est ce que tout le monde a pensé.

La Baronne.

Quoi ! nous voilà déjà chez la Maréchale ?

La Comtesse.

Oui vraiment. Ah ! mon Dieu, mon cœur, je suis désespérée.

La Baronne.

Comment ! pourquoi donc ?

La Comtesse.

Je ne peux pas souper ici.

La Baronne.

Par quelle raison ?

La Comtesse.

C’est que je n’ai pas vu encore ma grand’mère d’aujourd’hui, & qu’elle m’a défendu de venir que pour souper.

La Baronne.

Quoi ! vous allez souper chez elle ?

La Comtesse.

Il le faut bien.

La Baronne.

En vérité, cela est bien mal à vous, de me laisser comme cela au moment…

La Comtesse.

Mais, mon cœur, comment voulez-vous que je fasse ?

La Baronne.

Et, quand vous verrai-je donc ?

La Comtesse.

Mais, demain matin, puisque nous montons à cheval ensemble.

La Baronne.

Ah ! oui ; mais à quelle heure ?

La Comtesse.

A midi. Est-ce trop tôt.

La Baronne.

Pouvez-vous me dire cela, quand il est question d’être avec vous ?

La Comtesse.

Ah ! vous êtes charmante !

La Baronne.

Allons, à demain.

La Comtesse.

Adieu donc.

La Baronne.

Ah ! écoutez donc que je vous dise.

La Comtesse.

Quoi, mon cœur ?

La Baronne.

C’est que ma sœur m’a dit de l’avertir quand je monterai à cheval.

La Comtesse.

Eh bien ?

La Baronne.

Si cela vous contrarioit ?

La Comtesse.

Pas le moins du monde. Mais, attendez donc.

La Baronne.

Comment ?

La Comtesse.

S’il fait ce tems-là ?

La Baronne.

Est-ce que vous croyez…

La Comtesse.

Tenez, je vous écrirai.

La Baronne.

Eh bien ! oui, cela vaudra mieux.

La Comtesse.

En vérité, je suis furieuse de ne pas souper avec vous.

La Baronne.

Ah ! ne parlons pas de cela.

La Comtesse.

Et, à propos, comment vous en retournerez-vous ?

La Baronne.

J’enverrai chercher mes chevaux.

La Comtesse.

Ah ! c’est affreux à moi ! Adieu, mon cœur.

La Baronne.

Adieu, adieu.

La Comtesse.

Allons, prenez garde de vous enrhumer.

Le Maquais.

va Madame ?

La Comtesse.

Chez ma grand’mère.