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Cours d’agriculture (Rozier)/FRAISE, FRAISIER

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 49-59).


FRAISE, FRAISIER. M. Tournefort le place dans la septième section de la sixième classe, qui comprend le« herbes à fleur de plusieurs pièces régulières, disposées en rôle, & dont le pistil devient un fruit composé de plusieurs semences disposées en manière de tête ; il l’appelle fragaria, ainsi que M. von-Linné ; & celui-ci le classe dans l’icosandrie-polygynie.

Cette plante dont le fruit est si délicat & si parfumé, se plaît & ne réussit bien que dans les pays tempérés. Les bords des bois, les montagnes sont son pays natal, & c’est de ces endroits qu’on l’a transporté dans nos jardins, où la culture & la fertilité du fol ont singulièrement influé sur les qualités de son fruit. Il n’y est point aussi parfumé que sur les montagnes ; mais on a la facilité de le trouver sous sa main, & la fraise des Alpes y fleurit & y mûrit pendant presque toute l’année.

M. Duchesne fils, a fait une étude particulière du fraisier, de ses espèces, de ses variétés & de leur culture ; il a publié sur ce sujet un volume rempli de remarques qui décèlent le bon observateur. Il seroit à désirer que chaque partie du jardinage fût suivie exclusivement à toute autre, par un amateur aussi instruit que M. Duchesne, dont le travail va nous servir de guide, ou plutôt dont nous allons présenter l’abrégé.

Les botanistes sectateurs du systême de M. von-Linné, ne comptent que trois espèces de fraisiers ; savoir, le fraisier ordinaire, & ils regardent comme une variété de cette espèce, celui des prés, celui des bois, & le fruitillier : leur seconde espèce est le fragaria muricata, ou celui de Plimouth ; & la dernière enfin, le fragaria sterilis, ou fraisier stérile. Les cultivateurs donnent plus d’extension au mot espèce, (voyez ce mot) & regardent les variétés permanentes comme des espèces, & ils appellent variétés, celles qui proviennent des premières variétés. Si on veut se faire une idée juste des changemens que la nature a produit sur les deux premières espèces de fraisiers transportées dans nos jardins, il suffit de jeter un coup-d’œil sur l’arbre généalogique (voyez le tableau ci-joint) présenté par M. Duchesne, & l’on verra combien de métifs il en est résulté. Nous suivrons l’ordre qu’il a établi.

CHAPITRE PREMIER.

Des espèces de Fraisiers.

I. Fraisier des mois ou des Alpes, fragaria semper florens. Duch. (Voyez Planche II, N°. 1.)

Fleur, à cinq ou six pétales, plus communément à cinq, égaux, arrondis, disposés en rose ; le calice composé de plusieurs pièces qui se sous-divisent ; la fleur est ordinairement de six à sept lignes de diamètre, & plus petite que celle du fraisier des bois ou fraisier commun.

Fruit, renflé dans son milieu, alongé à son sommet, & plus large à sa base. M. Duchesne dit qu’il ne diffère en rien de celui des bois ; cela peut être aux environs de Paris, mais il est constant que, dans les provinces plus méridionales, le fraisier des bois a ses fruits plus arrondis & moins terminés en pointe. La couleur des fraises communes est moins foncée. Il est aisé de concevoir combien le changement de climat, de sol, & de culture, doivent influer sur les formes.

Feuilles, de même grandeur que celles du fraisier commun, couvertes en dehors & en dedans, d’un poil court & peu épais ; dentées en manière de scie sur les bords.

Port. Ses tiges ou montans s’élèvent à la hauteur de cinq ou six pouces, & sont peu rameuses. Les boutons naissent des aisselles des feuilles ; il y en a de trois espèces ; les uns poussent des filets ou coulans très-déliés ; les autres des montans, & les troisièmes peu nombreux, des œilletons foibles, à moins qu’on n’ait l’attention de rechausser les pieds.

Lieu ; originaire des Alpes, des hautes montagnes où il fleurit deux fois l’année, & y répand dans l’air un parfum admirable. Dans nos jardins, il fleurit pendant toute l’année, tant que le froid rigoureux ne suspend pas sa végétation : il est aisé de remédier à l’intempérie de la saison par de bons abris, des paillassons, &c.

II. Le fraisier de bois ou fraisier commun, fragaria vulgaris fructu rubro. Fragaria silvestris. Duch. Il n’étoit pas nécessaire de faire graver cette espèce, & sa description devient inutile, puisque la plante est connue de tout le monde. Si on le cultive dans les jardins, il acquiert une tige mieux nourrie, & toute la plante a plus de vigueur, le fruit moins de parfum. Les variétés de cette espèce sont :

2 a. Le fraisier panaché, fragaria silvestris, variegato folio. Tourn. On a déjà fait observer, dans le courant de cet Ouvrage, que les panaches des feuilles dérivent d’une maladie ; telles sont celles du houx, du lilas, &c., & que pour multiplier cette variété, il faut recourir à la greffe, à la bouture, à la marcotte, &c. (voyez ces mots) & non pas au semis. Il en est de même pour le fraisier dont il s’agit. Il ne diffère de son type que par la bigarrure de ses feuilles.

2 b. Le fraisier blanc, fragaria silvestris alba. Duch. Les feuilles, les coulans ou filets sont plus pâles que ceux de bois ; le fruit jaunit, & il est très-peu parfumé, très-inutile à transporter dans les jardins.

2 c. Le fraisier double, fragaria silvestris multiplex. Le fraisier semi-double, fragaria silvestris flore semi-duplici. Si la fleur est parfaitement double, & ressemble par sa forme à la petite rose de Bourgogne, elle ne donnera aucun fruit, attendu que les parties de la génération, (voyez le mot Fleur) ont été métamorphosées en pétales. Si la fleur est simplement semi-double, & qu’il reste dans le centre un certain nombre d’étamines, & le pistil, (voyez ces mots) le dernier se changera en fruit ; tel est l’ordre de la nature. Ces plantes sont plus curieuses qu’utiles, & ne dédommagent pas de la peine de leur culture.

2 d. Le fraisier à trochet, fragaria botry-formis, uno petiolo novem fraga gerens. Konig. Il diffère des variétés précédentes par les neuf fleurs qu’il porte au sommet de la tige. Il est très-rare.

2 e. Le fraisier de Plimouth, fragaria silvestris muricata, Duch. Il est originaire d’Angleterre, & diffère des précédens par ses fleurs vertes, ses fruits âpres, raboteux & d’un vert un peu rougeâtre.

2 f. Le fraisier coucou, fragaria silvestris abortiva, Duch. Les feuilles plus velues & d’un vert plus brun que celles du type ainsi que ses tiges. Il fleurit comme les autres, & ses fleurs avortent. Il est commun dans les bois ; il faut donc, lorsqu’on transporte des fraisiers dans nos jardins, avoir soin de ne pas enlever les pieds de cette espèce.

III. Le fraisier fressant, ou fraisier cultivé, fragaria hortensis. Duch. C’est celui qui est cultivé dans les jardins, & M. Duchesne l’appelle du nom du pépiniériste qui s’est occupé de sa culture. La culture a donné de l’embonpoint à cette espèce de fraisier, & il dérive du fraisier des bois. Ses feuilles sont un peu plus lisses, leurs queues plus longues, plus touffues ; les fleurs plus amples, plus composées de pétales qui varient beaucoup dans leurs nombres, ainsi que les découpures du calice.

3 a. Le fraisier blanc, fragaria hortensis alba. Duch. C’est une simple variété du précédent.

IV. Fraisier sans coulans, fragaria estagellis. Duch. Il est aisé de distinguer cette espèce de toutes les autres, parce qu’elle ne produit que des œilletons & jamais des coulans ou filets. On multiplie cette espèce par ses œilletons assez nombreux pour lui avoir mérité le nom de fraisier buisson. Il n’est pas bien commun. On devroit le multiplier, & on n’auroit pas la peine de détruire sans cesse les coulans qui affament les pieds.

V. Le fraisier de Versailles, fragaria monophylla. Duch. Il est très-distingué par ses queues qui portent une seule feuille a leur extrémité, au lieu que, dans les autres espèces, les queues portent trois feuilles. On doit cette espèce aux soins de M. Duchesne ; elle est venue de ses semis faits en 1761.

VI. Le fraisier vert, Planche III, N°. 1. Fragaria viridis. Duch. La couleur de son fruit a fixé sa dénomination, & son parfum est supérieur à celui de la fraise de bois. Il est cultivé depuis long-temps en Angleterre, & est encore peu commun en France. Sa végétation est vigoureuse, ses coulans plus multipliés que ceux des autres fraisiers. Le dehors de la feuille est d’un vert blanchâtre, avec des nervures très-saillantes ; le dedans d’un vert plus foncé que celui du fraisier commun. Toute la plante est couverte d’un poil assez épais, & le fruit mûrit tard ; il est arrondi & souvent aplati à son extrémité supérieure.

VII. Le Capiton ou Capron mâle & femelle, Planche III, N°. 2. Fragaria moschata. Duch. Comme la gravure représente exactement la forme des feuilles, des fleurs & du fruit, il est inutile d’en parler ; il n’en est pas ainsi des parties sexuelles, & cette espèce fait classe à part des précédentes. En effet, dans les fraisiers, les sexes sont réunis dans la même fleur ; mais ici les fleurs ont l’apparence d’hermaphrodites, mais dans la réalité, elles sont ou mâles ou femelles, & les femelles ont besoin de la poussière fécondante du mâle pour donner des fruits. Les jardiniers, pour désigner des fruits dégénérés ou qui avortent, se servent du terme de capron, & c’est pour n’avoir pas observé la loi naturelle de cette espèce, qu’ils ont regardé le pied à fleur mâle, comme capron ou comme inutile. Si on sème la graine de cette fraise, on obtient de ce semis autant à peu près de pieds mâles, que de pieds à fleurs femelles. La nature tend toujours à la conservation de l’espèce. La peau du fruit du côté du soleil, est d’un rouge pourpre assez foncé, tirant sur le violet ; l’autre côté est plus clair, & dans quelques endroits, jaune ou blanchâtre.

VIII. Le frutilier ou fraisier du Chili, fragaria chiloensis. Duch. Planche IV, N°. 1. Il est connu au Pérou, sous le nom de frutilla & frutillar. Cette espèce a été apportée en France en 1716, par M. Frezier. Ses feuilles sont arrondies, épaisses, dures, à nervures très-sensibles en dessous, & presqu’insensibles en dessus, guère plus grandes que celles du fraisier de bois. Chaque œilleton est ordinairement de sept à huit feuilles, & les œilletons sont très-nombreux. Le frutilier, semblable au capiton, a des fleurs mâles & des fleurs femelles séparées. Les folioles du calice sont d’inégale grandeur, la fleur est très-grande, & son fruit très-gros. M. Frezier dit l’avoir vu communément au Pérou, de la grosseur d’un œuf de poule. La fleur femelle avorte souvent dans nos climats, lorsqu’elle est privée de sa fécondation par l’absence de la fleur mâle. Elle peut cependant l’être par les étamines des autres fraisiers plantés dans le voisinage, & sur-tout du capiton. L’odeur & le goût du fruit sont excellens. La peau du fruit est unie & brillante, légèrement lavée de rouge du côté de l’ombre, & du côté du soleil, d’un beau rouge peu foncé.

IX. Le fraisier ananas, fragaria ananassa. Duch. Planche V, N°. 1. Ce fraisier, originaire d’Amérique, est connu en Europe seulement depuis le milieu de ce siècle. Les queues des feuilles sont très-alongées, les fleurs presqu’aussi grandes que celles du Chili, mais véritablement hermaphrodites ; les divisions du calice, de 10 à 16, & souvent sous-divisées en deux ou trois ; les fruits varient beaucoup dans leur forme sur le même pied ; la peau est lisse, brillante ; le côté de l’ombre d’un blanc un peu jaune, du côté du soleil d’un rouge pâle mélangé de brun & de jaune. Son eau est abondante, son parfum se rapproche de celui de l’ananas.

9 a. Le fraisier ananas panaché, fragaria ananassa variegata, Duch. Cette variété consiste dans les feuilles.

X. Le fraisier écarlate, fragaria virginiana, Duch. Plan. IV, N°. 2, ou fraisier de Hollande, de Barbarie &c. Feuilles grandes, d’un vert un peu bleuâtre en dedans, & plus clair en dehors, à dents plus longues & plus étroites que celles d’aucun fraisier ; à nervures très-fines, peu saillantes ; portées par une queue courte & plus poileuse que le reste de la plante ; les coulans jaunes, longs & vigoureux. Lorsque le fruit est noué, les petites divisions du calice s’écartent, & les grandes se collent sur le fruit. La peau du fruit est d’un rouge écarlate & brillant du côté du soleil, & du côté de l’ombre, d’un rouge écarlate lavé. La fraise mangée seule n’a pas beaucoup de goût ; elle est très-agréable mêlée avec les autres. Si on exprime le suc de cette fraise à travers un linge serré, & qu’on y ajoute du sucre réduit en poudre fine, (en remuant toujours) jusqu’à ce que ce suc ait pris la consistance d’une gelée, on obtient une gelée de fraise, susceptible d’être gardée pendant plusieurs mois. Je n’ai jamais eu le même avantage avec le suc des autres fraises.

XI. Fraisier écarlate de Bath ou gros écarlate-double, fragaria flore magno, fructu dilute coccineo majore, seminibus in cortice loculoso depressis, Bathonica, Duch. Planche II, N° 2. Cette espèce n’est point décrite par M. Duchesne, dans son Traité des fraisiers. M. Duhamel l’a fait connoître dans son magnifique Traité des arbres fruitiers, & il la regarde comme provenant du fraisier du Chili. Voici les principaux caractères qu’il indique.

Feuilles amples, soutenues par de grosses queues, souvent composées de quatre folioles, au lieu de trois, comme dans presque tous les fraisiers ; les nervures peu marquées ; la surface unie, luisante ; les montans sont gros, leur direction plus oblique que verticale ; ils se subdivisent en plusieurs rameaux & pédicules. Les fleurs grandes, sur-tout les premières, sont très-odorantes. Les fruits sont tantôt sphéroïdes, tantôt ovoïdes sur le même pied ou sur des pieds différens. Leur peau, du côte du soleil, est d’un rouge écarlate peu foncé ; l’autre côté teint légèrement de rouge, & les pépins d’un rouge écarlate. Leur goût & leur parfum sont agréables.

XII. Fraisier de Caroline. Fragaria flore magno caroliensis. Duhamel, Pl. V, N°. 2. M. Duchesne n’a point parlé de cette espèce, & M. Duhamel pense qu’elle provient du fraisier ananas. Ce fraisier a tant de ressemblance avec lui, qu’il est difficile de l’en distinguer, à moins qu’on ne l’examine avec attention. 1°. Toutes ses parties sont un peu moindres que celles du fraisier ananas. 2°. Il est beaucoup moins garni de poils. 3°. Ses montans sont plus courts. 4°. Ses boutons à fleurs sont plus alongés & moins renflés. 5°. Les divisions du calice sont plus grandes, & les petites se fendent rarement. 6°. Les pétales sont un peu moins étendus, & dans la plupart des fleurs ils n’excèdent point le nombre de cinq. 7°. Le support paroît moins gros. 8°. Les fruits sont moindres, ordinairement réguliers dans leur forme, & prennent un peu plus de couleur. Leur parfum excellent est cependant moins agréable que celui de la fraise ananas, dont il approche beaucoup. 9°. Dans les semis de fraisiers ananas, on n’a jamais trouvé de variété fort sensible, au lieu que les grains du fraisier de Caroline, ont produit des fraisiers très-différens dans leurs fleurs, leurs fruits, & toutes les parties de la plante.

Il est facile de voir, par l’énumération de ces espèces botanistes & jardinières, que plusieurs sont des sous-variétés de ses dernières, & encore il reste à savoir si elles sont constantes, & si elles se perpétuent sans dégénérer.


CHAPITRE II.

Multiplication Des Fraisiers


Il faut se ressouvenir que cette plante est originaire des montagnes & des bois, où la superficie du sol, & même jusqu’à une certaine profondeur, est un vrai terreau formé par la décomposition des feuilles, des herbes, des débris d’animaux, accumulés depuis longues années. C’est au sein de cette terre noire & recouverte par différentes espèces de mousses, que le fraisier végète admirablement dans son pays natal. Imitons donc la nature dans la préparation que nous donnons au sol de nos jardins, & faisons ensorte que les débris des végétaux l’emportent de beaucoup sur celui des animaux. En effet, le fruit du fraisier, qui végète au milieu de ce dernier engrais, n’est jamais parfumé comme celui dont le pied a été planté simplement dans de la terre franche, & celui-ci est inférieur au produit d’une terre douce, légère & substantielle. Il en est ainsi d’une fraise ombragée ou exposée à la grosse, ardeur du soleil ; le parfum de la première est plus délicat, sa saveur plus parfaite & son eau plus abondante. Le trop d’ombre nuit à sa qualité, autant que la grande clarté, & si l’ombre est trop forte, comme dans le fourré d’un bois, la plante languit, la fleur riaoûte pas, (voyez ce mot) & périt.

On multiplie le fraisier ou par semences ou par œilletons, ou avec ses coulans.


Section Première.

Des Semences.


I. Du choix de la graine. Si on désire se procurer des espèces nouvelles, on peut placer dans une même plate-bande différentes espèces de fraisiers, & près les unes des autres. Comme la plupart sont des espèces jardinières, & même du second ordre, le mélange des différentes étamines lors de la fécondation du germe, produira de nouvelles variétés. Il est encore facile de multiplier ces accouplemens adultérins, en coupant plusieurs fleurs au moment de leur épanouissement, & en secouant leurs étamines sur la fleur que l’on veut rendre adultérine. (Voyez ce qui a été dit à ce sujet au mot Abricotier) La fleur ainsi fécondée doit rester sur pied jusqu’au dernier période de la maturité du fruit, & même laisser la graine dans la pulpe ou chair, jusqu’à ce que celle-ci soit desséchée. Parvenue à cet état, on frote le tout dans ses mains, afin de détacher la graine que l’on reçoit sur du papier, & on la sépare ensuite de toute poussière étrangère. Dans cet état elle est propre à être semée. Il en est ainsi pour toute espèce se graine de fraise, soit que le fruit ait été fécondé naturellement ou par le secours de l’art.

II. Du temps de semer. Aussitôt que la graine est mûre, on peut semer, & c’est le mieux ; ou bien attendre le retour du premier printemps, chacun suivant le climat qu’il habite, après l’avoir conservée dans un lieu sec. On peut semer jusqu’en août dans les provinces du nord, & jusqu’en septembre dans celles du midi. La graine de plusieurs espèces ne lève qu’après l’hiver.

III. De la manière de semer. M. Duchesne en indique plusieurs.

1°. Unir la graine avec de la terre sèche, & la répandre sur des gâteaux de mousse, pris dans les bois & plaqués sur la terre d’un pot, afin d’imiter l’opération de la nature.

2°. Jeter la graine sur une terre fine, sans la recouvrir, & quand elle s’est pelotée naturellement, y répandre un peu de mousse hachée pour empêcher le hâle.

3°. Répandre la graine sur la terre préparée, & la recouvrir d’une à deux lignes avec la même terre. Si les arrosemens sont forts, ils font périr la plantule. Pour prévenir cet inconvénient, on peut recouvrir tout le pot avec de la mousse bien divisée, & placée légèrement, en la choisissant d’une grande espèce, telle que la mousse, hypnum triquetrum, Linn. & mettre en même-temps le pot dans une terrine à demi pleine d’eau. On ne laisse la mousse que jusqu’à ce que les deux ou trois premières feuilles soient développées, & quelque temps après on retire le pot de la terrine. M. Duchesne regarde cette méthode comme la meilleure.

4°. On jette les graines sur une éponge dont le bas trempe dans l’eau, & on entretient cette eau continuellement chaude, au moyen d’une de ces lampes de nuit qu’on nomme veilleuses. Il faut seulement avoir soin de remplir le vase avec de l’eau fraîche, à mesure que la chaleur la fait diminuer, & de retirer la lampe de temps en temps, afin d’empêcher l’eau de s’échauffer jusqu’à bouillir. Des graines ainsi semées, ont levé en quatre jours, au lieu que celles qui étoient sur une éponge froide ont attendu quinze jours.


Section II.

Des Œilletons.


Du collet de la racine sortent plusieurs yeux, & ces yeux, à leur tour, poussent des racines, de manière que le même pied, divisé en autant d’œilletons qu’il peut en fournir, donne autant de nouvelles plantes. Dans cette opération, ne mutilez aucunement les racines en séparant les pieds, & sur-tout ne les abimez pas sous le vain prétexte de rafraîchir les bouts. On doit rafraîchir ceux qui ont été cassés, brisés, & rien de plus. (Voyez au mot Racine, son utilité).


Section III.

Des Coulons ou Filets.


Les feuilles des fraisiers ressemblent à des gaines par leur base, & ces gaines enveloppent le sommet du tronc, ou mère-racine. La fonction assignée par la nature aux feuilles, est de nourrir & défendre le jeune bouton ou bourgeon, (voyez ces mots) jusqu’à ce qu’il puisse se passer de son secours. À la base de chaque feuille du fraisier il y a un bouton né ou à naître, & la durée de la feuille dépend de cette naissance. On peut donc regarder le coulant comme un véritable œilleton qui s’alonge au-delà de la touffe formée par les feuilles, & dès que, par sa pesanteur, il s’incline contre terre & la touche, il y prend racine, pousse un œilleton duquel sortent par la suite de nouveaux coulans. Il résulte de toutes ces productions latérales, que deux ou trois pieds de fraisiers, livrés à eux-mêmes, couvrent dans peu de temps une très vaste surface. Il faut observer qu’aussitôt que le nouvel œilleton est en état de se passer de sa mère par ses racines, le coulant se dessèche parce qu’il lui devient inutile.

Pour multiplier l’espèce, on sépare de la mère-plante tous les coulans, & on soulève avec soin le plant enraciné qu’elle a fourni, & on le replante dans un lieu préparé pour le recevoir. Si on a un petit espace à regarnir, on pince le coulant aussitôt après son premier nœud, afin que ce nœud se fortifie, ou après le second, si de plus grands besoins l’exigent, ou enfin on laisse les coulans travailler autant qu’il peuvent, lorsque l’on a de grandes plantations à faire. Dans ce dernier cas, il est expédient de travailler souvent la terre, soit au pied de la mère-tige, soit celle sur laquelle les coulans s’étendent & prennent racine.


CHAPITRE III.

De la culture des Fraisiers.


I, Du temps de la transplantation. Lorsque la saison des fruits est passée, c’est le moment de travailler les planches, d’y apporter du terreau, & de rechausser les pieds ; les fumiers, en général, diminuent le parfum du fruit. Ce labour force la plante à œilletonner & à pousser des coulans. Suivant les climats, à la mi-novembre ou octobre, on sépare les œilletons & les coulans ; quelques-uns attendent la fin de février ; mais en général, c’est perdre une année de jouissance, parce que la plupart des fraisiers ne portent qu’à la seconde année. Il n’en est pas ainsi du fraisier des mois, parce qu’il fleurit & fructifie autant de temps que les rigueurs du froid ne s’y opposent pas. Dans nos provinces méridionales il n’est pas rare d’avoir des fraises bonnes à cueillir, & même parfumées, jusqu’au milieu de décembre, & souvent en janvier, s’il ne survient point de gelée. On peut donc attendre, pour transplanter cette espèce, jusqu’au mois de février, ou aux premiers jours de mars ; la saison décide du moment. Cependant, si on œilletonne en novembre, les pieds seront beaucoup plus forts au printemps prochain.

Les habitans de Montreuil, très grands cultivateurs de fraisiers, ont pour maxime d’œilletonner en novembre, & de planter près à près les jeunes pieds comme en pépinière pour les transporter ensuite à l’endroit qui leur est destiné, aussitôt qu’il n’appréhendent plus les rigueurs de l’hiver. Comme la récolte des fraises est un objet très-important pour ces cultivateurs dont le travail est fondé sur l’observation, & l’observation savamment raisonnée, il est plus que probable que leur méthode est à préférer à toute autre dans les climats analogues à celui de Paris. Cette double transplantation me paroît superflue dans les provinces plus méridionales ; mes fraisiers réussissent très-bien sans ce secours.

II. De la préparation du terrain, & de la plantation. Dans les pays où l’on arrose avec les arrosoirs, on dresse des planches de quatre à cinq pieds de longueur, après avoir bien défoncé le terrain, & l’avoir, s’il est compacte, rendu meuble par l’addition du sable & du terreau, parce qu’il est rare que le fraisier réussisse dans les terres fortes, & sur-tout les espèces américaines. Les planches de cinq pieds de largeur me paroissent un peu trop larges, ne peuvent être travaillées, & sur-tout sarclées aisément. J’aimerois mieux les réduire à quatre pieds & demi au plus.

Entre chaque planche on doit laisser un sentier d’un pied pour faciliter le travail, & après chaque labour donné aux fraisiers, on doit travailler également le sol du sentier, parce que les pieds plantés sur les bords d’une planche de quatre pieds à quatre pieds & demi, en profitent.

Dans les provinces où l’on arrose par irrigation, (voyez ce mot) on prépare les ados, & on plante sur le milieu de l’élévation de l’ados, & non dans le fond où la plante pourriroit, ni sur le sommet, parce qu’elle seroit déracinée par le premier travail qu’on donneroit à la terre, attendu que la plante qui se trouvoit à droite de l’ados, lors de la plantation, se trouve à gauche de ce même ados, lorsqu’on travaille la terre. Je n’entre pas dans de plus grands détails sur cette manière de travailler, parce qu’elle sera décrite fort au long au mot Irrigation. Cette méthode ne suppose point de planches séparées ni de sentier ; parce que chaque sillon devient lui-même une espèce de planche, & le creux qui se trouve entre deux, devient un sentier dans le besoin.

Dans l’une ou dans l’autre méthode, l’ouvrier doit planter au cordeau, afin de laisser la liberté de biner & de sarcler commodément.

Plusieurs écrivains sur le jardinage, recommandent qu’on mette beaucoup de fumier dans la fosse destinée à recevoir le fraisier. À moins qu’il ne soit réduit en terreau bien consommé, je ne le conseille pas, il altère singulièrement le parfum des fruits. Dans les pays méridionaux il brûleroit la plante malgré les irrigations. S’ils le conseillent dans la vue d’empêcher l’évaporation de l’humidité, je préférerois des feuilles quelconques étendues sur le sol. Enfin si on veut employer du fumier, que ce soit avant l’hiver ; les pluies de cette saison ont le temps de le délaver, & la paille qui restera au printemps tiendra lieu en partie seulement de la couche des feuilles.

La grosseur à laquelle la touffe parvient indique l’espace nécessaire à laisser d’un pied à l’autre. Par exemple, les fraisiers des mois & des bois sont suffisamment espacés à dix ou douze pouces, & le fraisier ananas & celui du Chili de douze à quinze. Si le pied est fort, vigoureux, chacun suivant son espèce, un seul, suffit, & deux tout au plus s’ils sont maigres ; mais il vaut mieux n’en planter qu’un seul. Plusieurs jardiniers coupent les feuilles, & ne laissent que le cœur ou œilleton, & presque tous mutilent les racines. Ne retranchez absolument que les feuilles pourries ou sèches, & respectez toutes les racines. Si vous doutez de la bonté de cette maxime, plantez à la manière des jardiniers, & suivant celle que j’indique ; l’expérience vous instruira mieux que je ne le ferois. Formez autour du collet de la racine une espèce de petit bassin de six pouces de diamètre, & de trois pouces de profondeur, au fond duquel on place la plante. Cette précaution est essentielle, parce que le collet des racines s’élève toujours.

Plusieurs espèces demandent souvent à être renouvelées ; car cette plante sauvage, & que nous nous efforçons de naturaliser dans nos jardins, y dégénère après quelques années. Recourez souvent aux bois, aux montagnes, &, si vous le pouvez, changez tous les trois ans.

III. Des soins après La plantation. Aussitôt que le fraisier est en place, on doit lui donner une bonne mouillure, afin de serrer la terre contre les racines ; tenir les jeunes pieds bien sarclés, & la terre bien travaillée.

C’est une erreur de penser qu’il faut s’opposer à la pousse des coulans, sur-tout dans les premiers mois ; plus on les supprime souvent, plus il en repousse, & plus la plante s’épuise. Les coulans sont aux fraisiers ce que les branches sont aux arbres, & ce que les boutons sont aux branches. On oblige l’abondance de la sève à s’échapper par tout où elle peut, & à pousser en œilleton ce qui auroit été produit seulement l’année suivante. Bientôt la plante est la victime de ces soustractions multipliées. Dans les bois, la nature n’emploie pas beaucoup de moyens pour de telles mutilations. Je conviens cependant que, le printemps une fois passé, on peut alors supprimer ces coulans, ou en conserver quelques-uns, si on a besoin de sujets à replanter ; alors la sève n’est plus si impétueuse, elle forme de nouveaux coulans en petit nombre, & on ne risque rien à les supprimer, parce que la révulsion de la sève, qui s’exécute alors, tourne au profit des œilletons : chaque année il convient de répéter les mêmes opérations, les mêmes travaux, & la troisième année une fois passée, on arrache les pieds ; on travaille de nouveau la terre, & on la regarnit par d’autres jeunes pieds. Il est rare de voir prospérer des fraisiers après cette époque ; cependant les habitans de Montreuil, par leurs soins multipliés, les conservent jusqu’à cinq & même six ans dans un bon rapport.

Les fraises des mois & des bois sont celles qui dégénèrent le plus promptement dans nos jardins, parce que ce sont des espèces primitives, & les autres simplement des espèces jardinières ; cette différence nécessite à imiter la nature dans ses opérations. Ces deux espèces exposées à nu au gros soleil, souffrent beaucoup. L’expérience a démontré qu’en couvrant le sol avec des feuilles, de la mousse, &c. elles dégénèrent moins promptement. Cette couche empêche la trop grande évaporation de la terre, retient l’humidité, & garantît la plante du hâle. On reconnoît que la plante commence à dépérir, à la couleur matte qui s’empare des feuilles & de leur duvet, & qu’elle est complètement dégénérée lorsque le fond de la fleur est noir.

C’est le cas, au premier printemps, d’entourer chaque pied de fraisier avec des feuilles, & non avec du fumier, sur-tout dans les provinces du midi. Cet entourage maintient les tiges droites ; le fruit, ne rampant pas sur terre, mûrit mieux & est plus parfumé.

Après la récolte du fruit, on doit visiter chaque pied, séparer les vieilles feuilles inférieures, & couper les tiges à fruit devenues inutiles, afin que la plante pousse avec facilité de nouveaux œilletons.

IV. Des ennemis des fraisiers. Les taupes-grillons ou courtilières, le ver du hanneton, à tête jaune & à corps blanc, celui du moine ou rhinocéros, de couleur grise, & presque aussi gros que celui du hanneton, sont des fléaux redoutables. Ils cernent, ils rongent les racines ; le tronc & la feuille jaunissent, & la plante périt. Dès qu’on s’en apperçoit, il n’est plus temps de la secourir, mais on peut prévenir le mal que ces insectes feroient aux autres pieds, en déterrant les racines & écrasant le ver qui les ronge. Il n’en est pas ainsi de la courtilière ; (voyez le mot Insecte) sans cesse elle court, pratique des galeries, des soupiraux. L’huile seule est capable de la détruire, ainsi qu’il sera expliqué au mot déjà cité.


CHAPITRE IV.

Des propriétés du Fraisier, & des Fraises,


Le fruit a une odeur aromatique une saveur douce, légèrement acidule ; la racine est inodore & insipide.

Les fraises rafraîchissent, tempèrent la soif par la chaleur excessive du corps, par une humeur bilieuse, par la chaleur de la poitrine, rendent les urines plus abondantes, & développent beaucoup d’air dans les premières voies ; c’est pourquoi elles sont contre-indiquées dans les maladies où il y a météorisme ou disposition vers cet état.

M. von-Linné dit avoir éprouvé sur lui-même les heureux effets des fraises mangées en abondance, contre la gravelle & la goutte, & qu’elles enlèvent le tartre des dents.

La racine ne rafraîchit ni n’échauffe, elle n’augmente ni ne diminue le cours des urines, au rapport de M. Vitet, dans sa Pharmacopée de Lyon. L’eau distillée des fleurs n’a pas plus de propriété que celle des rivières.

On donne le suc exprimé des fraises, depuis deux onces jusqu’à quatre, en solution dans douze onces d’eau, édulcorée avec suffisante quantité de sucre.