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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 036

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 75-76).

36.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, ce 16 juillet 1766.

Mon cher et illustre ami, je suis ravi d’apprendre que vous ayez enfin obtenu ce congé tant désiré. J’en attendais la nouvelle d’un jour à l’autre, et c’est pour cette raison que je n’avais point répondu à votre avant-dernière Lettre. Je vois que j’avais bien fait d’engager le roi de Prusse à vous faire demander au roi de Sardaigne et que cela a fort bien réussi. Vous avez bien fait d’écrire à M. de Catt. Il me mande que, dès qu’il aura la nouvelle de votre dernière résolution, il arrangera tout pour votre voyage. J’espère que le roi de Prusse vous permettra de passer par Paris[1], et que j’aurai le plaisir de vous embrasser et de me féliciter avec vous d’avoir enfin rendu heureux un homme d’un mérite supérieur. On me mande de Berlin que l’Académie vous désire et vous attend avec impatience ; il est sûr que vous seul pouviez remplir le vide que M. Euler y laisse. Ne perdez pas de temps pour partir dès que vous aurez les derniers ordres du roi de Prusse. Comme je compte vous voir, je remets à notre entrevue a vous dire différentes choses sur l’Académie, le pays et le roi même, et sur les gens que vous trouverez dans votre nouvelle patrie.

J’ai grande impatience de voir votre nouveau Volume et de causer avec vous de ce qu’il contient. Je réimprime actuellement mon Traité des fluides, et, outre cela, j’imprime deux Mémoires sur les verres optiques dans le Volume de 1764, qui est sous presse. J’ai pensé aussi au problème de la précession des équinoxes, et je me suis bien convaincu que ni Simpson, ni le chevalier d’Arcy, ni le……… Lalande, barbet de Simpson, n’y ont rien entendu.

Ma santé est assez bonne, mais ma tête n’est plus guère propre à un long travail. C’est une sottise que ce que les gazettes ont avancé au sujet de mon voyage avec Mme Geoffrin. Elle est actuellement à Varsovie, mais sans moi, et, si elle va à Pétersbourg, ce sera sans moi aussi. Adieu, mon cher et illustre ami ; je vous embrasse d’avance de tout mon cœur, en attendant que je vous embrasse en réalité et que je vous félicite, et moi aussi, et l’Académie aussi, et le roi de Prusse aussi, de la bonne acquisition qu’ils vont faire. Iterum vale.

À Monsieur de la Grange,
de la Société royale des Sciences de Turin, à Turin
.

(Au bas de cette Lettre se trouve cette note, de la main de Lagrange, qui, comme le prouve l’écriture, a dû l’ajouter dans sa vieillesse :)

N.-B.M. de la Grange est parti de Turin au commencement d’août 1766[2] ; il a été à Paris, où il ne s’est arrêté que quinze jours ; de là il a été à Londres chez le marquis Caraccioli, ambassadeur de Naples, et il s’est embarqué pour Hambourg, d’où il est arrivé à Berlin dans le commencement de novembre. Il n’a plus quitté Berlin que pour venir à Paris au mois de juin 1787.


  1. D’Alembert le lui avait demandé comme une grâce dans un post-scriptum de la Lettre déjà citée du 26 mai.
  2. Le 26 juillet, Frédéric II écrivait à d’Alembert « Le sieur de la Grange doit arriver à Berlin ; il a obtenu le congé qu’il sollicitait, et je dois à vos soins et à votre recommandation d’avoir remplacé dans mon Académie un géomètre borgne (Euler) par un géomètre qui a ses deux yeux… La modestie avec laquelle vous vous comparez au sieur de la Grange élève votre mérite au lieu de le rabaisser, et ne me fera pas prendre le change sur ma façon de penser et sur l’estime que j’ai pour vous. » (Œuvres, t. XXIV, p. 407.)