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Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4891

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 101-102).

4891. — À M. DEBRUS[1].
Aux Délices, à midi.

Plus je réfléchis, monsieur, sur l’épouvantable destinée des Calas, plus mon esprit est étonné et plus mon cœur saigne. Je vois évidemment que l’affaire traînera à Paris, et qu’elle s’évanouira dans les délais. Le chancelier est vieux[2]. La cour est toujours bien tiède sur les malheurs des particuliers. Il faut de puissants ressorts pour émouvoir les hommes, occupés de leurs propres intérêts. Nous sommes perdus si l’infortunée veuve n’est pas portée au roi sur les bras du public attendri, et si le cri des nations n’éveille pas la négligence.

Il faut absolument que je vous parle aujourd’hui. Je vous prie que Donat Calas soit à portée, que M. l’avocat de Gobre (j’écris mal son nom[3]) soit de notre conférence. Appelez-y qui vous voudrez, M. Martin ou un autre. Plût à Dieu que M. Tronchin le professeur y fût ! Donnez-moi votre heure, je me rendrai chez vous ou chez M. Tronchin à l’heure que vous prescrirez[4].

  1. Éditeur, A. Coquerel. — Autographe.
  2. Guillaume II de Lamoignon, chancelier de France depuis 1750, était né en 1683 ; il avait donc, en 1762, soixante-dix-neuf ans.
  3. En effet, Voltaire se trompe sur ce nom qui, plus tard, se rencontra souvent sous sa plume. Charles de Manoel de Végobre était un avocat protestant de la Salle en Languedoc ; la persécution l’avait obligé de se réfugier à Genève ; il y fut jusqu’à sa mort, en 1801, un protecteur infatigable des protestants de France. Dans l’affaire des Calas en particulier, il devint, avec le négociant Debrus, le banquier Cathala et le pasteur Moultou, le conseil secret et très-actif de la famille du condamné. Voltaire lui écrivit souvent. (Note du premier éditeur.)
  4. L’adresse est : « À monsieur, monsieur de Bruce, derrière le Rhône. »