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Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5011

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5011. — À M. LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
Aux Délices, 21 auguste.

Le vieux paresseux malade a rarement la consolation d’écrire à son philosophe d’Angoulême. Vous avez dû recevoir un petit imprimé[1] qu’on dit assez curieux, et qui est dans votre goût. Je pense qu’il vous fut envoyé par votre libraire de Genève, avant votre voyage de Paris. Le libraire m’a dit que vous ne lui en aviez point accusé la réception. Il prétend que c’est un ouvrage très-rare, et qu’il a eu beaucoup de peine à vous trouver. Si vous aviez quelque envie de voir les Mémoires de Calas, il faudrait donner une adresse par laquelle on pût vous épargner un port considérable ; ce qui n’est pas à présent trop aisé. Ces Calas sont, comme peut-être vous l’avez déjà ouï dire, des protestants imbéciles que des catholiques un peu fanatiques ont fait rouer à Toulouse. Si notre siècle a des moments de raison, il en a de folies bien atroces.

Les Turcs prétendent que leur Alcoran a tantôt un visage d’ange, et tantôt un visage de bête. Cette définition de l’Alcoran convient assez au temps où nous vivons : il y a quelques philosophes, voilà les visages d’anges ; tout ce qui se fait ailleurs ressemble fort à des visages de bêtes.

Je crois que nous aurons bientôt ici le gouverneur de votre Guienne[2] ; il fait, comme vous, un petit pèlerinage chez le vieux gymnosophiste ; mais de tous les sages qui sont venus dans cet ermitage, vous serez toujours celui que je regretterai et que j’aimerai le plus.

Nous n’avons point eu de nouvelles intéressantes depuis la dernière colique du czar. Il n’y a eu ni roi détrôné, ni moines abolis, ni batailles données la semaine dernière.

  1. Extrait des Sentiments de J. Meslier ; voyez tome XXIV, page 293.
  2. Le maréchal de Richelieu.