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Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4400

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 135).
4400. — À M. FYOT DE LA MARCHE[1].
(fils.)
À Ferney, 3 janvier 1761.

Monsieur, permettez qu’au commencement de cette année je vous renouvelle les sentiments de la reconnaissance que je dois à vos bontés et à toutes celles dont monsieur votre père m’a honoré si longtemps. Permettez en même temps que j’aie recours à vous, dans un événement qui intéresse toute notre petite province de Gex, au nom de laquelle j’ai l’honneur de vous parler.

Le fils d’un bourgeois de Sacconex, au pays de Gex, a été assassiné par un curé d’un village nommé Moëns, et par plusieurs paysans complices de ce curé[2]. Le crime a été commis le 28 décembre ; nous sommes au 3 janvier, et à peine y a-t-il une faible procédure commencée par la justice de Gex. J’ai vu le fils du sieur Decroze blessé, je l’ai vu dans son lit n’attendant que la mort. Le père, très-âgé et incapable de suivre cette cruelle affaire par son âge et par sa douleur, m’a remis un mémoire que j’ai envoyé à monsieur le procureur général. Je vous supplie instamment, monsieur, de vouloir bien vous le faire représenter. Les officiers de la justice de Gex furent très-empressés à faire une descente sur les lieux, il y a deux ans, au sujet de six noix volées sur mes terres, et d’un coup de sabre très-léger donné sur le bras du voleur. Ils entendirent cinquante-deux témoins, ils firent des informations de vie et de mœurs, croyant que je payerais tous leurs frais (en quoi ils se sont trompés) ; aujourd’hui qu’il s’agit de la sûreté publique, d’un assassinat avéré, d’un mourant et de deux blessés, je crois que nous avons besoin de votre autorité pour encourager les officiers de Gex à faire toutes les diligences que mérite un cas si extraordinaire. Nous attendons tout de votre bonté et de votre pouvoir. Et en mon particulier, monsieur, je vous aurai plus d’obligation qu’un autre, mes terres touchant de tous les côtés au lieu où le crime a été commis, et les habitants de ce lieu étant d’une férocité qu’on ne peut trop craindre et trop réprimer.

Je suis avec beaucoup de respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.
  1. Éditeur, H. Beaune.
  2. On peut lire les détails de cette affaire dans une lettre de Voltaire au président de Brosse, en date du 30 janvier 1761.