Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1381

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Louis Conard (Volume 7p. 34-35).

1381. À ERNEST FEYDEAU.
[Croisset, jeudi 3 juillet 1873].

Non, mon cher bonhomme, je ne t’oublie pas, mais voici ce qui m’est arrivé depuis que tu ne m’as vu.

Parmi les papiers de Bouilhet se trouvait un vieil ours intitulé le Sexe faible, comédie en cinq actes et en prose, autrefois refusée au Vaudeville. L’année dernière, à Luchon, j’en ai refait le scénario, en changeant complètement le 1er et le 3e acte, et au mois de septembre dernier j’ai été trouver Carvalho qui, pendant cinq mois, a dû me donner un rendez-vous de semaine en semaine.

Au commencement de janvier, j’ai porté cette besogne informe audit Carvalho qui m’a laissé pendant quatre mois et demi sans réponse. Enfin, ennuyé d’attendre, j’ai été au Vaudeville ou j’ai lu la chose audit Carvalho. Alors changement d’horizon, enthousiasme et réception immédiate ! Je suis donc revenu ici où j’ai travaillé pendant un mois d’une façon gigantesque, quatorze heures, et une fois dix-huit heures par jour ! Bref la chose est faite. Carvalho est venu ici en entendre la lecture samedi dernier et me paraît fort content. Il croit à un succès.

Si l’on rend l’Oncle Sam de Sardou, je ne passerai qu’en janvier, ce que je souhaite ; sinon, je serai joué en novembre.

Je suis éreinté et je dors beaucoup. Voilà mon histoire.

Maintenant, je vais me remettre à mes effroyables lectures pour mon bouquin, que je ne commencerai pas avant un an.

Et toi, pauvre vieux, comment vas-tu ?

Merci de ton livre, mais je le connais déjà. Ce qui ne m’empêchera pas de le relire, car je le trouve très instructif, très amusant, très bien fait.