Aller au contenu

Cours d’agriculture (Rozier)/ALIMENT

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome premierp. 398-400).


ALIMENT. Toutes les substances qui entrent dans le corps humain, sous quelque forme qu’elles soient, sans en changer l’état naturel, qui se convertissent en sa propre substance, qui le soutiennent, le nourrissent, & réparent les pertes continuelles qu’il fait, se nomment alimens. Le méchanisme de cette opération merveilleuse nous est encore inconnu à bien des égards. L’aliment diffère du médicament, en ce que ce dernier change lorsqu’il pénètre dans le corps, son état présent, ne le nourrit pas, & chasse au dehors la cause des maladies, sans pouvoir s’identifier avec les différentes parties qui composent le corps humain.

On tire les alimens des deux premiers règnes de la nature, On ne doit pas faire usage des alimens de la même nature, & à la même quantité, dans toutes les circonstances de la vie ; on doit les varier en raison de l’âge, du sexe, de l’état, du tempérament, des saisons & des maladies.

1o. En raison de l’âge.

Dans la jeunesse (nous renvoyons à l’article Enfant tout ce qui a trait à cet âge), ce tems brillant de la vie où le corps chemine d’un jour à l’autre vers l’accroissement, & fait en même-tems des pertes considérables par les exercices violens de toute espèce ; il est important que les réparations soient en proportion des pertes, autrement l’accroissement se rallentit ; & semblable à la fleur qui ne reçoit pas de la terre une quantité suffisante de sucs nourriciers, le corps de l’homme se fane dans son printems, & ne tarde pas à se flétrir.

Dans la vieillesse, le corps décroît insensiblement ; & si l’on fait usage des alimens à la même quantité, ces alimens qui n’ont plus de pertes à réparer, ni d’accroissement à favoriser, deviennent des corps étrangers, donnent naissance à toutes les infirmités de cet âge, & de la paisible soirée de la vie, en font des nuits d’angoisses & de douleurs.

L’inconséquence de l’espèce humaine est telle que les vieillards, quoique bien instruits des suites fâcheuses de l’incontinence à leur âge, s’y livrent avec un acharnement qui dégénère en passion ; & malgré leur attachement à la vie, ils en abrègent la durée par leur conduite irraisonnable.

2o. En raison du sexe.

L’être qui, par sa constitution vigoureuse, est appelé par la nature à des travaux pénibles, doit faire usage d’alimens plus succulens, & en plus grande quantité que l’être foible qui a plutôt des occupations que des travaux. Ceci regarde les villes ; mais à la campagne, tout change : la femme ne rougit pas d’être la compagne de l’homme, & de partager son travail & ses sueurs : son régime de vie doit différer peu de celui de l’homme.

3o. En raison de l’état.

Plus l’état qu’on exerce exige des travaux fatigans, plus il est nécessaire d’user d’alimens succulens, sans quoi le corps s’affoiblit : c’est ce qui arrive aux gens de la campagne ; ils travaillent depuis le matin jusqu’au soir, & à toutes les intempéries de l’air ; ils font des pertes considérables de substances, & ne font usage que d’alimens grossiers & peu nourrissans : aussi sont-ils sujets à des maladies très-graves, que l’on parvient à guérir plutôt avec de bons alimens, qu’avec des médicamens qui achèvent de ruiner leurs corps affoiblis par le travail & par la douleur.

Cessez donc, ampoulés déclamateurs, de nous vanter le bonheur des habitans de la campagne : vous ne faites que le roman de ces êtres malheureux & respectables, mais vous n’êtes pas dignes d’écrire leur histoire ! Vous les verriez parvenir à la vieillesse au milieu de leur carrière, manquant des choses les plus nécessaires à la vie, & tourmentés d’infirmités, suites de leurs travaux forcés. Quelques-uns, il est vrai, conservent encore de la vigueur dans un âge avancé ; mais ce sont de ces êtres privilégiés, comme nous en voyons dans nos villes ; ces derniers, quoiqu’en suivant une route opposée, & vivant dans le luxe & dans le libertinage, parviennent à un âge très-avancé : une hirondelle ne fait pas le printems.

4o. En raison du tempérament.

Les alimens doivent varier suivant les tempéramens, pour la quantité & pour la qualité. La raison & l’expérience doivent servir de préceptes pour se conduire, & nous n’en dirons pas davantage sur cet article.

5o. En raison des saisons.

Dans les différentes saisons qui partagent l’année, il est certain que l’appétit n’est pas le même : on mange plus en hiver qu’en été ; dans cette première saison, les fibres sont tendues, la circulation est plus accélérée, & la chaleur intérieure est plus forte : dans la seconde saison, au contraire, les fibres sont lâches, les vaisseaux sont gonflés, & la sueur coule de toutes parts.

Trompé par les effets du froid, on fait usage, dans l’hiver, d’alimens très-chauds ; on se permet même des liqueurs spiritueuses : de là les inflammations intérieures. Dans l’été, on fait tout le contraire ; on use d’alimens très-froids, & de là ces amas d’humeurs, qui, venant à éprouver les mouvemens de la fermentation, déterminent ces fièvres putrides si dangereuses. Si on faisoit plus d’attention à ce qui se passe à l’intérieur du corps, on ne commettroit pas tant d’inconséquences dont les suites sont si funestes ; on s’abstiendroit d’alimens trop chauds pendant l’hiver, & sur-tout on proscriroit les liqueurs spiritueuses : dans l’été, on rejetteroit les alimens trop froids ; on feroit usage des fruits aigrelets tels que la nature, qui sait mieux ce qui nous convient que nous-mêmes, nous les produit ; on se permettroit de tems en tems quelques cuillerées de liqueurs spiritueuses qui, en donnant un peu de ton aux fibres relâchées &c affoiblies par les sueurs excessives, empêcheroient ces congestions d’humeurs, & ces répercussions de sueurs d’où découlent toutes les maladies de cette saison.

6o. En raison des maladies.

Le premier & le plus important des remèdes à employer dans les maladies, c’est la diète ; en faisant usage de ce moyen, on a souvent prévenu & même guéri des maladies.

Presque toutes les maladies commencent par un dérangement dans l’estomac dont les fonctions sont troublées : si on ajoute de nouveaux alimens, ils ne seront digérés qu’imparfaitement, les substances passeront toutes crues dans les secondes voies, fermenteront, allumeront la fièvre, & donneront naissance à une maladie grave : la diète & l’eau, voilà les agens qu’il faut mettre en usage. Il est encore utile de charger l’eau des parties adoucissantes des plantes, suivant l’exigence des cas.

L’usage de la viande doit être entiérement proscrit dans les maladies aiguës : comme ces substances tournent facilement à la fermentation putride, elles ne font qu’augmenter le désordre qui règne déjà dans l’économie animale.

C’est dans les convalescences sur-tout qu’il est important de régler la dose des alimens, & de spécifier leur nature.

On doit les donner à très-petite quantité, parce que l’estomac qui, depuis long-tems, n’a pas fait de fonctions, & s’est affoibli à la suite des boissons abondantes, ne digéreroit pas bien une grande quantité d’alimens, & le désordre renaîtroit de nouveau : il seroit même plus dangereux que dans les premiers tems de la maladie, parce que la nature épuisée n’auroit plus les mêmes ressources pour combattre ce nouvel ennemi. On voit souvent des malades échappés à des maladies les plus dangereuses, périr en convalescence par des abus dans le manger ; & ces exemples effrayans doivent toujours être mis sous les yeux des convalescens, afin de tempérer l’ardeur qu’ils éprouvent pour les alimens. M. B.