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Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5278

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5278. — À M. LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI.
Aux Délices, 5 mai.

Le pauvre vieux malade a reçu, monsieur, des bouteilles de vin dont il vous remercie, et dont il boira, s’il peut jamais boire ; il y a aussi des saucissons dont il mangera, s’il peut manger : il est dans un état fort triste, et ne peut guère actuellement parler ni de vers ni de saucissons. Vraiment, monsieur, vous me faites bien de l’honneur de vous regarder comme mon fils ; il est vrai que je me sens pour vous la tendresse d’un père, et que de plus j’ai l’âge requis pour l’être.

N’attribuez, monsieur, qu’à ma vieillesse si je ne me souviens pas du Père Paciaudi[1] ou Pacciardi ; je n’ai pas la mémoire bien fraîche et bien sûre. Il se peut faire que j’aie eu l’honneur de voir ce théatin ; mais je prie son ordre de me pardonner si je ne m’en souviens pas.

Rien ne peut égaler l’honneur que vous et vos amis m’avez daigné faire en traduisant quelques-uns de mes faibles ouvrages, et rien ne peut diminuer à mes yeux le mérite des traducteurs, ni affaiblir ma reconnaissance.

Comme l’état où je suis ne me permet d’écrire que très-rarement, et encore par une main étrangère, je n’entretiens pas un commerce fort suivi avec notre cher Goldoni ; mais j’aime toujours passionnément ses écrits et sa personne. J’imagine qu’il restera longtemps à Paris, où son mérite doit lui procurer chaque jour de nouveaux amis et de nouveaux agréments. Mais, quand il retournera dans la belle Italie, je le supplierai de passer par notre ermitage ; nous aurons le plaisir de nous entretenir de vous. Il vous portera, monsieur, mon respect extrême pour votre personne, et mes regrets de mourir sans avoir eu la consolation de vous voir.

  1. Paul-Marie Paciaudi, théatin et savant antiquaire, né à Turin en 1710, mort à Parme le 2 février 1785.