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Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6777

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 144-145).
6777. — À M. LACOMBE.
À Ferney, février.

Non, monsieur, vous n’êtes point mon libraire, vous êtes mon ami, vous êtes un homme de lettres et de goût, qui avez bien voulu faire imprimer un ouvrage d’un de mes autres amis[1], et qui voulez bien vous charger de donner une édition correcte des Scythes, dès que je pourrai vous faire connaître l’original.

La cruelle saison que nous éprouvons dans nos climats, monsieur, m’a réduit à un état qui ne m’a pas permis de répondre aussitôt que je l’aurais voulu à vos judicieuses lettres : je n’ai pu vous remercier de votre almanach[2], ni le lire. Les neiges, dans lesquelles je suis enterré, ont attaqué mes yeux plus violemment que jamais. On dit que c’était la maladie de Virgile ; je n’ai que cela de commun avec lui. Je n’ai ni son talent ni la faveur d’Auguste, et je ne crois pas que je soupe jamais avec M. de Laverdy, comme Virgile avec Mécène.

Je vous enverrai, n’en doutez pas, les Scythes, que je vous promets, et qui sont à vous. Je suis dans leur pays, et j’attends les dernières résolutions de quelques amis que j’ai à Babylone, pour savoir si l’impression doit précéder la représentation. Cette pièce réussira plus auprès des Français que les héros romains. Il y a de l’amour comme dans l’opéra-comique, et c’est ce qu’il faut à nos belles dames.

J’ai préparé un Avis[3] au public, dans lequel je dis que le sieur Duchesne, qui demeurait au Temple du Goût, mais qui n’en avait aucun, s’est avisé de défigurer tous mes ouvrages, et qu’il a obtenu un privilège du roi pour me rendre ridicule. Je crois du moins que son privilège est expiré, et qu’il m’est permis de donner mes ouvrages à qui bon me semble.

Je finis, selon ma coutume, par les sentiments de l’amitié, sans formules inutiles.

  1. La tragédie du Triumvirat, que Voltaire voulait qu’on attribuât à un jésuite.
  2. Almanach philosophique en quatre parties, suivant la division naturelle de l’espèce humaine en quatre classes ; à l’usage de la nation des philosophes, du peuple des sots, du petit nombre des savants, et du vulgaire des curieux, par un auteur très-philosophe. À Goa, chez Dominique Ferox, imprimeur du grand inquisiteur, à l’Auto-da-fè, rue des Fous ; pour l’an de grâce 1767, in-12.
  3. C’est l’Avis au lecteur qui est tome VI, page 335.