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Cours d’agriculture (Rozier)/FAULX ou FAUX

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Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 440-445).


FAULX ou FAUX. Instrument tranchant dont on se sert pour couper l’herbe des prés, les avoines, &c.

Section Première.

Des différentes espèces de Faux.

I. La faux la plus anciennement connue, consiste en une grande lame d’acier, large de trois doigts ou environ, un peu courbée & emmanchée au bout d’un bâton de quatre pieds de longueur, garni dans son milieu d’une main en bois. Dans la gravure du mot Instrument d’agriculture ; cette faux sera représentée ainsi que celle dont il me reste à parler. On y distingue l’arête qui est la partie opposée au tranchant, & qui sert à fortifier la faux sur toute sa longueur ; le couart qui est la partie la plus large de la faux ; il sert à la monter sur son manche par le moyen d’un talon qui empêche le couart de sortir de la douille où il est reçu & arrêté par un coin de bois.

II. La faux destinée à couper les seigles, les avoines, est en tout semblable, quant à la lame, à la première, mais elle en diffère par l’addition faite au manche. Supposez le manche étendu sur terre, & par conséquent la lame diagonalement inclinée, & le tranchant contre terre : à l’extrémité du manche où la lame est fixée, on implante en cet endroit ; par le moyen d’une mortoise, un morceau de bois léger, haut d’un pied environ, épais à peu près d’un pouce, & il se trouve placé perpendiculairement sur le manche de ce bois : à distance égale avec la lame, partent deux baguettes de bois léger & sec, auxquelles on a donné la même courbure que celle de la faux, & qui s’étendent aux deux tiers de fa longueur. Pour donner plus de solidité au bois qui soutient ces deux baguettes, on ménage une autre mortoise sur le manche, à un pied de distance de la première ; dans cette mortoise est fixée une des extrémités d’un morceau de bois, & l’autre va s’adapter dans la mortoise placée au sommet du bois qui supporte les deux baguettes. Sans cette addition, le seigle, l’avoine, &c. tomberoient & se coucheroient par terre en tout sens, au lieu que ces baguettes, dans quelques endroits nommées playon, rassemblent les tiges & les couches exactement les unes à côté des autres ; de manière que le ramasseur qui doit former les gerbes, a très-peu de peine à les former.

III. En plusieurs endroits de la Flandre autrichienne, la faux destinée à couper les trèfles, diffère des deux premières ; la lame est plus courte, plus large ; cette lame est emmanchée perpendiculairement relativement à son plat, à un morceau de bois long d’un pied à quinze pouces. L’ouvrier tient ce manche de la main droite, frappe contre le pied du trèfle, & le coupe très-bas ; dans la gauche, il tient un morceau de bois, long d’un pied, & armé d’un crochet en fer, long de six pouces, avec ce crochet, il courbe le trèfle & frappe de l’autre en même temps : à mesure qu’il avance, le crochet lui sert à ramasser & botteler le foin ; ainsi, lorsqu’il a coupé environ une toise de longueur sur un pied de largeur, tout le trèfle abattu se trouve rassemblé en un monceau. Cette opération supprime celle de râteler, à laquelle on emploie communément les femmes & les enfans. On appelle cette opération piquer le foin, piquer le trèfle.

IV. J’ai vu près de Zuphten en Hollande, une faux un peu différente de celle que j’avois observé dans le Brabant, & que je viens de décrire ; elle diffère de la première, par son manche de deux pieds & demi, à trois pieds de longueur ; à l’extrémité supérieure de ce manche est un morceau de bois un peu incliné, long environ de huit pouces & large de trois ou quatre. L’ouvrier place sa main droite au sommet du manche au-dessous de l’endroit recourbé, & tendant le bras pour frapper, le morceau de bois ajouté à ce manche, se joint contre son avant-bras, & lui sert de point d’appui : la lame de la faux est semblable aux nôtres. Cette manière de faucher m’a paru fort expéditive, & l’ouvrier beaucoup moins fatigué que celui de nos provinces. Son bras seul agit, tandis que le service de la faux ordinaire tient tout le corps dans un mouvement perpétuel.

V. Entre Arahem & Zuphten, la faux dont on vient de parler, varie dans le haut de son manche ; le haut du manche est coudé de manière que la main de l’ouvrier saisit entièrement ce coude, & son pouce appuie sur le manche proprement dit. À l’extrémité supérieure du coude, il y a un autre coude semblable à celui de la faux que l’on vient de décrire. Voyez gravure du mot Instrument d’agriculture.

Il se peut fort-bien qu’il existe d’autres faux, outre celles que j’ai décrites ; mais je ne les connois pas. S’il y en a de plus utiles, je prie de m’en communiquer le dessin, & j’en ferai part au public.

Section II.

Observations publiées par M. Duhamel dans ses Élémens d’agriculture, sur la manière de faucher les blés, les avoines, &c. avec la Faux.

Comme cette méthode est seulement connue dans peu de provinces du royaume, j’ai pensé que ceux qui n’ont pas les ouvrages de M. Duhamel, seroient peut-être charmés de l’adopter, attendu qu’elle est très expéditive & très-économique : l’auteur va parler.

La posture des faucheurs est un article important à remarquer ; en fauchant les prés & les avoines, le faucheur chemine & trace deux lignes parallèles avec ses pieds, qu’il traîne alternativement à chaque coup de faux. Dans le fauchage du blé, le chemin du faucheur ne doit être tracé que par une simple ligne, parce que le faucheur doit porter un pied l’un devant l’autre, de façon qu’à chaque coup de faux, le pied gauche, qui reste en arrière, chasse en avant le pied droit, posture assez semblable à celle que l’on prend, lorsque, le fleuret à la main, on va commencer un exercice d’armes. Cette manière de porter son corps est indispensable lorsqu’on se sert de cette faux ; l’ouvrage en va plus vite, & la manière ordinaire de faucher auroit bientôt excédé l’ouvrier & anéanti ses forces.

Voilà le mécanisme de cette opération sur les blés, supposés droits, c’est-à-dire, dans les années les plus favorables ; il faut ajouter, que le faucheur doit avoir l’attention de s’orienter pour son travail, de façon qu’il ait le vent à sa gauche, parce qu’alors le blé se trouve naturellement incliné sur la faux, & qu’on peut le couper plus près de terre : la résistance du vent, toute légère qu’elle soit, appuie sur le playon, le blé qui vient d’être coupé, & la fauchée en est mieux & plus promptement portée sur le blé qui est en core debout, d’où elle doit être enlevée par le ramasseur.

Le vent derrière le faucheur n’est pas un obstacle à faucher près ; mais la fauchée ne sauroit être exactement réunie par le playon, il s’éparpille quelques épis, & le plus grand inconvénient est que la fauchée qui est déposée sur le blé encore sur pied, perd son appui & qu’il est souvent jeté à terre par le vent, ce qui rend l’opération du ramasseur plus difficile & plus lente, & occasionne plus de glanures.

Le vent en face ne vaut rien ; il occasionne une perte du chaume, & une grande dispersion des épis. Enfin, le vent à droite fait la plus mauvaise de toutes les besognes : alors le chaume reste long, & le champ se trouve jonché d’une quantité de glanures, si prodigieuse, qu’on ne croiroit pas qu’il eût été récolté.

Lorsque les blés sont coudés, le faucheur les doit prendre dans le sens que lui présente leur courbure de gauche à droite ; ce qui fait le même effet, lorsque le temps est calme, que si le vent venoit de fa gauche.

Lorsque les blés sont versés, il n’est pas facile de faucher en dedans, parce que le ramasseur se trouveroit sans cesse embarrassé par le mélange de sa javelle avec le blé non-fauché ; le coup-d’œil d’un bon faucheur jeté sur une pièce, le décide sur la façon de s’orienter ; quand le vent peut être favorable, il en profite. La méthode la plus ordinaire est celle de prendre le blé dans le sens de fa courbure, & de le jeter en ondain : l’ouvrage en est plus propre ; on ne voit après le faucheur aucun reste de chaume ; & le champ ne semble plus être qu’une prairie.

On ne peut proposer aucune méthode pour faucher les blés foudrés ; on entend sous ce nom des blés versés par couches, & qui se recouvrent les uns les autres en sens différens ; on doit les prendre indifféremment dans tous les sens qui se présentent ; mais toujours dans leur courbure, & comme si le faucheur avoit le vent derrière lui ; au moyen de quoi, on ne perd pas plus de chaume qu’on en perd dans les blés versés.

Les avantages de cette méthode, sont de rendre moins pénible aux ouvriers un travail qui se fait dans une saison très-fatigante par l’excès des chaleurs. Lorsque les blés sont les plus faciles à scier, un bon moissonneur à la faucille parvient à peine à abattre un demi-arpent par jour, au-lieu qu’un faucheur expédie proportionnellement au degré de sa dextérité, un arpent & même un arpent & demi ; (voyez ce mot) mais peu d’ouvriers parviennent à faucher un arpent & demi sans bousiller. Il est vrai qu’il n’a pas la peine de former la javelle, parce que le ramasseur qui le suit, fait cette besogne ; mais aussi ce faucheur est obligé d’affiler sa faux très-fréquemment, & plus souvent, lorsque les blés ne sont pas épais. Enfin, il est obligé de revenir du bout du champ, lorsque sa fauchée est finie, à l’autre bout de ce même champ, pour reprendre une nouvelle fauchée dans le même sens qu’il a commencé la précédente. Tout cela prend un temps qui peut compenser celui que le moissonneur à la faucille emploie à déposer sa poignée pour former la javelle ; & je ne pense pas que l’on puisse contester, par cette comparaison des deux tâches, que l’ouvrage ne soit de trois cinquièmes moins pénible : à cette preuve se joindra celle qui résulte de la posture, du moissonneur comparée à celle du faucheur.

Un second inconvénient, dont cette méthode garantit l’ouvrier, est celui des plaies que causent aux mains des moissonneurs, les chardons, les épines & plusieurs herbes dont la rencontre est dangereuse.

Il résulte encore de cette opération, 1°. que l’on se procure plus de paille ; 2°. que l’herbe, dans les champs fauchés, se reproduit & donne un excellent pâturage après la moisson ; 3°. que la pâture, dans les champs ainsi moissonnés, est plus facile à saisir par les vaches & par les troupeaux ; car on éprouve tous les ans que les vaches tarissent de lait pendant les premières semaines qu’elles pâturent les chaumes de froment, parce que le chaume entre dans les naseaux, les pique, & les force de parcourir tout le champ, afin de chercher quelques places où elles puissent prendre l’herbe sans rencontrer cette incommodité. »

On pourra objecter contre les observations de M. Duhamel, que la faux égraine les blés, les seigles, les avoines : cette objection n’est point fondée, l’expérience prouve le contraire. Le faucheur à la faucille est obligé de saisir avec la main gauche une certaine quantité d’épis, la main devient le centre de l’espace circulaire formé par la base des tiges qu’il tient ; il tend le bras droit armé de la faucille, & forme un cercle avec la faucille en la ramenant vers lui ; de manière que les tiges les plus éloignées, sont coupées plus près de terre que les autres. Le coup de la faucille est donc inégal, car les dernières tiges sont plutôt brisées que coupées, & même quelquefois arrachées, pour peu que l’ouvrier ne soit pas bien expert ; dans cette circonstance, les épis éprouvent donc une secousse malgré la main qui les tient réunies & la main en même temps. On sait que les avoines, (voyez ce mot) s’égrainent facilement ; cependant, dans presque toute la Flandre françoise, la Picardie, &c. on les moissonne toutes avec la faux, & on s’en trouve bien. Si on considère la longueur du manche de la faux, & de la faux elle-même, ainsi que la posée du corps du faucheur, & la vitesse avec laquelle la faux parcourt l’espace nécessaire, on verra qu’il amène de loin son coup, & que ce coup ne frappe pas directement contre les tiges mais en glissant sur elles, & en les sciant sans secousses. La preuve en est qu’elles retombent sur elles mêmes, & ensuite sur celles qui ne sont pas encore abattues. On ne peut pas aller contre l’expérience.

Si on se sert de la faux, N°. 2, à la vérité un peu plus pesante que la première, le faucheur n’aura pas besoin d’un ramasseur qui le suive pas à pas. Lorsque le blé est coupé il s’incline sur les baguettes, & le même coup de faux le porte, le couche, l’étend & le range sur terre du côté opposé à celui qui reste sur pied. De cette manière, plusieurs & tous les faucheurs peuvent travailler ensemble ; il suffit pour cela que le premier dévance de quelques pas le second, celui-ci le troisième, & ainsi de suite, afin d’éviter que la pointe de la faux ne porte contre les jambes du voisin. Il ne faut plus que le même nombre de lieuses de gerbes comme dans les moissons à la faucille.

Cette expérience n’est pas bien difficile à répéter, & chacun est à même de se convaincre de ses avantages. Pour cet effet, il faut s’assurer de plusieurs faucheurs de bonne volonté, leur promettre une récompense honnête, & à l’insu des faucheurs à la faucille ; enfin, chercher tous les moyens de vaincre chez eux le préjugé de la terrible coutume. Si une fois vous êtes parvenu à former trois ou quatre faucheurs, donnez à prix fait le travail des moissons, les faucheurs d’un côté, les faucilleurs de l’autre ; mais observez que ces derniers laisseront les chaumes trop longs & beaucoup d’épis sur pied y afin d’accélérer leur travail.

Section III.

De la manière de connoître les bonnes Faux, & de les affiler.

Il est étonnant qu’aucun ouvrier en France ne s’occupe à la fabrication des faux, & qu’on soit obligé de les tirer d’Allemagne ou du moins en très-grande partie. Cette branche d’industrie & d’objet de première nécessité, mériteroit d’être prise en considération par le gouvernement & par les sociétés qui s’occupent de l’encouragement des arts utiles. Nous sommes obligés de les acheter des merciers, telles qu’on les envoie, & sur une douzaine, il est rare d’en trouver une bonne. Les défectuosités proviennent & de la qualité de l’acier, du fer, & de la manière dont elles ont été trempées ; en sorte qu’une partie de la faux est très-dure & l’autre très-molle ; parce que le fer a été mal mélangé avec l’acier, & le fer domine en une place & l’acier dans une autre. Afin de reconnaître l’inégalité du mélange, ou son identité, prenez un couteau, & avec le tranchant frappez de petits coups contre celui de la faux, & on jugera de chaque partie par l’impression que le couteau y laissera. Les marchands se prêteront difficilement à cette expérience. Au défaut du couteau, on peut se servir d’une petite lime douce, & la promener lentement sur différentes parties du coupant. On remarquera alors les endroits où elle mord plus ou moins ; enfin, s’il faut la rejeter ou l’acheter. La pierre à aiguiser démontre également les défauts. Lorsqu’on a acheté une faux sans avoir pu reconnoître les endroits, mous ou durs, le premier soin est de les rechercher avant de s’en servir, par un des trois moyens énoncés ci-dessus, & sur-tout par un des deux derniers, & de marquer avec un instrument pointu sur la lame les endroits mous & les endroits durs. Je ne parlerai pas ici du marteau & de la petite enclume, qui servent à acérer les faux ; ils sont trop connus.

Lorsqu’il s’agira d’établir le tranchant des endroits mous, on les mouillera avec de l’eau froide, ainsi que le marteau & l’enclume, jusqu’à ce que le tranchant soit établi ; & au contraire, le tout sera sec lorsqu’il s’agira de l’établir dans les endroits durs. À sec, les coups détrempent un peu la lame, & l’adoucissent ; l’eau froide lui donne une trempe plus dure.

Peu de personnes savent battre les faux, & un très-grand nombre les abyment. De là ces lames festonées, & à tranchant inégal : il faut battre également par-tout, & toujours en proportion de la qualité du fer dans l’endroit où l’on bat.

Le tranchant d’une faux destinée à couper des herbes fortes, telles que la luzerne, les prairies à gros soin, &c. doit être court ; & long & bien applati, si l’on doit faucher des herbes fines. On doit avoir la même attention lorsqu’on aiguise la lame avec la pierre.