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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 003

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 6-7).

3.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

Turin, ce 1er juin 1762.
Monsieur,

Il y a longtemps que j’aurais dû vous écrire pour vous remercier des présents que vous m’avez faits de vos Opuscules mathématiques[1] et de la Lettre en réponse à M. Clairaut[2] ; mais ce délai ne doit être attribué qu’au désir que j’avais de pouvoir mieux vous témoigner ma reconnaissance en vous présentant le second Volume des Mélanges de notre Société[3], qui était sous presse depuis quelque temps. Permettez donc, Monsieur, que je m’acquitte à présent de mon devoir et que je vous prie d’accepter un exemplaire de cet Ouvrage, que j’ai remis à M. le chevalier Berzet, qui vient de partir pour Paris, et qui s’est chargé de vous le faire avoir au plus tôt. Je m’estimerai infiniment heureux si mes travaux peuvent mériter votre approbation ; je la regarderai comme la plus grande récompense de mes études et comme la seule qui puisse véritablement me flatter ; cependant, je ne puis vous le dissimuler, vos objections contre ma théorie des cordes vibrantes ne m’ont point paru suffisantes pour la renverser, et je crus pouvoir encore la défendre par une réponse que je soumets d’ailleurs à votre jugement[4]. Je vous prie de m’éclairer, si je me suis trompé, et je vous assure que rien ne me sera plus agréable que de pouvoir me rapprocher de vos sentiments. Il y a aussi quelques points de la théorie des fluides sur lesquels je n’ai pu tomber d’accord avec vous ; je vous prie d’examiner mes raisons sans prévention et de me faire part de vos remarques, dont je ne manquerai pas de profiter.

J’ai lu, Monsieur, vos Opuscules avec la même satisfaction et la même admiration que tous vos autres Ouvrages ; c’est à vous, permettez-moi cet aveu, que je reconnais devoir presque entièrement le peu de progrès que j’ai faits dans les Mathématiques, et ma reconnaissance égale l’estime que j’ai conçue de votre mérite. Je suis surpris qu’on ait cherché à déprimer votre travail sur la Lune ; il suffit, ce me semble, d’avoir vu votre théorie et celles des autres géomètres pour juger des avantages de la vôtre. Quant à la théorie des comètes, n’ayant point vu les travaux de M. Clairaut, je n’en puis rien dire, mais il me paraît que vos réponses à ses objections sont sans réplique.

J’ai l’honneur d’être,

Monsieur,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
De la Grange.

  1. Voir la Lettre précédente.
  2. Alexis-Claude Clairaut, l’un des plus grands géomètres produits par la France, né à Paris le 7 mai 1713, reçu à l’Académie des Sciences à dix-huit ans, mort le 17 mai 1765. Il avait publié, dans le Journal des Savants de décembre 1761 (p. 837-848), une Lettre où il défendait contre d’Alembert sa « solution du problème des trois corps et l’application qu’il en avait faite tant à la théorie de la Lune qu’à celle des comètes ». D’Alembert y répondit par une Lettre insérée dans le Journal encyclopédique (février 1762, t. II, p. 55-76), à laquelle Clairaut répliqua par de Nouvelles Réflexions publiées dans le Journal des Savants, juin 1762, p. 358-377.
  3. Voir plus haut la Note 2 de la page 3.
  4. Cette réponse est l’Addition à la première Partie des Recherches sur la nature et la propagation du son, imprimée dans le tome II des Mémoires de Turin, p. 233 et suiv. (Œuvres de Lagrange, t. I, p. 319). Elle commence ainsi « M. d’Alembert ayant fait l’honneur à ma solution du problème des Cordes vibrantes de l’attaquer sur quelques points, par un écrit particulier imprimé dans le premier tome de ses Opuscules mathématiques, je vais ajouter de nouveaux éclaircissements sur l’analyse de cette solution, qui serviront en même temps de réponse aux objections de cet illustre géomètre et de confirmation à ma théorie. »