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Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7170

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 521-522).
7170. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
6 février.

Mon cher ange, mon gendre m’apporte votre lettre ; il est enchanté de vos bontés, et moi je suis désespéré. M. le duc de Choiseul s’est déclaré violemment contre les Sirven, après m’avoir promis qu’il serait leur protecteur. Mais le Repas[1] dont vous me parlez me fait encore plus de peine. Saint-Hyacinthe était, à la vérité, un sot dans la conversation, mais il écrivait bien ; il a fait de bons journaux, et il y a de lui un Militaire philosophe[2], imprimé depuis peu en Hollande, lequel est ce qu’on a fait peut-être de plus fort contre le fanatisme ; le Dîner a été imprimé sous son nom : pourquoi donc l’attribuer à une autre personne ? Cela est injuste et barbare : il y a plus, cela est très-dangereux et d’une conséquence affreuse. On est déchaîné de tous les côtés : on cherche l’ouvrage de Saint-Hyacinthe pour le faire brûler. M. Suard est l’homme du monde le plus capable de détourner des soupçons odieux qui perdraient un vieillard aimé de vous, et rempli pour vous de la tendresse la plus inaltérable.

Vous ai-je prié de persuader M. Suard ? Non ; je vous ai supplié de l’engager à rendre un service digne d’un honnête homme. Il n’importe pas qu’on accuse les morts, mais il importe beaucoup qu’on n’accuse pas les vivants. Que vous coûterait-il de prier M. Suard de passer chez vous, et de l’engager à rendre ce service ? Je vous le demande au nom de l’amitié. Les personnes avec lesquelles vous vivez en intimité croiront ce qu’elles voudront ; je suis bien sûr qu’elles ne me feront pas de mal ; mais les autres peuvent en faire beaucoup.

La poste va partir. Je n’ai que le temps de vous dire combien il est nécessaire qu’on ne me calomnie point auprès du roi, et que M. Suard et M. l’abbé Arnaud, que je vous crois attachés, empêchent qu’on ne me calomnie dans la ville. Je vous embrasse avec la plus vive tendresse.

  1. Le Dîner du comte de Boulainvilliers.
  2. Voyez la note, tome XXVII, page 117.