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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 092

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 202-204).

92.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, le 14 juin 1771.

Mon cher et illustre ami, j’ai lu à l’abbé Bossut l’article de votre Lettre qui le regarde ; il m’en a paru très-touché ; il m’a chargé de vous faire mille compliments et remercîments de sa part, de vous assurer de toute son admiration pour vos talents et pour vos Ouvrages, et de vous dire combien il est flatté du suffrage que vous accordez à son Hydrodynamique. À propos de cette petite explication, je ne sais à quel propos M. de Castillon se plaint de vous ; il me mande que vous n’êtes pas facile à vivre ; je lui réponds que je ne m’en suis jamais aperçu, et qu’au contraire je n’ai jamais vu en vous que beaucoup de douceur et d’honnêteté. Comme je le crois malheureux, je crains que, par une suite presque nécessaire, il ne soit mécontent de tout le monde.

M. de Lalande n’a point encore reçu la balle de livres que vous m’annoncez, et que j’attends avec impatience. Mon premier soin sera de prendre du moins une idée de ce que vous avez mis dans les nouveaux Volumes, car ma tête ne me permet toujours qu’une très-faible application. Je m’occupe cependant d’un moment à l’autre de la théorie des fluides et de quelques autres recherches légères. À propos de cela, je vous serais très-obligé de lire à votre loisir le Mémoire du chevalier de Borda, qui est dans notre Volume de 1766, sur le mouvement des fluides dans des vases[1] ; il me paraît plein de mauvais raisonnements, dont j’ai déjà réfuté quelques-uns et dont j’espère réfuter le reste quand je donnerai mes nouvelles recherches sur ce sujet.

Je ne sais ce que c’est que le nouveau Traité du Calcul intégral de Fontaine ; soyez sûr que ce Traité n’existe pas ; il n’y en a d’autres que celui que vous connaissez. Je vous prie de faire d’avance mes remerciments à M. Lambert des Tables qu’il veut bien m’envoyer.

M. de Fouchy m’a dit qu’il n’était point nécessaire d’affranchir le port pour les pièces du prix ; cependant, si le paquet était un peu gros, et même dans tous les cas, vous pourriez le faire mettre dans le paquet que le Résident de France à Berlin envoie ici au Ministre des Affaires étrangères, avec une double enveloppe, dont l’intérieure serait à M. de Fouchy et l’extérieure au Ministre des Affaires étrangères. Vous écririez en même temps par la poste à M. de Fouchy une Lettre d’avis, non signée, par laquelle vous lui marqueriez que ce paquet est adressé à notre Ministre, afin que M. de Fouchy puisse le réclamer et le retirer. J’ai grande envie de voir ce que vous avez fait sur la théorie de la Lune. Je vous enverrai incessamment les Mémoires que j’ai imprimés dans notre Volume de 1769, qui ne paraîtra qu’à la fin de l’année. M. de Condorcet n’est point à Paris actuellement, mais il arrivera bientôt et je m’acquitterai de votre commission.

Je suis vraiment très-fâché du prix énorme qu’on vous fait payer pour ces paquets ; ily a longtemps que je me suis aperçu que M. Michelet est un tant soit peu juif ; milord Maréchal me le disait à Berlin, il y a huit ans. À l’égard de vos Lettres, je n’en paye point le port, mais c’est parce que j’ai prié M. Métra de mettre sur le compte de la correspondance du Roi toutes les Lettres et paquets qui me viennent de Berlin par la poste, car, dans les commencements, il voulait me les faire payer. Au reste, pour qu’il n’y ait point là-dessus de quiproquo, il est bon que vous sachiez que, quoiqu’on affranchisse les paquets et Lettres de Berlin jusqu’à Wesel, elles payent encore depuis Wesel jusqu’ici. Quoi qu’il en soit, je m’adresserai désormais à Briasson ou à quelque autre libraire, par exemple à Panckoucke, que je connais beaucoup, car, en vérité, cette juiverie n’est pas supportable. Adieu, mon cher et illustre ami, je vous embrasse de tout mon cœur ; conservez-vous pour la Géométrie et surtout pour moi.

P.-S. — M. de Lalande me mande à l’instant que la balle est arrivée, qu’elle est à la chambre syndicale[2] et que nous l’aurons demain samedi ainsi je ne pourrai vous en parler que dans ma première Lettre.

À Monsieur de la Grange,
directeur de la Classe mathématique de l’Académie royale des Sciences
et Belles-Lettres, à Berlin
.

  1. Mémoire sur l’écoulement des fluides par les orificee des vases (p. 579-607).
  2. À la chambre syndicale de la Librairie.