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Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5028

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5028. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
5 septembre.

Madame, voilà donc la paix presque faite. Votre Altesse sérénissime s’en réjouit, et il y a grande apparence que Votre Altesse ne fera plus les honneurs de chez elle qu’à ceux qui viendront uniquement pour lui faire leur cour. On y venait en trop grande compagnie, et sans être prié, ce qui est assurément contre les règles de la civilité. Le grand fléau qui désolait l’Europe va donc cesser, jusqu’à la première fantaisie d’un roi et d’un ministre qui voudront faire parler d’eux. Il ne nous reste plus que les petits fléaux ordinaires. L’aventure de Calas est de ce nombre, et j’espère qu’on réformera ce détestable arrêt d’assassins en robe. J’y travaille du fond de ma retraite, et malgré mes infirmités. Je ne veux point mourir que je n’aie vu la fin de cette affaire.

Je crois celle de Russie finie ; la czarine a fait une plaisante oraison funèbre de monsieur son mari[2].

Votre Altesse sérénissime veut un Meslier ; le voilà, accompagné d’un petit sermon qu’on a imputé au roi de Prusse, quoique à tort. Je ne vous envoie, madame, ces deux ouvrages extrêmement rares que parce qu’ils ne sont empoisonnés d’aucun levain d’athéisme. On y déteste les erreurs humaines, et l’infâme charlatanisme qui donne encore aujourd’hui tant d’honneurs et tant d’argent aux corrupteurs de la raison. Les fanatiques ont commencé par l’humilité et par la douceur, et ont tous fini par l’orgueil et par le carnage. Tous sont également les ennemis de Dieu, du père de tous les hommes, les ennemis du sens commun que Dieu nous a donné, les ennemis de notre liberté et de notre repos. Enfin ils sont infaillibles, car ils ont trente millions de rente. On peut certainement adorer un Dieu sans adorer ces messieurs-là.

Ce qui est adorable après Dieu, si on peut user de ce terme, c’est la vertu aimable ; donc, mille profonds respects.

    chacun, j’en conviens, y apporte la lumière, qui jaillit à grands flots de tous les côtés à la fois : mais l’éloquence simple, vive, moins déclamatoire que pathétique c’est ce qu’on trouve chez Voltaire seul. (Note du premier éditeur.)

  1. Éditeurs, Bavoux et François. — Cette lettre est de 1762, et non de 1760.
  2. Elle attribuait la mort de Pierre III à des hémorroïdes.