Aller au contenu

Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 070

La bibliothèque libre.
Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 148-150).

70.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 12 septembre 1769.

Mon cher et illustre ami, je compte que vous aurez déjà reçu mes Mémoires sur la résolution des équations ; M. Briasson, à qui j’en ai fait envoyer deux exemplaires, doit vous les remettre entièrement francs de port ; l’un est pour vous, et l’autre, je vous prie de le faire parvenir de ma part à notre ami le marquis de Condorcet. Je serai plus que récompensé de mon travail si vous le jugez digne de quelque attention. Toute mon ambition est de pouvoir mériter votre suffrage. Depuis l’impression de ces Mémoires, j’ai fait quelques nouvelles remarques sur ma méthode pour les résolutions numériques des équations, que j’ai déjà lues à l’Académie et que je pourrai vous communiquer si vous le souhaitez. Elles ont rapport surtout à la manière de reconnaître et de trouver les racines imaginaires, dont je n’avais dit qu’un mot dans le § 2 du second Mémoire.

À Dieu ne plaise que je désapprouve l’espèce d’opiniâtreté que vous mettez dans vos recherches ; je sais que c’est le moyen de réussir dans tout ce qu’on se propose, et je me rappelle toujours d’avoir ouï dire que Newton répondait à ceux qui lui demandaient comment il avait pu trouver le système du monde que ce n’était qu’à force d’y avoir pensé.

J’ai fait votre commission à M. Beguelin, il est extrêmement sensible à l’intérêt que vous voulez bien prendre à ce qui le regarde. M. Lambert vous remercie aussi des bons offices que vous voulez bien lui rendre auprès du Roi ; il, m’a remis deux de ses Ouvrages latins pour que je vous les fasse parvenir de sa part ; un des amis de M. Thiébaut s’en est chargé, et je crois que vous ne tarderez pas à les recevoir. L’un de ces Ouvrages, c’est sa Photometria, que vous avez paru désirer ; l’autre, c’est un petit Traité sur l’orbite des comètes et des planètes[1], où il y a de très-beaux théorèmes, surtout celui de la page 124, concernant le temps nécessaire pour parcourir un arc quelconque d’ellipse ou de parabole. Je ne doute pas que M. Bernoulli ne vous ait aussi engagé à vous intéresser pour lui ; vous lui rendriez un service d’autant plus grand que j’apprends qu’il vient de se marier. Nous avons depuis hier un nouvel associé étranger : c’est M. Messier[2], que vous connaissez sans doute, au moins de réputation. Comme j’ai eu quelque part à son élection, je suis bien aise de vous dire comment la chose s’est passée. M. Messier a écrit au Roi pour lui donner part de la comète qu’il venait de découvrir, et, à cette occasion, il l’a prié de lui accorder une place d’associé étranger dans l’Académie. Sa Majesté s’est d’abord contentée de m’envoyer la Lettre de M. Messier et de m’enjoindre de correspondre avec lui sur ce sujet. J’ai fait part de cette affaire à l’Académie, et elle m’a chargé d’insinuer au Roi, dans ma réponse, qu’elle serait charmée de s’attacher M. Messier en qualité de membre étranger, pour l’engager, par ce moyen, à lui faire part de ses observations, tant sur la comète que sur d’autres sujets importants d’Astronomie ; car, quoique nous ayons un bon observatoire, et même assez bien fourni d’instruments, nous n’avons pour astronomes que M. Castillon, qui n’y met presque jamais les pieds, et M. Bernoulli, qui ne fait que commencer. J’apprends que ma Lettre a eu tout l’effet qu’on pouvait souhaiter et que Sa Majesté a daigné ordonner à l’Académie de recevoir M. Messier académicien étranger : c’est à quoi on procédera jeudi prochain.

Il ne paraît encore rien d’Euler ; mais, si vous voulez, je me charge de vous faire parvenir ses Ouvrages à mesure qu’ils paraîtront, par le même canal de M. Briasson, si je ne trouve pas d’autre occasion.

Je vous embrasse de tout mon cœur et je suis à vous pour la vie.


  1. Insigniores orbitæ cometarum proprietates. Augustæ Vindelicorum, 1761, in-8o.
  2. Charles Messier, astronome, membre de l’Académie des Sciences (1770), puis de l’Institut, né à Badonviller (Meurthe) le 26 juin 1730, mort à Paris le 12 avril 1817.