Aller au contenu

Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 083

La bibliothèque libre.
Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 179-182).

83.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 26 août 1770.

Je vous suis infiniment obligé, mon cher et illustre ami, du précis que vous avez bien voulu me donner de la pièce d’Euler sur la Lune. Non-seulement je ne vois pas que sa méthode puisse avoir quelque avantage sur les méthodes connues, mais il me paraît au contraire qu’elle leur est même inférieure à plusieurs égards ; d’ailleurs cette méthode ne contient rien, ce me semble, qui puisse être pris pour une découverte, et encore moins pour une découverte telle que M. Euler l’avait annoncée. J’aurais bien de la peine à passer une pareille fanfaronnade à un écolier ; du moins j’en concevrais une très-mauvaise opinion, et je crois que je n’aurais pas tort. Vous pouvez être assuré que j’enverrai quelque chose pour le concours prochain, à moins que des obstacles insurmontables ne m’en empêchent. Je compte d’envisager le problème des trois corps d’une manière générale et tout autrement qu’on ne l’a fait jusqu’à présent ; ce n’est pas que je me flatte de donner une théorie de la Lune meilleure que celles qu’on a déjà, mais je pense qu’il est bon de tourner et de retourner cette question de tous les sens possibles, sauf à s’en tenir après tout aux solutions connues si l’on n’en trouve pas de meilleures.

Ce que vous me dites de votre santé me jette dans les plus grandes inquiétudes. Je pense comme vous qu’un voyage, et surtout celui d’Italie, pourrait vous faire du bien je ne doute pas que vous ne trouviez, si vous voulez, bien des occasions de le faire avec toute la commodité possible et sans qu’il vous en coûte presque rien, et vous pouvez être sûr d’être reçu en Italie avec tous les égards que vous méritez. Je voudrais bien que les circonstances me permissent de vous y accompagner ; c’est un voyage que je souhaite de faire depuis longtemps, mais Dieu sait quand je le pourrai au reste, si vous partez, comme vous y paraissez disposé, suivant ce que M. Bitaubé vient de me dire, je vous prie de m’en donner avis et de me marquer en même temps comment je pourrai avoir de vos nouvelles et vous donner des miennes. Je ne sais si vous savez que le marquis Caraccioli a été nommé amhassadeur de Naples à Paris. Il me mande qu’il compte d’y être dans deux mois ; j’en suis d’autant plus charmé que, comme j’entretiens toujours avec lui un commerce de Lettres, je pourrais me servir de son canal pour la continuation de notre correspondance. Comme il a pour vous une très-grande estime, je ne doute pas qu’il ne s’empresse de cultiver votre connaissance, et je puis vous assurer que vous trouverez en lui un homme qui joint à beaucoup de philosophie un excellent caractère.

Le Volume de l’année 1763 a paru, et je crois que M. Formey s’est chargé de vous le faire parvenir ; celui de 1768 est sous presse et paraîtra à la Saint-Michel ; je n’ai pu y faire entrer vos remarques sur le Mémoire de M. Beguelin, mais elles seront certainement imprimées dans celui de l’année 1769, qu’on mettra sous presse dès que l’autre aura paru. Le troisième Volume du Calcul intégral d’Euler ne paraît pas encore, non plus que sa Dioptrique. Je ne manquerai pas de vous envoyer tout cela dès que je l’aurai reçu, et je vous prie toujours de compter sur moi si je puis vous servir en quelque chose. Il paraît depuis quelque temps une Algèbre allemande de M. Euler, en deux Volumes in-8o ; si vous le souhaitez, je vous l’enverrai ; mais elle ne contient rien d’intéressant qu’un Traité sur les questions de Diophante, qui est, à la vérité, excellent, et où l’on trouve presque tout ce que l’on a de mieux sur cette matière. Si vous n’êtes pas rebuté par la langue, je crois que vous pourriez le lire avec plaisir. Au reste, si vous n’êtes pas pressé, vous pourriez attendre la traduction française qu’on a envie d’en donner, et à laquelle je pourrai bien joindre quelques petites notes[1].

Comme j’ai fait tirer à part quelques exemplaires des Mémoires que j’ai insérés dans le Volume de 1768, je vous en enverrai un pour le marquis de Condorcet, et même un pour vous, si j’en trouve l’occasion, avant que le Volume paraisse, car vous pensez bien que je ne m’adresserai plus à M. Bourdeaux, comme j’ai fait l’année passée. En attendant, je vais vous communiquer ici un théorème que j’ai trouvé et dont j’ai fait un grand usage dans mon Mémoire sur la résolution des équations littérales par le moyen des séries.

Soit l’équation

dénotant une fonction quelconque de dont soit une des racines ; je dis qu’on aura, dénotant une fonction quelconque de

ou

pourvu qu’on mette dans cette série à la place de après avoir exécuté les différentiations indiquées, en y prenant pour constant.

Adieu, mon cher et illustre ami tachez de faire provision de santé dans votre voyage, et n’oubliez pas surtout les habitants du Nord, dont vous n’êtes pas moins admiré et aimé que de ceux du Midi.


  1. Il en sera question plus loin.