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Correspondance de Voltaire/1745/Lettre 1739

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Correspondance de Voltaire/1745
Correspondance : année 1745GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 374-375).

1739. — À M. DE MONCRIF,
à versailles.
À Paris, le 16 juin.

Je n’avais, mon cher sylphe[1], supplié Mme de Luynes[2] de présenter ma rapsodie à la reine que parce qu’il paraissait fort brutal d’en laisser paraître tant d’éditions sans lui en faire un petit hommage ; mais je vous prie de lui dire très-sérieusement que je lui demande pardon d’avoir mis à ses pieds une pauvre esquisse que je n’avais jamais osé donner au roi.

Enfin, Sa Majesté ayant bien voulu que je lui dédiasse sa bataille, j’ai mis mon grain d’encens dans un encensoir un peu plus propre, et le voici que je vous présente. C’est à présent que vous pouvez dire hardiment à la reine que cela vaut mieux que la maussaderie[3] de notre ami le poëte Roi. Je ne vois pas qu’aucun de ceux que j’ai si justement célébrés soit fort content que cet honnête homme ait dit, en style d’huissier-priseur, que j’ai adjugé les lauriers selon mon caprice ; mais c’est une des moindres peccadilles de M. le chevalier de Saint-Michel. Mon aimable sylphe, cet animal-là est un vilain gnome. Il a fait une petite satire dans laquelle il dit de moi :


Il a loué depuis Noailles[4]
Jusqu’au moindre petit morveux
Portant talon rouge à Versailles.

On débite cette infamie avec les noms de MM. d’Argenson, Castelmoron, et d’Aubeterre, en notes. Vous êtes engagé d’honneur à faire connaître à la reine ce misérable. Si je n’étais pas malade, j’irais me jeter à ses pieds. Je vous supplie instamment de lui faire ma cour.

Comptez que je vous aimerai toute ma vie.

  1. Allusion à l’opéra-ballet de Zélindor, paroles de Moncrif, musique de Rebel et Francœur, joué à Versailles le 17 mars 1745 ; à Paris, le 10 août suivant. (B.)
  2. Marie Brulard de La Borde, mariée, en janvier 1732, au duc de Luynes, frère de l’académicien. Nommée dame d’honneur de la reine en 1732, elle mourut en septembre 1760. Voyez la fin d’une lettre, de février 1748, au président Hénault. (Cl.)
  3. Discours au roi sur le succès de ses armes, par M. Roi, chevalier de l’ordre de Saint-Michel, 1745, in-4o. On lit, page 7, ce vers :
    Et suivant mon caprice adjuger les lauriers.
  4. Ces trois vers sont extraits d’une pièce dont l’auteur, comme il a été dit page 372, n’est pas Roi, mais Marchand.