Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 5099

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 297-298).

5099. — À M. DE CHENEVIÈRES[1].
Ferney, 3 décembre.

Mon cher ami, vous savez que je suis un mauvais correspondant ; mais je n’en suis pas moins un véritable ami, et je vous aime comme si je vous écrivais tous les jours.

Dieu merci, vous n’avez plus tant d’hôpitaux militaires à diriger ; on coupera moins de bras et de cuisses, on ne nous battra plus, et nos campagnes auront plus de cultivateurs ; c’est à quoi je m’intéresse plus particulièrement, parce que je suis un bon laboureur, et que je serais un fort mauvais soldat.

Je me fais à présent une espèce de parc d’environ une lieue de circuit, et je découvre de ma terrasse plus de vingt lieues. Vous m’avouerez que vous n’en voyez pas tant de votre appartement de Versailles. Voyez donc comme j’irai à Paris au printemps prochain ! Je me croirais le plus malheureux de tous les hommes si je voyais le printemps ailleurs que chez moi. Je plains ceux qui ne jouissent pas de la nature et qui vivent sans la voir. Chacun vante la retraite ; peu savent y rester. Moi, qui ne suis heureux et qui ne compte ma vie que du jour où je vis à la campagne, j’y demeurerai probablement jusqu’à ma mort, et ce sera le terme de mon amitié pour vous.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.