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Cours d’agriculture (Rozier)/GALLE

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 205-211).


GALLE, Histoire Naturelle, Botanique. Pour peu qu’on soit accoutumé à considérer attentivement les différens phénomènes que la nature offre dans le règne végétal, on a dû souvent remarquer ces excroissances singulières qui adhèrent aux feuilles & aux tiges de certaines plantes, & de quelques arbres ; on leur a donné le nom générique de galles. Les arts ont su en tirer parti, & sous ce rapport, ainsi que sous celui de productions végétales, elles méritent que nous nous y arrêtions un moment. Rien d’indifférent dans la nature pour un philosophe ; ses écarts, ou ce qui nous paroît l’être, sont toujours dignes de son attention.

Le peuple innombrable d’insectes qui volent, qui rampent, qui sautent sur les plantes pour se nourrir de leurs différentes parties, assez souvent y choisit son tombeau ; sa vie se passe à ronger la substance végétale, & parmi les insectes les uns se bâtissent eux-mêmes une retraite dans laquelle ils doivent subir successivement toutes leurs métamorphoses, tandis que les autres immobiles, pour ainsi dire, au lieu qui les a vu naître, ou sur lequel leurs mères les ont déposés, ne s’occupent qu’à ronger & à sucer, & pendant ce temps, l’endroit de la plante affecté par leur présence, éprouve une maladie particulière qui le fait croître extraordinairement, & produire des tubérosités dans lesquelles se renferment ces insectes, & où ils trouvent en même temps logement, nourriture & sureté. À mesure qu’ils en tirent la nourriture nécessaire, non-seulement la cavité intérieure s’agrandit, mais la masse totale devient & plus grosse & plus solide. Ces galles ne renferment quelquefois qu’une seule cavité, où logent plusieurs insectes, comme dans la galle du groseillier & du pétolin de Provence, formée par des pucerons ; d’autres fois elles sont divisées en plusieurs petites cavités qui ont des communications entr’elles, comme la galle de la ronce, formée par un ver ; mais dans certaines, comme dans la galle en pomme du chêne, celle du chardon hémorroïdal, la galle chevelue de l’églantier, &c. on peut remarquer plusieurs cellules qui sont toutes séparées les unes des autres par des cloisons ; le nombre de ces cellules n’est pas le même, il n’y en a quelquefois que trois ou quatre, d’autres fois plus d’une centaine ; enfin, d’autres galles n’ont qu’une seule cavité occupée par un seul insecte, qui y vit dans la plus parfaite solitude, jusqu’au moment de sa métamorphose.

Les galles varient encore beaucoup par les formes, les grosseurs, les consistances ou leurs tissures différentes ; les plus communes sont de figure arrondie ; la plus connue de toutes, celle dont on fait plus d’usage, est la noix de galle, qui nous vient du levant, de Tripoli, de Smirne, d’Alep ; sa tissure est quelquefois si compacte, & ses fibres si dures qu’elle surpasse la dureté des meilleurs bois. D’autres galles souvent plus grosses, arrondies, portent le nom de pomme ; telle est celle qu’on appelle pomme de chêne, & dont la tissure est spongieuse. Leur figure a fait donner à d’autres le nom de galles en grains de raisin, de groseille, en pépin, &c. Quelques unes imitent encore les fruits par leur tissure spongieuse & aqueuse ; elles sont quelquefois nuancées comme les fruits qui nous plaisent le plus par leur coloris ; elles ont souvent des teintes de jaune & de rouge, & la substance de quelques-unes est si analogue à celle des fruits, qu’on a été tenté d’en faire le même usage. Suivant quelques voyageurs, on vend à Constantinople, au marché, des galles ou pommes de sauge : on a vu dans les bois de Saint-Maur, près de Paris, le lierre-terrestre donner des galles en pommes que les paysans mangeaient & trouvoient bonnes ; M. de Réaumur rapporte même qu’il en a goûté, & qu’il leur a trouvé une saveur aromatique, analogue à l’odeur de la plante ; mais il avoue qu’il doute si ces galles pourroient jamais parvenir à être mises au rang des bons fruits.

Parmi les galles sphériques, les unes sont immédiatement appliquées contre la partie de la plante qui les produit, comme les galles en pommes du chêne ; les autres y tiennent par un pédicule plus ou moins court.

Il seroit trop long de détailler ici exactement la variété infinie des formes que ces productions offrent ; il suffit de remarquer que depuis la forme sphérique & lisse, jusqu’à celle à laquelle M. de Réaumur a donné le nom de galles en artichaut, que l’on trouve sur le chêne, on peut en compter un nombre prodigieux. Il ne faut pas croire cependant que l’on puisse y trouver une espèce d’uniformité attachée à l’espèce d’insecte qui la produit ; ces monstruosités, fruit d’une végétation viciée, prennent mille formes accidentelles & indépendantes souvent de la cause qui l’a occasionnée ; tantôt ce n’est qu’une partie de la plante épaissie & tuméfiée, des espèces de varices, comme les galles du saule & des feuilles d’osier ; tantôt le corps de la galle dur & solide, est chargée & hérissé de longs fìlamens ou fibres détachées les unes des autres, comme les galles chevelues des rosiers sauvages ; tantôt elles sent formées d’un grand nombre d’écailles qui se recouvrent mutuellement, ce qui les fait ressembler aux calices des artichauts ; tantôt elles sont hérissées de piquans & d’épines, d’autres sont branchues, d’autres ressemblent à des champignons, &c. &c.

Toutes les parties des plantes peuvent produire des galles, lorsqu’elles sont attaquées par des insectes, on en trouve sur le corps des feuilles, sur leurs pédicules, sur les tiges, les branches, les jeunes pousses, les racines, les bourgeons, les fleurs, enfin même sur les fruits.

Il y a grande apparence que l’espèce d’insecte influe beaucoup sur l’espèce de la galle, sur-tout pour qu’elle soit ligneuse ou spongieuse, ou chevelue, &c. ; mais pour la forme extérieure & accidentelle, la végétation seule de la plante la décide. À l’inspection seule de la galle on peut assez sûrement juger si elle est habitée ou non ; si elle n’est percée nulle part, les insectes qui ont occasionné sa naissance sont encore renfermés dans son intérieur ; mais si sur sa surface on apperçoit une ou plusieurs ouvertures, on doit en conclure que les insectes ont subi leurs métamorphoses, & sont sortis. Si non content de l’inspection extérieure, on ouvre la galle en deux avec un couteau, on ne manque pas d’y trouver un ou plusieurs insectes, suivant le nombre de cellules ; selon le temps où on les aura ouvertes, on y trouvera ces insectes, ou sous leur première forme, ou sous celle de nymphe ou de chrysalide. Ils deviennent, après leurs métamorphoses, ou des mouches à quatre ailes, & c’est le plus grand nombre, ou des mouches à deux ailes, ou des scarabées, ou des papillons ; par conséquent, en ouvrant des galles de différentes espèces avant le temps des métamorphoses, on y trouvera des vers dont les uns ont une tête écailleuse, & des dents ou crochets, & qui n’ont point de jambes, des vers sans jambes & sans tête écailleuse, des fausses chenilles ou de ces vers qui ont plus de seize jambes, ou des jambes autrement distribuées que celles des chenilles ; enfin de véritables chenilles. Comme les pucerons & une espèce de punaise produisent aussi des galles, on les y retrouvera sous leur première forme.

On trouve des galles en forme de vessies sur l’orme, le térébinthe, le peuplier, produites par des pucerons, de pareilles sur le tilleul, qui doivent leur naissance à des vers qui deviennent des mouches à deux ailes, des vers rougeâtres qui donnent aussi des mouches, occasionnent sur la feuille du genêt de petites galles arrondies en boules & tout hérissées, des vers jaunâtres comme l’ambre, & qui se métamorphosent en mouches à deux ailes, forment les galles appliquées contre les tiges des ronces, qu’il faut bien distinguer des galles chevelues dont nous parlerons plus bas ; c’est une punaise qui produit la galle qu’on apperçoit sur certaines fleurs du camedrys. Les galles qui croissent sur les feuilles du saule, contiennent une fausse chenille qui se transforme dans la suite en une petite mouche à quatre ailes. Les galles des feuilles d’osier ont des habitans de la même espèce. Celles du limonium de Chypre ressemblent à un fruit rond porté par un pédicule ; elles ont la figure & la grosseur d’une noix muscade, & c’est une vraie chenille qui habite la cavité intérieure ; on en trouve sur les feuilles du hêtre qui ressemblent à un noyau de fruit, un peu moins plates cependant, & un peu plus pointues. Le chardon hémorroïdal produit une galle contenant un grand nombre de cellules où sont logés des vers qui se changent en mouches à deux ailes. Le lierre-terrestre en porte de pareilles, mais elles sont rondes, leurs vers se changent en mouches à quatre ailes.

Il n’est point de végétal où l’on trouve une plus grande quantité de galles, & en si grande variété, que sur le chêne ; on en voit sur toutes ses parties en général ; sur les feuilles, les unes sont en champignons, produites par des vers qui deviennent mouches à deux ailes, les autres sont en boules attachées sur un seul côté de la feuille ; pour les autres les deux côtés ont fourni à leur formation ; elles sont le produit d’un ver qui se convertit en mouche à quatre ailes ; d’autres pendent à un pédicule, ont une couleur & une forme approchante d’un grain de groseille, & comme on en trouve plusieurs adhérentes aux chatons du chêne, on les prendroit volontiers pour des grappes de groseilles : leur substance inférieure, quoique solide, est pleine d’eau comme celle de plusieurs fruits ; elles ont au centre une cavité bien sphérique, qui contient un petit ver blanc à deux serres, qui avec le temps devient une nymphe blanche ou brune, & enfin une petite mouche noire à quatre ailes ; d’autres adhèrent contre le dessous des feuilles, & ressemblent exactement à de petits boutons de vestes ; il y en a de jaunâtres, d’en partie rougeâtres, d’entièrement rougeâtres & d’un beau rouge ; elles sont habitées par des petits vers, qui au printemps, & même quelquefois en octobre, devient une mouche. Pour peu qu’on examine les feuilles du même arbre, ou de jeunes jets, on en découvrira encore de plus petites & de non moins jolies, qui ressemblent à une petite cloche ou à un gobelet qui adhèrent par leur pointe ; ces petits gobelets sont verds, & le bord évasé est d’un beau rouge de carmin ; la cavité est occupée par un petit ver, qui est recouvert d’une production très semblable à un couvercle ordinaire, au milieu duquel il y auroit un petit bouton pour le prendre. Sur les boutons du chêne on trouve assez ordinairement des galles qui, par leur rondeur, leur dureté & leurs couleurs, semblent être de petites boules d’un bois jaunâtre ; elles sont quelquefois réunies plusieurs ensemble, & doivent leur naissance à des mouches à quatre ailes, & armées d’une espèce de queue. On trouve encore sur le chêne de grosses galles qu’on prendroit pour de vrais nœuds, d’autant plus qu’elles sont ligneuses & très-dures ; elles renferment quantité de cellules qui contiennent chacune un petit ver blanc qui se transforme, en avril, en petite mouche brune à quatre ailes. Les galles en pommes, qui partent du bouton du chêne, contiennent aussi plusieurs cellules d’où sortent, vers le mois de juillet, des mouches à quatre ailes. Qu’on examine un bouton de chêne avant que ses feuilles soient épanouies, on le verra souvent percé d’un trou rond qui aboutit à une petite galle à trois, quatre ou cinq cellules qui logent des vers, qui dans la suite donneront des mouches brunes à quatre ailes ; c’est encore de ces mêmes boutons que naissent ces galles en artichaut, dont nous avons parlé plus haut ; elles contiennent plusieurs cavités où l’on trouve ou un ver, ou une nymphe, ou une mouche à quatre ailes.

La galle, sans contredit la plus singulière, est celle qui croît sur le rosier sauvage plus connu en France sous le nom d’églantier. L’intérieur est assez solide & compacte, tandis que l’extérieur est couvert de filamens ou d’un espèce de chevelu. On les trouve non-seulement à la place des boutons, mais encore sur les fibres de quelques feuilles ; elles renferment plusieurs cavités dont chacune est destinée à un ver qui donne naissance à une mouche semblable à celles qui produisent les galles de chêne.

Telles sont à peu près les principales variétés des galles, que l’on peut observer sur les plantes & sur les arbres ; il est bien plus facile de les décrire, & de reconnoître l’insecte auquel elle doit sa formation, que d’expliquer comment elle a été produite, & comment elle croît ; la plupart croissent si vite qu’on ne peut point, pour ainsi dire, distinguer le moment de leur naissance de celui de leur entier accroissement. M. de Réaumur, qui, pendant plusieurs années, s’étoit proposé de suivre l’accroissement des glandes les plus communes du chêne, comme des galles en grains de groseille, après un très-grand nombre d’observations, a vu que leur accroissement étoit une affaire de peu de jours, & il lui a été toujours très-difficile de saisir même celles qui deviennent les plus grosses, pendant qu’elles sont petites.

L’explication de la formation d’une galle, donnée par M. de Réaumur, paroît si naturelle & si vraisemblable, jointe sur-tout à l’observation de Malpighi, que nous ne pouvons mieux faire que de la donner ici : « Une blessure, dit-il, a été faite à une fibre, un œuf a été déposé dans cette blessure ; la blessure faite dans une partie très-abreuvée de sucs nourriciers se ferme bientôt ; les bords se gonflent, se rapprochent, & voilà l’œuf renfermé. Autour de cet œuf il y aura en peu de jours une galle aussi grosse qu’elle le doit devenir, dont cet œuf occupera le centre. Un corps étranger introduit dans les chairs des plantes, comme dans celles des animaux, est propre à y faire naître des tubérosités : une épine, une fibre même de bois introduite dans notre chair, y fait bientôt naître une tumeur ; mais il s’y produit de la pourriture, de la corruption, & il ne s’en fait point, ou il ne paroît point s’en faire dans notre galle ; tout y paroît sain, aucun suc n’y est épanché ; c’est que l’épine ne nettoie point la plaie qu’elle a faite dans la chair, elle n’ôte point le suc qui s’y épanche… Avec quelqu’attention qu’on examine la cavité de notre galle en groseille, ou de toute autre, soit dans le temps où il n’y a encore qu’un œuf logé, soit dans le temps où le ver paroît, on n’y trouvera aucun suc répandu… Il n’est pas étonnant que le ver suce tout le suc qui est porté aux parois de cette cavité & qu’il y en attire même. On ne doit pas s’étonner davantage de ce que l’œuf même suce ce suc & l’attire, dès qu’on se souviendra que nous avons fait remarquer que l’œuf croît dans cette cavité : sa coque flexible doit être regardée comme une espèce de placenta appliqué contre les parois de la cavité ; elle a des vaisseaux ouverts qui, comme des espèces de racines, pompent & reçoivent le suc fourni par les parois de la galle ; cette galle est une matrice pour le ver dans l’œuf ; l’insecte, pendant même qu’il est renfermé dans l’œuf, peut donc déterminer le suc à se porter plus abondamment dans la galle qu’il ne se porte dans les autres parties de la plante. »

» Il n’en faut pas davantage pour faire végéter une partie d’un arbre plus vigoureusement que les autres, que de déterminer plus de suc nourricier à aller à cette partie ; or, on donne à la sève une sorte de pente à se porter vers l’endroit où on l’ôte dès qu’elle y arrive. La présence de l’œuf aide peut-être encore à cette végétation d’une autre manière. On sait combien la chaleur est propre à hâter toute végétation ; n’y a-t-il pas apparence que cet œuf qui contient un petit embryon qui se développe & dans lequel les liqueurs circulent avec rapidité, est plus chaud qu’une partie de la plante du même volume. Nous savons que le degré de chaleur de tout animal est plus considérable que celui des plantes. On peut donc concevoir qu’il y a au centre de la galle un petit foyer qui communique à toutes ses fibres un degré de chaleur propre à presser leur accroissement. »

» Si ces causes, ajoute M. de Réaumur, ne paroissent pas aussi suffisantes qu’elles me le paroissent, je ne trouverai pas mauvais qu’on leur en ajoute une autre à laquelle Malpighi attribue la formation & l’accroissement des galles. Il a cru que la mouche ne se contentoit pas de faire une plaie à la partie à laquelle elle vouloit confier son œuf, qu’elle répandoit encore dans cette plaie une liqueur propre à y produire une fermentation considérable, & que la production & l’accroissement de la galle étoient la suite de cette fermentation. » M. M.