Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0532

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Louis Conard (Volume 4p. 178-179).

532. À LOUIS DE CORMENIN.
[Croisset] 14 [mai 1857.]

Je ne sais si c’est vous ou Pagnerre, mon cher ami, qui m’avez envoyé un maître numéro du Loiret où resplendit un article sur votre serviteur. Il est à coup sûr celui qui me satisfait le plus et je le trouve naïvement très beau, puisqu’il chante mon éloge. Le livre est analysé ou plutôt chéri d’un bout à l’autre. Cela m’a fait bien plaisir et je vous en remercie cordialement.

Pourquoi donc ne vous en mêlez-vous pas aussi ? Pourquoi vous bornez-vous à avoir de l’esprit pour vos amis ? Quand aurons-nous un livre ?

Quant à moi, celui que je prépare n’est pas sur le point d’être fait, ni même commencé. Je suis plein de doutes et de terreurs. Plus je vais, et plus je deviens timide, — contrairement aux grands capitaines, et à M. de Turenne en particulier. Un encrier pour beaucoup ne contient que quelques gouttes d’un liquide noir. Mais pour d’autres, c’est un océan, et moi je m’y noie. J’ai le vertige du papier blanc, et l’amas de mes plumes taillées sur ma table me semble parfois un buisson de formidables épines. J’ai déjà bien saigné sur ces petites broussailles-là.

Adieu, mon cher vieux. Quand vous écrirez à Pagnerre, dites-lui mille gentillesses de ma part. Présentez mes respects à vos parents, et recevez de moi une forte poignée de main.