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Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6821

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 192-193).
6821. — À MADAME DU BOCCAGE[1].
Du château de Ferney, 2 avril.

Bion et Moschus, madame, vous ont bien de l’obligation de les avoir embellis, et moi d’avoir bien voulu m’envoyer vos deux très-jolies imitations. Je m’imagine que votre beauté est tout comme votre esprit. Vous étiez très-belle quand vous passâtes par ma cabane, en revenant des palais d’Italie. Vous ne devez avoir changé en rien ; une femme ne s’avise point de faire des vers amoureux sans inspirer de l’amour.

Mon petit La Harpe est enchanté de la bonté que vous avez de le faire Normand ; le voilà enrôlé sous vos drapeaux. C’est Sapho qui met Phaon de son académie ; il a plus d’esprit et de génie que Phaon, et peut-être autant de grâces ; cela n’a que vingt-sept ans.

Il semble fait également
Et pour le Pinde et pour Cythère,
Et pourrait être votre amant
Aussi bien que votre confrère.

Mais je vous avertis, madame, qu’il est coupable, comme moi, de préférer Jean Racine à Pierre Corneille. J’ai peur que, dans le fond de l’âme, vous ne tombiez dans le même péché. Je crois que c’est à cause de mon hérésie que Cideville ne m’écrit plus ; il m’a abandonné tout net comme un réprouvé. Faites-moi grâce : il ne faut pas que je sois excommunié partout.

Mille remerciements, madame, et mille respects. Comptez que je vous suis attaché pour le reste de ma vie[2].

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Cette dernière ligne est de sa main.