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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 116

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 265-267).

116.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, ce 13 juin 1773.

Mon cher et illustre ami, je vous prie instamment de me faire un plaisir qui ne vous coûtera pas beaucoup de peine. Je viens de lire, dans la Gazette des Deux-Ponts, qu’on imprime à Berlin une traduction française du voyage de MM. Banks et Solander[1]. Je n’ai point entrepris de traduire cet Ouvrage, à Dieu ne plaise que je me dévoue à cet ennui ; mais il m’importe de savoir, pour des raisons dont le détail vous ennuierait, où en est cette entreprise de Berlin. Je vous serais donc très-obligé de vous informer ; 1o quels sont les traducteurs de cet Ouvrage ; 2o s’il est bien avancé, s’il est actuellement sous presse et quand on compte qu’il pourra paraître ; 3o de quel format il sera, in-octavo ou in-quarto, car je ne pense pas qu’on le mette in-douze ; 4o s’il sera bien exécuté, si les planches seront bien gravées et combien il y en aura ; 5o quel sera le prix de l’Ouvrage. Vous me ferez, de plus, un très-grand plaisir de vouloir bien prendre ces informations le plus promptement que vous pourrez et m’en instruire sans délai en m’écrivant directement par la poste. Je vous prie aussi, en prenant ces informations, de ne pas dire qu’on vous ait prié de le faire, pour ne point alarmer mal à propos ceux qui pourraient croire que je veux aller sur leurs brisées. Mille pardons, mon cher et illustre ami, de l’embarras que je vous cause ; heureusement cet embarras ne vous coûtera que cinq ou six questions et autant de lignes de réponse.

Je suis fort curieux de savoir si l’on vous fera des propositions et ce qu’elles pourront être, et je persiste dans l’avis que je vous ai donné à ce sujet. J’ai déjà dit à un M. Bartoli[2], qui était ici il y a un mois, que si on voulait vous avoir il était juste de vous faire un sort convenable et digne de vous.

Vous avez dû recevoir, par notre ami Le Catt, le programme pour 1775, qui peut-être ne vous intéressera guère. Le marquis de Condorcet a reçu votre Lettre, et il est très-flatté du suffrage que vous donnez à ses Éloges, qui, en effet, me paraissent excellents. Je recevrai avec grand plaisir le Volume de 1771, et, quoi que vous en disiez, je ne suis pas en doute que tout ce qui y sera de vous ne soit intéressant. Je suis charmé que vous ayez trouvé un imprimeur pour le Recueil de vos Mémoires ; je les attends avec impatience, et je m’en rapporte bien à vous, d’ailleurs, pour ce que vous voudrez envoyer à notre Académie. Quant à moi, j’ai fait trêve avec la Géométrie, au moins pour quelque temps, et je m’en trouve assez bien pour le physique, mais non pour le moral, car il s’en faut bien que l’histoire de l’Académie que je fais m’intéresse autant. Elle est cependant fort avancée j’ai fait cet hiver près de deux Volumes. Je ne sais pas quand ils paraîtront, mais j’espère qu’ils ne vous ennuieront pas. Vous ne trouverez pas grand’chose qui mérite votre attention dans le reste de mon sixième Volume, que vous avez reçu. Je crois seulement qu’on peut tirer un assez bon parti du nouveau principe d’Hydrodynamique que j’ai donné, et qui, si je ne me trompe, est la vraie clef du mouvement des fluides mais je n’ai plus assez de tête pour le suivre. Adieu, mon cher et illustre ami ; je vous embrasse de tout mon cœur et je vous demande une réponse prompte sur mes importunes questions. Vale et me ama.

À Monsieur de la Grange, directeur de la Classe mathématique
de l’Académie des Sciences, etc., à Berlin
.
(En note : Répondu le 29 juin 1773.)

  1. Joseph Banks, naturaliste, né à Londres le+ janvier 1743, mort le 19 juin 1820. — Daniel-Charles Solander, naturaliste, né dans le Nordland (Suède), mort le 16 mai 1782 à Londres. Tous deux avaient été compagnonsdu capitaine Cook, mais ils n’ont publié aucune relation de leur voyage.
  2. C’est probablement Joseph Bartoli, professeur de Belles-Lettres à Turin, correspondant de l’Académie des Inscriptions, né à Padoue en févier 1717, mort en 1788.