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Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 133

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 298-300).

133.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 29 mai 1775.

On ne saurait être plus sensible que je le suis, mon cher et illustre ami, au vif intérêt que vous prenez à tout ce qui me regarde. Je vous ai écrit, si je ne me trompe, au commencement de l’année ; si depuis ce temps je ne vous ai pas donné de mes nouvelles, c’est qu’il ne m’est rien arrivé de particulier, et, quant à mes travaux, ils ont été si peu de chose, que j’aurais eu honte de vous en entretenir. Ce n’est pas que je n’aie lu de temps à autre quelque Mémoireà l’Académie, mais ce sont purement des Mémoires de remplissage et qui ne renferment rien d’assez piquant pour pouvoir mériter votre attention. Je suis maintenant après à donner une théorie complète-des variations des éléments des planètes en vertu de leur action mutuelle. Ce que M. de la Place a fait sur cette matière[1] m’a beaucoup plu, et je me flatte qu’il ne me saura pas mauvais gré de ne pas tenir l’espèce de promesse que j’avais faite de la lui abandonner entièrement ; je n’ai pas pu résister à l’envie de m’en occuper de nouveau, mais je ne suis pas moins charmé qu’il y travaille aussi de son côté ; je suis même fort empressé de lire ses recherches ultérieures sur ce sujet, mais je le prie de ne m’en rien communiquer en manuscrit et de ne me les envoyer qu’imprimées ; je vous prie de vouloir bien le lui dire, en lui faisant en même temps mille compliments de ma part. J’avais lu effectivement dans les gazettes la nouvelle dont vous me parlez, et j’y avais pris la plus grande part ; j’en attendais seulement la confirmation par des Lettres particulières pour vous en féliciter, ainsi que notre ami le marquis de Condorcet. Je viens maintenant d’apprendre que ce dernier a été fait directeur de la Monnaie. Dites-moi ce qu’il en est et si je dois lui en faire compliment. En attendant, je vous prie de me rappeler dans son souvenir et de me recommander à son amitié. Je crois lui avoir aussi écrit au commencement de l’année, et j’attends toujours de ses nouvelles : Je l’avais prié de vouloir bien se chargér de m’envoyer les Ouvrages que votre Académie fait paraître ; je viens maintenant de recevoir une balle qui contient ce qu’elle a publié depuis le temps de ma réception, mais c’est de la part de M. de la Lande ; je vous prie d’en dire un mot à l’un et l’autre ; je me réserve de faire remercier ce dernier par M. Bernoulli, lorsqu’il sera de retour. Vous m’obligeriez infiniment, mon cher ami, de me procurer la liste imprimée de-tous les arts que l’Académie a déjà publiés[2], avec les prix ; je crois qu’on peut l’avoir chez les libraires qui les ont imprimés.

Je vous remercie de tout mon cœur de la bonne volonté que vous me témoignez au sujet du prix des comètes, mais je doute fort que je sois dans le cas de pouvoir en profiter ; je ne me suis pas assez bien porté cet hiver (qui est le temps où je travaille le plus volontiers) pour que j’aie pu m’appliquer à cette matière avec. toute l’attention qu’elle demande à présent je n’en ai plus le loisir, et le terme est trop court. D’ailleurs, il me semble que vous avez actuellement en France des jeunes gens qui promettent beaucoup et qui pourraient courir cette carrière mieux que moi. Adieu, mon cher et illustre ami ; je vous parlerai une autre fois de votre nouvelle méthode pour le mouvement des fluides, que j’ai trouvée très ingénieuse et qui mérite bien d’être poussée plus loin, comme vous le promettez. Il ne me reste de papier que pour vous embrasser et vous demander la continuation de votre précieuse amitié.

P.-S. — J’attends une occasion pour vous faire parvenir le Volume de nos Mémoires qui vient de paraître ; il y en a quatre de moi, pour lesquels je vous demande d’avance votre indulgence.

À Monsieur d’Alembert, secrétaire de l’Académie française,
membre des Académies des Sciences de France et de Prusse, etc., etc.,
rue Dominique, vis-à-vis Belle-Chasse, à Paris
.

  1. Lagrange veut probablement parler de deux Mémoires insérés dans le Recueil de l’année 1772 (p. 343 et 651) et ayant pour sujet Les solutions particulières des équations différentielles et les inégalités séculaires des planètes.
  2. La Description des arts et métiers, faite ou approuvée par MM. de l’Académie des Sciences, publiée de 1761 à 1789, en 113 cahiers in-folio.