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Correspondance inédite du marquis de Sade/1774

La bibliothèque libre.
Texte établi par Paul BourdinLibrairie de France (p. 5-17).


1774







Madame de Sade fait avertir son mari que les cavaliers chargés de l’arrêter sont arrivés à la Coste. (Sans date)*

La maréchaussé de Marceil est ici pour arretter Mr de Sade sur lencienne lettre de cachet, vous savés ou il faut lui écrire marqué lui ce quil arrive et qui se tienne coite et ne repasse pas dens ce pays ci Vené sur le champ ne tardé pas une minute.


Le marquis, sur le point de quitter la Coste, fait hâter l’envoi de la plainte que madame de Sade va déposer contre sa mère. « Ce dimanche ». (Mars 1774).

Madame de Sade vient d’arriver, mon cher monsieur, prête à signer, et jugeant elle-même (qui a vu) nos préliminaires plus importants que jamais. En conséquence, je vous prie de vous rendre à la Coste avec la plainte toute dressée et prête à envoyer le plus tôt possible. Je pars dans la semaine et voudrais bien, avant, mettre tout en train. Faites l’impossible pour venir demain. Recevez, je vous prie les assurances sincères de ma parfaite reconnaissance et des sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être,

Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
Sade.

La marquise conte, dans sa requête, tout ce qui s’est passé depuis le début de l’année 1772 et y expose ses griefs contre madame de Montreuil

Dame Renée-Pélagie Cordier de Montreuil, épouse de messire Louis-Donatien-Adolphe Aldonce, marquis de Sade, chevalier, seigneur de la Coste, Mazan, Saumane et autres places, en son propre et comme administreresse de messieurs ses enfants, exposera qu’elle est dans la cruelle nécessité de recourir à la protection des lois pour repousser enfin la vexation la plus criante qui fut jamais. Victime innocente de l’attachement le plus sacré, elle réclame les droits de l’humanité depuis trop longtemps outragés.

Elle était, avec le marquis de Sade son mari, dans sa terre de la Coste, en Provence ; elle y fut jointe par la demoiselle de Launay sa sœur, sous le prétexte de lui faire compagnie et d’y respirer un air plus serein ; partagée entre son attachement pour son mari et sa tendresse pour ses enfants, elle y jouit pendant longtemps de cette paix que rien n’aurait dû troubler, et les empressements de son mari ne lui permettaient pas de suspecter qu’une fatale passion devait bientôt devenir le foyer d’une suite de malheurs et d’infortunes.

Son mari part pour Marseille, au mois de juin 1772, avec un domestique ; il retourne peu de jours après, mais, hélas ! elle apprend bientôt qu’on instruit dans cette ville une procédure ; elle cherche à fixer ses incertitudes, à calmer ses alarmes ; elle s’adresse à sa sœur, mais le trouble qu’elle lit dans son âme, la vacillation de ses réponses ne servent qu’à ajouter à son agitation ; elle vole à Marseille avec cette même sœur ; si elle voit, si elle est convaincue qu’une pure galanterie forme la seule matière de la procédure, elle aperçoit que la prévention la plus outrée avait saisi tous les esprits, que le moment était peu propre à la dissiper ; elle eût voulu tenter d’arracher le voile de cette prévention, mais l’abattement de sa sœur énervait la force qu’elle croyait trouver dans les ressources de son imagination ; elle retourne ; la procédure est prise, ou, plutôt, son instruction est précipitée par quelque génie malfaisant qui craignait le retour du calme et de la réflexion, et bientôt un arrêt flétrissant apprend aux hommes alarmés que les hommes eux-mêmes sont industrieux à imaginer des crimes pour trouver des criminels ; l’humanité perdit ses droits ; l’examen et la modération furent bannis du sanctuaire de la justice ; l’illusion subjuga la réalité ; la vertu du juge, aigrie par le levain d’une fatale prévention, fut elle-même le germe de l’erreur, et la conscience, cet oracle divin lorsqu’elle est éclairée, séduisit pour le moment l’esprit du magistrat aveuglé.

Si la suppliante eut à déplorer les égarements du cœur humain, elle se flatta de trouver dans la tendresse de ses parents une ressource dans ses infortunes… Elle s’adresse à la dame de Montreuil sa mère ; elle fait les derniers efforts pour percer jusqu’à son cœur, mais la tendresse ne parle plus en sa faveur ; sollicitée par son mari, c’est être complice de ses écarts. Ses écarts ! quel mot la suppliante a-t-elle prononcé ! La dame de Montreuil pouvait seule apprendre au public que son mari est plus malheureux que coupable ; elle croit cependant qu’elle doit elle-même le poursuivre ; il n’est pas jusqu’à la demoiselle de Launay qui ne se joigne pour exciter son ressentiment……

Le marquis de Sade était parti pour la Savoie ; il avait écrit à la dame de Montreuil, se flattant de trouver auprès d’elle une ressource contre l’injustice qui le poursuivait, mais, fatale lettre ! elle apprit à cette dame sa retraite, et bientôt, par le canal des ambassadeurs, elle surprend des ordres du roi de Sardaigne pour le faire arrêter. Mais ces ordres furent-ils obtenus sans le triomphe de la calomnie ? Et de quelles noires couleurs le marquis de Sade ne fut-il pas dépeint dans Paris, et surtout auprès de ces ambassadeurs ? Il serait trop humiliant pour la suppliante de les retracer.

Les mêmes ordres furent exécutés ; il fut constitué prisonnier dans le fort de Miolans, uniquement destiné pour les plus grands criminels. Affreux séjour ! Il ne voyait même pas la lumière. Les ordres étaient précis de lui interdire tout commerce de lettres. Cette précaution était nécessaire et pour cacher le lieu de sa rétention et pour le triomphe des vexations qu’il essuyait ; mais ce qui surprendra toute âme sensible, c’est que la dame de Montreuil, qui s’était érigée en despote absolu de la personne du marquis de Sade au préjudice du droit des gens et de la foi publique, interceptait et recevait elle-même toutes les lettres qui lui étaient adressées, et le marquis de Sade fut assez heureux que d’échapper, après cinq mois de détention, de cette odieuse prison. Sa fuite, envisagée comme un outrage fait à la volonté de la dame de Montreuil, ne fit qu’ajouter à l’ardeur de ses persécutions……

Il rentre en France et se retire dans sa terre de la Coste. Ce retour fait, en quelque manière, oublier à la suppliante ses infortunes passées ; elle ne s’occupe que du soin de calmer l’amertume de la situation de son mari ; elle se flatte que ses sollicitations vaincront à la fin la prévention de sa mère…… Filles du ciel ! Justice, vérité, tendresse, compassion ! Vous seules pouvez nous apprendre par quelle fatalité vous ne présidez plus sur les sentiments, sur les actions, sur les démarches de la dame de Montreuil, par quel prestige l’injustice de la calomnie, le déchaînement et la dureté vous succèdent à l’empire de son cœur ! Vous souffrez que leurs armes réunies accablent l’infortune et que le désespoir soit la seule ressource de celui que vous abandonnez ! Oui, la suppliante est forcée de le dire avec cette liberté qui n’altère ni son devoir ni son respect : la dame de Montreuil regarde avec effroi toute démarche pour la justification, pour la liberté de son gendre.

Elle part, elle agit et bientôt un exempt de police de Paris arrive à la Coste, dans le fond de la Provence, escorté de quatre archers de police et d’une troupe de cavaliers de la maréchaussée de la province. Si dans la route, si dans la province l’on ignore d’abord le motif d’une expédition aussi bruyante, bientôt l’on apprend que la personne, que les papiers du marquis de Sade en sont l’objet. De quel opprobre, dès lors, n’est-il pas couvert ! Les conjectures, les combinaisons se multiplient, les esprits s’aigrissent à l’aspect d’une démarche couverte du voile de l’autorité et que l’on sait n’être que l’ouvrage de la dame de Montreuil, et les échafauds, dès lors, ne sont pas suffisants pour expier ses forfaits.

Cette troupe arrive à la Coste la nuit du six janvier 1774. Les échelles étaient préparées, les murs du château sont escaladés ; on entre, le pistolet et l’épée à la main. C’est dans cet état que l’exempt de police se présente à la suppliante. La fureur excitée par son action peinte sur son visage, il lui demande, avec les plus affreux jurements dans sa bouche et les expressions les plus indécentes, où se trouve M. de Sade, son mari, qu’il le lui faut mort ou vif. Qui pourrait dépeindre la situation de la suppliante dans une circonstance aussi cruelle ? Elle voit la barbarie devant ses yeux ; l’horreur et la terreur l’agitent successivement : elle voit, elle ne peut se dissimuler l’ouvrage de sa mère ; elle veut le respecter tandis qu’elle en est accablée, et, si son honneur et les égards dûs à son rang et à son sexe outragé la portent à repousser la cruauté des insultes qu’elle essuie, son respect arrête les effets de son ressentiment. Elle répond que son mari est absent. Ce mot est le signal du plus affreux déchaînement. Cette troupe se divise ; l’une garde les avenues du château, l’autre se distribue pour fouiller dans tous les coins et recoins, les armes à la main, et prête à tout enfoncer à la moindre résistance ; les instruments en avaient été préparés, l’on voyait même, entre les mains de l’un des archers, une barre de fer forgée à Bonnieux pour enfoncer portes et meubles.

L’inutilité des recherches redouble la fureur ; le cabinet du marquis de Sade est l’objet de la dernière scène ; l’on arrache et l’on coupe des tableaux de famille ; l’exempt de police surtout se signale par l’enfoncement des bureaux et des armoires de ce cabinet ; il se saisit de tous les papiers et de toutes les lettres qu’il y trouve. Les uns, au gré de cet exempt, deviennent la proie des flammes ; il en sépare d’autres qu’il emporte, sans donner à la suppliante la moindre connaissance de ce qu’ils contenaient, sans en laisser le moindre état……

Cet homme pousse la témérité jusqu’à arracher de force des mains de la suppliante le papier le plus indifférent, à enlever une tabatière d’écaille garnie en or sur laquelle se trouvait un portrait en miniature, et, secondé par la troupe à ses ordres, il n’est sorte d’hostilités qu’ils ne commettent, il n’est sorte d’infamies qu’ils ne déclament contre la personne du marquis de Sade. C’est par des traits pareils que cet exempt alimentait sa fureur et celle de sa troupe, et si l’horreur de cette conduite, comme une étincelle que le moment voit naître et se dissiper, se présentait à ses yeux, le remords en était bientôt écarté par la force des ordres de la dame de Montreuil ; il ne faisait, disait-il, que les exécuter. Mais ce que l’on aura peine à croire, c’est que l’on a entendu quelques-uns de sa troupe pousser la barbarie jusqu’à vomir qu’ils avaient ordre de tirer chacun trois coups de pistolet sur le marquis de Sade et de porter ensuite son cadavre à la dame de Montreuil. Il y en a eu même qui, craignant avec raison que toutes ces horreurs n’excitassent quelque émeute de la part des habitants de la Coste dont l’attachement, mérité par leur seigneur…


Madame de Sade veut surveiller les progrès du jeune fils de Gaufridy.*

…Vous voudré bien donner a André une main de papier avec des plume pour quil aprene a écrire et lui dir que cant son papier cera remplie il me la portera pour que je voye les progrès ce vendredy 29 avrille 1774.

Voici une petite serure a faire acomoder le bouton.


Le marquis parle de ses malheurs, du mémoire qu’il a rédigé pour sa défense dans l’affaire de Marseille, et dit ce qu’il attend du voyage de sa femme à Paris. (Sans date).

Vous ne blâmerez pas, j’espère, mon cher monsieur, le conseil que j’ai donné à madame de partir pour Paris. J’imagine que dans les circonstances présentes vous jugerez comme moi sa présence nécessaire à la capitale. Vous voyez que son procureur l’y engage vivement, la réussite prompte des affaires l’exige. Comment poursuivre sans cela ? Vous voyez quelles longueurs ! En quatre mois nous ne savons pas encore seulement si la dame de Montreuil est assignée. Ma situation ne permet pas de tels délais, et il est temps que cette affaire se finisse décidément et d’une façon ou d’une autre. Dieu veuille que se munissant d’un peu plus de courage ce voyage-ci ne soit pas aussi infructueux que l’autre……

Convenez avec nous, monsieur, que la manie de madame de Montreuil de ne rien vouloir terminer est bien extraordinaire. Car enfin que gagne-t-elle à cela ? Perpétuer le déshonneur de cette malheureuse affaire, celui de sa fille et de ses petits-enfants, mettre un épouvantable désordre dans les biens et me faire mener, à moi, la vie la plus triste et la plus malheureuse, car vous croyez bien qu’on n’est jamais bien agréablement dans un pays, quand on est obligé de s’y cacher sans cesse et d’y jouer toutes sortes de rôles pour n’y être pas reconnu. Je vous assure que c’est un genre de supplice qui m’était inconnu, mais que je trouve bien dur et bien désagréable. Encore si l’on entrevoyait une fin à tout cela, mais qui peut la prévoir ? Je regarde la publicité de mon mémoire, quoi qu’en dise monsieur l’abbé, comme une chose essentielle, surtout à Paris dans la famille de madame, car enfin on a beau dire que je m’y fais passer pour plus coupable que l’on ne me croyait ; si cela est, je ne m’en rends que plus véridique et plus intéressant. Mais il me semble que le genre même de faute dont je conviens n’est nullement grave ni fait pour me faire condamner. Punit-on les pensées ? Dieu seul en a le droit parce que lui seul les connaît, mais les lois n’y peuvent rien, surtout lorsque (comme celle dont je conviens dans mon mémoire) elles sont à l’instant regrettées. D’ailleurs il n’y est pas même dit que je l’eus jamais, cette pensée. Il est dit que l’on me donna un mauvais conseil que je ne rejetai pas, mais que je n’adoptai jamais, et l’histoire des cantharides données pour simuler ce que l’on me conseillait, ne me paraît nullement, comme prétend monsieur l’abbé, être un crime si grand. Le parlement au moins ne l’a pas jugé tel. Car, si vous avez eu la procédure, une fois reconnu que ce n’a été que des cantharides, le fait n’est plus entré pour rien dans le jugement ; le désistement des filles le prouve au moins.

De grâce, enhardissez bien madame, donnez-lui de bons conseils, et qu’elle fasse l’impossible pour terminer tout dans les quatre mois que je lui donne encore pour cela. Mais, au nom de Dieu, qu’elle s’arrange pour ne me plus faire mener la vie errante et vagabonde que je mène ! Je sens que je ne suis pas fait pour un aventurier et la nécessité dans laquelle je suis d’en jouer le rôle est un des plus grands supplices de ma situation. Adieu, mon cher monsieur ; n’ayant plus le canal de madame, il est vraisemblable que je ne pourrai plus vous donner des nouvelles de ma situation, au moins jusqu’à son retour. De grâce, ayez bien soin de tout. Conservez-moi un peu d’amitié et croyez-moi pour la vie votre très humble et très obéissant serviteur.

Sade.

Madame de Sade fait part à l’avocat de ses premières démarches à Paris et des difficultés qu’elle aura à vaincre. « Ce 29 juillet 1774 ».

Me voici enfin à Paris, monsieur, mais monsieur l’abbé de Sade s’est moqué de moi assurément en m’adressant à monsieur l’abbé Amblet qui est à la campagne pour sa santé…… Je présume que le procureur du roi pourrait bien être médiateur dans cette affaire, quoiqu’il ait le soin de dire à tout le monde que je suis une folle. J’ai été saluée de ce compliment et le serai encore à ce que l’on m’assure. Du reste Chapote est un jeune homme doux, honnête, de l’esprit tout plein. Je ne peux mieux le comparer qu’à vous. L’endroit de la plainte qui regarde ma sœur, ils ne l’entendaient pas, il a fallu qu’il [le] leur explique. Il en a été d’autant plus étonné que ces messieurs ont beaucoup d’esprit. Pour lui il a vu tout de suite de quoi il s’agissait et les raisons de voiler cet article. L’on m’a assuré que ma mère aimait M. de Sade à la folie et qu’elle était beaucoup plus fâchée contre moi que contre lui. J’ai répondu : « Tant mieux ! » De plus il est décidé que le Beaumont et la famille ne veulent le mariage qu’à condition qu’il sera enfermé pour toujours et veulent la parole du ministre. Ce trait est indigne et [je] l’approfondirai à la source. Je loge à l’hôtel de Bourgogne, rue Taranne, faubourg Saint-Germain. Adressez-moi toujours vos lettres dessous l’enveloppe de Carlier, tailleur, rue Saint-Nicaise, à Paris. Cet homme est sûr et les hôtels garnis ne le sont pas, répondant tous à la police… Monsieur le duc d’Orléans ne va plus à la Cour parce qu’il n’a pas voulu reconnaître le nouveau parlement ; du reste notre bon roi est à Marly et de là va à Compiègne. Voilà tout ce qu’il est possible de mander.


La marquise espère arriver à ses fins. (Sans date).

Autant que je puis voir, monsieur, avec mes faibles lumières, je compte que mes affaires pourront prendre une bonne tournure. Il faut voir si toutes les politesses et marques d’intérêt que je reçois des magistrats continueront. Ma mère est comme une lionne, mais avec cela elle a quelques procédés qui ne sont pas conséquents. Aussi, quoi qu’elle dise, je crois qu’elle se prêtera aux arrangements.


La marquise pense qu’on obtiendra la cassation de l’arrêt en niant tout. (Sans date).

Pour la grande affaire on prendra le parti de la faire casser, et de tout nier ; les mouches ne sont pas prouvées et, à la révision, le second fait peut être mis de côté. C’est une chose de faveur à la vérité, mais que l’on m’assure n’être du tout point impossible d’obtenir. À savoir si l’on me tiendra parole ; c’est ce que la suite fera voir. Allez, je vous prie, à Saumane et faites entendre à M. l’Abbé qu’il n’y a nulle nécessité qu’à toutes les requêtes qu’il présente à Aix il écrive tout au long dedans que son neveu est mort civilement. On est révolté de ce procédé, et à Paris et à Aix. Vous qui avez du crédit sur son esprit, ôtez-lui cela, je vous conjure, de la tête……


La marquise a reçu de bonnes assurances et conseille à son mari de rentrer à la Coste. « À Paris, ce 3 septembre 1774 ».

…J’ai pour mes affaires promesse certaine que la requête en cassation sera présentée d’ici à six semaines. Le projet que l’on m’a fait enfin confier est de faire renvoyer cette cassation à l’ancien parlement qui, dit-on, va rentrer, afin que ce soit une réhabilitation entière, de justice et non de faveur, comme on le pourrait croire si cela se jugeait ici. Pour la lettre [de] cachet, le ministre ne veut la demander, la levée, qu’après la cassation de l’arrêt…… Le bouleversement fait que dans ce moment-ci on ne veut entendre à rien qu’aux affaires d’état. Ma plainte est toujours entre les mains de M. le procureur du roi……

Si par hasard M. de Sade était arrivé, ou à Mazan ou à la Coste, comme je le lui conseille, plutôt que d’être chez l’étranger, à beaucoup dépenser, vous lui donneriez cette lettre ; s’il n’a pas suivi mon avis, vous m’enverrez cette lettre ici. L’on est très convaincu ici qu’il y est, je m’en aperçois à tous les propos ; ainsi il n’en coûtera pas plus qu’il y soit réellement ; il épargnera et sera beaucoup plus à portée de savoir les nouvelles que je lui marquerai……

M. le procureur du roi est un homme plein d’esprit, mais qui vous saute de branche et est rempli de sophismes ; cela est insupportable quand on veut suivre un raisonnement et il n’y a d’autre moyen avec lui, à ce que je crois, pour en tirer parti, que d’être ferme et de le laisser dire. M. de Sartine a plus de liant et de suite, il m’a promis d’empêcher que l’on ne me trompe, et, quoique cela ne le regarde plus, je le vois souvent pour cela……


La marquise demande à l’avocat de faire « un petit mensonge à la jésuite ». (Écrite de Lyon, sans date).

Vous allez recevoir une lettre par laquelle on vous demandera si M. le comte de Mazan, présentement à Lyon, est le même que le marquis de S. au procès d’Aix. Vous voudrez bien, je vous prie, répondre à cela par un petit mensonge à la jésuite, qui, sans vous compromettre, confirme cependant que ce n’est pas le même, comme par exemple de dire qu’il y a plusieurs familles de Sade, les Sade d’Aiguières, et ceux de Mazan, de Saumane, de Tarascon, mais que certainement, le Sade à l’histoire, devant être par son jugement en pays étranger, ne peut assurément être celui qui se trouve à présent à Lyon. Votre lettre ne doit tomber qu’entre des mains subalternes ; il n’est question que de quelque information au sujet d’un jeune homme que M. de Sade veut prendre avec lui. Nous verrons votre lettre ; elle doit nous être montrée ; ainsi j’espère que vous voudrez bien la construire dans le goût que je vous la demande ; vous m’obligerez infiniment……


Le marquis, rentré à la Coste, dépeint la vie qu’on mène au château (Sans date).

Nous vous attendrons donc mardi, mon cher avocat…… Je vous prie de vouloir bien venir de bonne heure, au moins pour dîner, c’est-à-dire à trois heures ; vous m’obligerez d’observer cette même coutume toutes les fois que vous viendrez nous voir cet hiver. En voici la raison : nous sommes décidés, par mille raisons, à voir très peu de monde cet hiver. Il en résulte que je passe la soirée dans mon cabinet et que madame avec ses femmes s’occupent dans une chambre voisine jusqu’à l’heure du coucher, moyen en quoi, à l’entrée de la nuit, le château se trouve irrémissiblement fermé, feux éteints, plus de cuisine et souvent plus de provisions. Conséquemment c’est vraiment nous déranger que de ne pas arriver pour l’heure du dîner et nous déranger de toute manière. Nous vous connaissons trop honnête pour ne pas vous soumettre à cette petite gêne, que nous chercherons d’autant moins à réformer en votre faveur qu’elle nous fait gagner deux ou trois heures de plus du plaisir d’être avec vous……

Sur ce, je vous embrasse, mon cher avocat, et prie Dieu qu’il vous ait (et moi aussi) en sa sainte et précieuse garde. Le livre ne se retrouve pas et vient d’exciter une altercation carteronique, et conséquemment gothonique, qui vise à de grandes suites car on veut son congé. Votre présence est encore ici nécessaire pour calmer tout cela……


Le marquis fait interdire une représentation scandaleuse à la Coste dans l’intérêt de l’ordre et de la morale. (Sans date).

……Le curé n’a point paru ; mais en revanche il est arrivé en cette ville une troupe de comédiens qui ont mis en tous les coins de la cité les affiches suivantes que j’ai cru devoir vous amuser, et que je vous envoie en raison de ce :

« Messieurs,

Vous êtes avertis que l’on donnera demain chez le sieur Philippe Granier une représentation du « Mari cocu, battu et content », comédie larmoyante en prose et en un acte de la composition des sieurs Malan et Testanière, auteurs modernes.

Les amateurs entreront sans payer, le spectacle sera terminé par « Le goujat corrigé », ballet-pantomime de la composition des mêmes auteurs, dans lequel le second remplira le premier rôle. »

Pour l’intelligence du texte, il faut que vous sachiez, ou vous savez déjà, que le nommé Malan a vigoureusement battu l’autre, pour le nommer : Philippe Granier ; quant au nommé Testanière, je n’ai pas besoin de vous dire comment il s’y prend pour remplir la seconde partie du drame ; c’est une chose assez connue.

De telles affiches m’ont paru scandaleuses, attentatoires aux libertés de l’Église et, en conséquence, j’ai fait défendre la pièce et ordonné que les susdites affiches soient lacérées es mains du valet de ville. Je vous salue.