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Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4809

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 15-16).

4809. — À M. DAMILAVILLE.
26 janvier.

Mes chers frères, je vous remercie, au nom de l’humanité, du Manuel de l’Inquisition. C’est bien dommage que les philosophes ne soient encore ni assez nombreux, ni assez zélés, ni assez riches, pour aller détruire, par le fer et par la flamme, ces ennemis du genre humain, et la secte abominable qui a produit tant d’horreurs.

M. Picardin me mande qu’il est assez content du succès du Droit du Seigneur : on dit qu’on l’a gâté encore après la première représentation. Il faudrait avoir un peu plus de fermeté, et savoir résister à la première fougue des critiques, qui fait du bruit les premiers jours, et qui se tait à la longue. On ne peut que corriger très-mal quand on corrige sur-le-champ, et sans consulter l’esprit de l’auteur : cela même enhardit les censeurs ; ils critiquent ces corrections faites à la hâte, et la pièce n’en va pas mieux.

Je vais écrire aux frères Cramer, et j’enverrai, par la poste suivante, les deux exemplaires qu’on demande concernant le Despotisme oriental[1]. Ce livre, très-médiocre, n’est point fait pour notre heureux gouvernement occidental. Il prend très-mal son temps, lorsque la nation bénit son roi et applaudit au ministère. Nous n’avons de monstres à étouffer que les jésuites et les convulsionnaires.

M. Picardin demande absolument la préface[2] du Droit du Seigneur : cela est de la dernière conséquence ; il y a quelque chose d’essentiel à y changer. Je supplie donc qu’on me l’envoie par la première poste, et M. Picardin la renverra incontinent.

On n’a point reçu de lettre de frère Thieriot ; cela n’a pas trop bon air ; il devait, ce me semble, montrer un peu plus de sensibilité.

J’embrasse tendrement tous les frères. S’ils ne dessillent pas les yeux de tous les honnêtes gens, ils en répondront devant Dieu. Jamais le temps de cultiver la vigne du Seigneur n’a été plus propice. Nos infâmes ennemis se déchirent les uns les autres ; c’est à nous à tirer sur ces bêtes féroces pendant qu’elles se mordent, et que nous pouvons les mirer à notre aise.

Soyez persévérants, mes chers frères, et priez Dieu pour moi, qui ne me porte pas trop bien.

Élevons nos cœurs à l’Éternel. Amen.

  1. Voyez la note, page 25.
  2. Cette préface ne nous est pas parvenue.