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Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5241

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 431-432).

5241. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 21 mars.

Mes anges croient recevoir un gros paquet de vers, mais ce n’est que de la prose. Cette prose vaux mieux que des vers ; c’est un projet d’éducation[1] que M. de La Chalotais doit présenter au parlement de Bretagne, et sur lequel il m’a fait l’honneur de me consulter. Si mes anges veulent le parcourir, je crois qu’ils en seront contents. Je vous supplie de vouloir bien le lui renvoyer contre-signé, soit duc de Praslin, soit Courteilles.

Si le procureur général de Toulouse avait fait de tels ouvrages, au lieu de poursuivre la mort de Jean Calas, je le bénirais au lieu de le maudire.

Je ne sais point encore quel parti prendra Mlle Clairon. Je lui ai offert un logement chez moi : car assurément elle n’en trouverait pas à Genève, et cette ville à consistoire n’est pas trop faite pour une comédienne. M. Tronchin prétend que le voyage peut lui être funeste dans l’état où elle est. Il assure de plus qu’elle ne peut jouer d’une année entière sans être en danger de mort. La Comédie va être abandonnée ; la nôtre l’est aussi. Mme Denis est toujours malade, et je suis plus misérable que jamais. Ma consolation est la journée du 7 mars, ce conseil d’État de cent personnes, ce qui ne s’était jamais vu, cet arrêt qui est déjà la justification des Calas, cette joie du public, et ce cri unanime contre le capitoul David. Tous ces David me déplaisent, à commencer par le roi David, et à finir par David le libraire[2],

Mes anges ont-ils trouvé quelque gros marguillier de Saint-Eustache qui ait déterré l’extrait baptistaire d’un Corneille, fils d’un Pierre Corneille, gentilhomme ordinaire du roi, et d’une Le Cochois ? Il ne m’est point venu de nouveaux Corneille ; mais, s’il m’en venait, ils ne m’ennuieraient pas plus que la Sophonisbe du grand Pierre, que je fais actuellement imprimer. Je ne sais si je vivrai assez longtemps pour finir cet ouvrage. Je presse Cramer tant que je peux, car j’aime à corriger des épreuves, et je crains les œuvres posthumes.

Je présente mes tendres respects à mes anges, et je leur demande pardon du gros paquet.

  1. Voyez lettre 5207.
  2. C’est au nom de Michel-Étienne David, libraire à Paris, qu’est le privilège du roi, du 26 juillet 1720, pour l’impression des Œuvres de Corneille ; et les ayants droit de ce David s’opposaient à l’annonce du Théâtre de Corneille avec le commentaire de Voltaire.