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Correspondance de Voltaire/1741/Lettre 1454

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Correspondance de Voltaire/1741
Correspondance : année 1741GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 75-76).

1454. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Camp de Strehlen, 25 juin.

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L’annonce de votre Histoire me fait bien du plaisir ; cela n’ajoutera pas un petit laurier de plus à ceux que vous prépare la main de l’Immortalité c’est votre gloire, en un mot, que je chéris. Je m’intéresse au Siècle de Louis XIV ; je vous admire comme philosophe, mais je vous aime bien mieux poëte.

Préférez la lyre d’Horace
Et ses immortels accords
À ces gigantesques efforts
Que fait la pédantesque race,
Pour mieux connaître les ressorts
De l’air, des corps, et de l’espace,
Grands objets trop peu faits pour nous.
Ces sages souvent sont bien fous.


L’un fait un roman de physique ; l’autre monte avec bien de la peine, et ajuste ensemble des différentes parties d’un système sorti de son cerveau creux.

Ne perdons point à rêvasser
Un temps fait pour la jouissance.
Ce n’est point à philosopher
Qu’on avance dans la science.
Tout l’art est d’apprendre à douter,
Et modestement confesser
Nos sottises, notre ignorance.

L’histoire et la poésie offrent un champ bien plus libre à l’esprit. Il s’agit d’objets qui sont à notre portée, de faits certains, et de riantes peintures. La véritable philosophie, c’est la fermeté d’âme et la netteté de l’esprit qui nous empêche de tomber dans les erreurs du vulgaire, et de croire aux effets sans cause.

La belle poésie, c’est sans contredit la vôtre ; elle contient tout ce que les poëtes de l’antiquité ont produit de meilleur.

Votre Muse, forte et légère,
Des agréments semble la mère,
Parlant la langue des amours ;
Mais, lorsque vous peignez la guerre,
Comme un impétueux tonnerre
Elle entraîne tout dans son cours.

C’est que vous et votre Muse, vous êtes tout ce que vous voulez. Il n’est pas permis à tout le monde d’être Protée comme vous ; et nous autres pauvres humains, nous sommes obligés de nous contenter du petit talent que l’avare nature a daigné nous donner.

Je ne puis vous mander des nouvelles de ce camp, où nous sommes les gens les plus tranquilles du monde. Nos housards sont les héros de la pièce pendant l’intermède, tandis que les ambassadeurs me haranguent, qu’on fait les Silésiens cocus, etc., etc.

Bien des compliments à la marquise ; quant à vous, je pense bien que vous devez être persuadé de la parfaite estime et de l’amitié que j’aurai toujours pour vous. Adieu.

Le pauvre Césarion est malade à Berlin, où je l’ai renvoyé pour le guérir ; et Jordan, qui vient d’arriver de Breslau, est tout fatigué du voyage.