Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 4/0660

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Louis Conard (Volume 4p. 401-402).

660. À LOUIS BOUILHET.
Croisset, 2 octobre 1860.

Ma mère part demain matin pour Verneuil, où elle restera huit jours. Si tu es encore à Mantes à ce moment-là, je te préviens que tu n’éviteras pas la visite de Liline, qui brûle de voir ton logement.

Il a fait un temps atroce pendant que j’étais à Étretat et je me suis peu promené. Le résultat de cette distraction a été de me faire perdre tout le reste de la semaine. Je revoyais continuellement la mer et j’entendais le bruit des galets sous mes b…ôttes. Il y a aujourd’hui huit jours, j’ai couché à Fécamp chez Mme Le Poittevin, où je n’étais pas venu depuis dix-huit ans ! Ai-je pensé à ce pauvre bougre d’Alfred ! J’avais presque peur de le voir apparaître. Notre jeunesse commune me semblait suinter sur les murailles. C’était comme un dégel qui me glaçait jusqu’au fond du cœur.

Devine quel admirateur j’ai rencontré à Étretat ? Le père Anicet Bourgeois (bien nommé), brave homme du reste. Mais le peu d’admiration qu’il m’a montré pour Gœthe a singulièrement diminué le plaisir de ses éloges à mon endroit. Oui, il ne trouve « rien de remarquable dans Faust, ce n’est ni une pièce, ni un poème, ni rien du tout ». Oh !… je répète le oh !!!

Le père Clogenson m’a envoyé sa brochure sur Voltaire jardinier, qui n’est point des plus raides. Maigre légume.

Hier, chez Deschamps, grande représentation dramatique : quatre pièces. Le jeune Baudry y allait comme spectateur. Mais je le soupçonne de m’avoir menti comme un âne et d’être, au contraire, un des acteurs.

J’ai relu ce soir les Fossiles en entier et ça m’a enthousiasmé plus que jamais. Quoi qu’on dise, c’est solide, va ! Et c’est beau.

Adieu vieux. Gémis-tu sur la captivité de Lamoricière[1] ?


  1. Le général de Lamoricière, ayant mis son épée au service du Saint-Siège, fut assiégé dans Ancône et obligé de capituler.