Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 7/1473

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Louis Conard (Volume 7p. 174-175).

1473. À SA NIÈCE CAROLINE.
Kaltbad-Rigi (Suisse), mercredi soir, 6 heures. [15 juillet 1874].

Dieu merci, mon pauvre chat, voilà notre correspondance devenue régulière. J’ai reçu ta lettre partie de Paris vendredi dernier et une antérieure renvoyée de Croisset.

Il fait ici une chaleur étouffante ! encore un orage ! et je tombe sur les bottes, d’autant plus que je ne peux piquer aucun chien dans l’après-midi, à cause du tapage environnant et surtout des sonnettes électriques. M’agacent-elles le système ! me l’agacent-elles ! Enfin, dans quatre jours mon compagnon arrive et, à la fin de la semaine prochaine, sans doute vendredi (d’après-demain en huit), je serai à Paris. Je ne vais pas y rester longtemps et très prochainement j’irai vous voir. Maintenant causons de mon beau neveu.

D’après ce que tu me dis, son état, suivant Guéneau de Mussy, n’est pas bien grave. N’importe ! il faut se soigner et aller aux Eaux-Bonnes malgré les affaires. Ah ! il n’y a pas à barguigner. Vous pouvez très bien rester à Dieppe encore tout le mois d’août, car les Eaux-Bonnes peuvent se prendre dans n’importe quelle saison. Ce qui n’empêche pas que, si j’étais de vous, j’avalerais cette pilule, je subirais cette corvée le plus tôt possible. Note que voilà longtemps que l’on recommande les Eaux-Bonnes à ton mari : il ferait mieux de se soigner une bonne fois plutôt que de traîner toujours, de se préparer un mauvais hiver et de finir par se flanquer quelque maladie sérieuse. Les affaires ? eh bien, tant pis ! Il me semble que la santé doit passer avant elles. La nature est plus forte que nous et n’attend pas nos convenances.

Je conviens que la perspective d’un re-voyage doit vous embêter. Cependant, c’est à toi d’être raisonnable, mon Caro, de forcer ton époux à ce déplacement. J’ai la plus grande confiance dans les Eaux-Bonnes pour toutes ces affections-là, en ayant vu les résultats prompts et incroyables.

Bien qu’Ernest regimbe à la locomotion, je parie que c’est un monsieur à se frapper le moral. Qu’il ne s’inquiète pas, mais qu’il se guérisse.

Il est dans mon rôle d’oncle de vous prêcher, de vous tanner, de vous lavementer. C’est donc ce que je viens de faire, après quoi je vous embrasse.

Vieux.