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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 027

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 59-61).

27.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, le 19 avril 1766.

Mon cher et illustre ami, il faut que, pour toucher l’argent de votre prix, vous envoyiez à quelqu’un domicilié à Paris un papier signé de vous : et conçu à peu près en ces termes « Je soussigné, membre de la Société royale des Sciences de Turin et de l’Académie royale des Sciences de Prusse, m’étant déclaré l’auteur de la pièce sur les satellites de Jupiter qui a pour devise Multum adhuc restat operis et qui a remporté le prix de l’Académie royale des Sciences de Paris pour la présente année 1766, ai donné commission à M. … de retirer le montant de ce prix des mains de M. de Buffon, trésorier de ladite Académie royale des Sciences de Paris. À Turin, ce … Il faudra que celui à qui vous donnerez cette commission donne à M. de Buffon son reçu lorsqu’il aura touché la somme. Vous pouvez vous adresser pour cela à quelqu’un de chez votre ambassadeur à la cour de France ou à quelque banquier de Turin, qui enverra la commission signée de vous à son correspondant. Il est presque impossible que vous ne trouviez pas à Turin quelqu’un qui se charge de vous faire venir une lettre de change sans frais ni remise. Si tout cela vous embarrasse trop et vous paraît trop difficile, adressez-moi la commission, et je tâcherai de vous faire parvenir cet argent aux moindres frais possibles.

Je désirerais beaucoup que vous vous occupassiez de la question proposée pour 1768 et que vous examinassiez surtout l’équation qui a pour argument qui a été entre Clairaut et moi un sujet de dispute où je crois que Clairaut avait tort. Il me semble que, sans vous engager dans des calculs arithmétiques effroyables, vous pouvez ajouter beaucoup à ce qui a déjà été fait sur cette matière. Je travaillerai moi-même de mon côté, pendant cette année et la prochaine, à mettre en ordre et perfectionner, autant que ma santé me le permettra, ce que j’ai déjà barbouillé dans mes papiers sur ce sujet. Peut-être de nos travaux communs résultera-t-il quelque degré de perfection nouveau à la théorie de la Lune.

J’attends avec grande impatience votre nouveau Volume, qui, sans doute, sera bientôt fini d’imprimer, s’il ne l’est déjà. J’espère y trouver beaucoup à profiter. Je n’ai jamais eu tant envie de travailler, et, si ma santé me le permettait, il me semble que je pourrais encore quelque chose ; mais je suis si fort obligé de me ménager, que je me regarde comme une espèce de géomètre vétéran qui a rempli à peu près sa course.

J’ai écrit au roi de Prusse une Lettre où je lui parle en détail de la personne que vous savez, et d’une manière dont je crois que cette personne serait contente[1]. On fait tout ce qu’on peut pour retenir M. Euler, mais il me paraît avoir grande envie de s’en aller. Je ne sais ce qu’il en sera, mais en cas qu’il parte, et que le roi de Prusse me croie, M. Euler aura un successeur qui le vaut bien.

On dit que votre ami M. de Foncenex ne s’éloignerait pas de demander du service en Prusse ; comme il est habile ingénieur, et que le roi de Prusse cherche surtout de ces officiers-là, je crois qu’il n’aurait pas de peine à s’y placer. Adieu, mon cher et illustre ami, je vous embrasse de tout mon cœur ; portez-vous bien, travaillez et soutenez l’honneur de la Géométrie, qui n’a plus guère d’espérance qu’en vous.


  1. Comme nous l’avons dit plus haut, p. 58, cette Lettre ne figure point dans la correspondance de Frédéric II et de d’Alembert.