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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 109

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 249-252).

109.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 15 octobre 1772.

Mon cher et illustre ami, M. Borelli m’a remis de votre part une Lettre et un paquet contenant deux Ouvrages de M. Cassini, avec une partie des feuilles qui doivent composer le sixième Volume de vos Opuscules. Je commence par vous prier de vouloir bien faire à M. Cassini mes très-humbles remercîments de la bonté qu’il a eue de m’envoyer ses Ouvrages ; je les ai lus avec le plus grand plaisir, et je suis surtout extrêmement content de son Histoire de la parallaxe du Soleil, qui me paraît aussi bien écrite que bien pensée. Il serait fort à souhaiter que les astronomes s’attachassent à donner de même l’histoire des autres points principaux du système du monde ; il en résulterait une Astronomie beaucoup plus satisfaisante et plus instructive que celles où l’on suit la méthode ordinaire. Je suis bien charmé de voir que M. Cassini soutienne déjà si dignement le beau nom qu’il porte ; je prends d’autant plus de part à ses succès, que je le regarde en quelque façon comme mon compatriote, sa famille étant originaire des États du roi de Sardaigne, et je vous prie de lui faire, à ce titre, mes plus tendres compliments.

Il y a longtemps, mon cher ami, que je n’ai rien lu qui m’ait fait autant plaisir que vos nouveaux Mémoires sur la figure de la Terre[1] ; je ne vous dis pas cela par compliment, mais de tout mon cœur ; j’en attends la suite avec la plus grande impatience ; la dernière des feuilles que j’ai reçues est la feuille qui va jusqu’à la page 240 ; en attendant, je m’amuse à jeter sur le papier d’anciennes idées sur cette matière, que la lecture de vos recherches a réveillées en moi, et je compte de lire au premier jour, à l’Académie, un Mémoire sur ce sujet. Si, en recevant le reste de vos feuilles, je trouve que vous m’avez prévenu dans les points principaux, je jetterai mon Mémoireau feu ; sinon, je le soumettrai à votre jugement pour savoir s’il mérite d’être publié ou non. Je voudrais bien pouvoir vous consulter sur un grand nombre de Mémoires que j’ai dans mon portefeuille et dont j’ai lu, à la vérité, les titres à l’Académie (car c’est à peu près ce que j’en puis lire dans des assemblées telles que les nôtres), mais qui ne sauraient entrer dans nos Volumes, faute de place. Je pourrais, à la vérité, les publier à part, mais, comme ils sont en français, je crains de trouver nos libraires peu disposés à s’en charger ; au reste, videbimus et cogitabimus. Ne pourriez-vous pas faire en sorte que mes pièces pour le prix fussent imprimées ? Il me semble que l’on pourrait déjà faire un Volume des pièces couronnées depuis 1763. Les Mémoires de Turin ne paraissent point, et Dieu sait quand ils paraîtront ; enfin, il y a déjà près d’un an et demi que j’ai envoyé à Lyon, à M. Bruyset, un manuscrit, pour être imprimé à la suite de la traduction française de l’Algèbre de M. Euler, et jusqu’à présent je n’en ai aucune nouvelle ne pourriez-vous pas savoir ce qui en est ? Je ne sais si notre Kaestner mérite que vous lui fassiez l’honneur de lui répondre ; je vous le donne pour un grand fat à certains égards ; à d’autres il ne manque pas de mérite il passe surtout pour un des meilleurs écrivains allemands d’aujourd’hui. J’ai remis à M. de Sandray[2], ci-devant chargé des affaires de France à notre cour, le deuxième Volume des Commentaires de Goettingue pour vous ; je vous prie, au cas que vous ne l’ayez pas encore reçu, de le lui faire demander de ma part ; vous n’aurez pas de peine à savoir où il est maintenant. Je suis bien fâché que vous n’ayez pas encore eu le loisir de lire mes Mémoires dans notre dernier Volume ; je vous prie du moins de parcourir celui qui roule sur les équations et de m’en dire votre avis ; on en imprime actuellement la suite dans le Volume de 1771.

M. Bernoulli m’a remis, de la part de M. de la Lande, la valeur de 24 livres, dont je vous suis très-obligé. Je ne sais si j’ai commis une impolitesse envers le banquier qui m’a envoyé la lettre de change pour l’argent du prix en ne lui faisant point de réponse ; mais j’ai pensé qu’elle ne servirait qu’à le mettre inutilement en frais de port de lettre, puisqu’il en serait également instruit par son correspondant ; en tout cas, vous pouvez, si vous le jugez à propos, lui faire des excuses de ma part.

Je vous avais prié, il y a longtemps, de me donner des éclaircissements touchant la nouvelle édition des Mémoires de votre Académie sur cela, vous m’offrîtes de prendre une souscription pour moi dès que la chose serait en train ; or j’ai vu depuis dans les journaux qu’il est question de retrancher de cette édition toute la partie mathématique ; ainsi vous jugez bien que je ne dois plus être tenté de faire cette acquisition.

À propos de vos Mémoires, est-ce que les membres étrangers en reçoivent aussi un exemplaire de l’Académie, comme les ordinaires ? Je vous prie de me dire ce qui en est, comme aussi si la bienséance exige que j’envoie à l’Académie quelque chose de ma façon. Je ne suis point embarrassé à m’acquitter de ce devoir, si c’en est un, mais, d’un autre côté, j’aimerais mieux attendre que j’eusse à lui présenter quelque chose qui pût mériter son attention. Le choix qu’elle vient de faire de Franklin est très-digne d’elle, et je me félicite d’être devenu par là le confrère d’un aussi grand homme. M. Margraff m’a paru très-flatté, de ce que je lui ai dit de votre part et m’a chargé de vous en témoigner sa vive reconnaissance. Voudriez-vous avoir la bonté de me rappeler dans le souvenir de notre marquis Caraccioli, dont je n’ai point de nouvelles depuis longtemps.

Ce que le Roi vous a mandé à mon sujet m’a fait un plaisir infini ; je ne souhaite rien de lui, sinon qu’il ne soit pas mécontent de moi, et assurément je fais de mon mieux pour ne point lui en donner l’occasion. Adieu, mon cher et illustre ami, je vous embrasse de tout mon cœur.

P.-S. — J’ai relu les Lettres où vous me parlez de mon Mémoire sur les ressorts[3]. Je crois avoir déjà répondu aux difficultés que vous me proposez en passant condamnation sur quelques-unes ; mais j’examinerai de nouveau toute cette matière si vous le souhaitez.

Je m’étais bien douté que celui qui réclamait contre le jugement de l’Académie était le P. Frizi. Ne trouvez-vous pas qu’il a, en Géométrie, une espèce de suffisance qui cadre mal avec cette Science ? Mais il faut lui pardonner cela en qualité de moine. Adieu iterum.

P.-S. — Je vous prie de me dire si, en qualité de secrétaire de l’Académie française, vous avez le port de lettre franc, auquel cas je vous enverrai les miennes par la voie ordinaire de la poste.

À Monsieur d’Alembert, Secrétaire de l’Académie française,
Membre de l’Académie royale des Sciences, etc., rue Saint-Dominique,
vis-à-vis Belle-Chasse, à Paris
. (Franco.)

  1. Dans le sixième Volume des Opuscules.
  2. Charles-Émile de Gaulard de Sandray. Il avait été envoyé à Berlin en 1770.
  3. Voir plus haut, Lettres du 8 novembre 1771 et du 6 février 1772, p. 214 et suiv. et 224.