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Correspondance de Voltaire/1761/Lettre 4427

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Correspondance : année 1761
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 161-162).

4427. — À M. LE MARQUIS DE CHAUVELIN.
21 janvier.

Voici, pour Votre Excellence, la négociation la plus importante que vous ayez jamais fait réussir. Le porteur, avec son baragoin, est à la tête d’une troupe d’histrions ; il a le privilège du gouverneur de Bourgogne ; il veut nous donner du plaisir : c’est donc un homme nécessaire à la société. Une autre troupe d’histrions, nommés prédicants calvinistes, a eu l’insolence de trouver mauvais que les Genevois jouassent Alzire en France, au château de Tournay. Cette ville d’usuriers corromprait sans doute, en France, la pureté de ses mœurs. De plus, les faquins à monologue sont si jaloux des gens à dialogue[1], qu’ils veulent avoir le privilège exclusif d’ennuyer le monde. Le porteur a une troupe catholique : il peut donner du plaisir sur terre de France ; mais les terres de Savoie sont plus à portée. S’il peut s’établir à Carouge, petit village[2] aux portes de Genève, il croit nos plaisirs assurés, et sa fortune faite. Il demande donc votre protection.

Ô belle ambassadrice ! actrice charmante ! portez nos prières à M. de Chauvelin ; favorisez un art dans lequel vous daignez exceller ; confondez des hérétiques qui prêchent contre la divinité de Jésus-Christ, et contre Athalie et Polyeucte. La descendante du grand Corneille, qui est aux Délices, vous conjure, par les mânes de Cinna et de Chimène, de procurer une église dans Carouge au sacristain que nous vous dépêchons.

Monsieur l’ambassadeur, regardez cette affaire comme la plus importante de votre vie, ou du moins de la nôtre. Les Délices seront-elles assez heureuses pour vous reposséder au mois de mai ?

Respect et attachement éternel. Comment se portent le fils et la mère ?

  1. Voyez tome XXIV, page 215.
  2. Carouge est aujourd’hui une jolie ville peuplée de plusieurs milliers d’habitants.