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Cours d’agriculture (Rozier)/HATIF

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 431-432).
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HATIF. Terme de jardinage, pour désigner qu’un fruit ou une fleur viennent avant le temps ordinaire. Deux causes produisent cette précocité : la première & la plus ordinaire, est le retour d’un certain degré de chaleur qui devance le retour de la saison où il a coutume de se faire sentir, & ce degré de chaleur augmente & se soutient. On sait que la végétation, la fleuraison & la maturité des fruits sont toujours relatifs au degré de chaleur de l’air ambiant, (voyez le mot Amandier) ; il n’est donc pas surprenant que les fleurs se hâtent d’épanouir & les fruits de mûrir suivant la constitution de l’atmosphère. Dans ces circonstances, les récoltes ne sont pas toujours bien abondantes, mais elles ont de la qualité : les fruits sont délicieux, parce que la végétation suit une marche uniforme, & n’est point interrompue.

La seconde cause regarde les individus en particulier plutôt que la masse ; elle doit, je crois, son origine aux soins long-temps continués d’une excellente culture. Développons quelques idées à ce sujet ; quoique problématiques dans le fond, elles me paroissent cependant avoir de la réalité, au-moins jusqu’à un certain point ; je les donne pour ce qu’elles sont, & n’y attache aucune importance. La vigne nous fournit un des principaux exemples ; il est démontré qu’elle est originaire d’Asie, que les premières vignes cultivées en Europe le furent par les Marseillois ; que de proche en proche sa culture suivit le cours du Rhône, de la Saône ensuite ; enfin elle s’étendit insensiblement dans toute la Gaule. Je demande actuellement : Les plants de vignes cultivés aujourd’hui dans le territoire de Marseille, sont-ils spécifiquement les mêmes que ceux apportés de Grèce dans l’origine ? La même question a lieu relativement à Marseille pour les plants aujourd’hui cultivés dans le reste du royaume. L’expérience prouve que l’on vendange actuellement à Paris au moins aussitôt, pour ne pas dire plutôt, qu’en Provence & qu’en Languedoc. Cependant l’intensité de la chaleur de ces climats est en raison de leur proximité du midi, abstraction faite des abris ; (voyez le mot Agriculture) & l’on peut dire que le terme moyen de ka chaleur du climat de Paris pendant l’été est de 18, tandis que celui du climat de Marseille ; & de Montpellier est de 22 à 23. Or, s’il y a environ cinq degrés de différence dans l’intensité de la chaleur habituelle de ces deux climats, l’époque de la maturité des raisins dans le même temps, tient donc à une autre cause que celle de la chaleur. Il y a plus ; si on cultivoit dans les environs de Paris les espèces de raisins cultivées aujourd’hui en Provence, en Languedoc, elles n’y mûriraient pas plus que les fruits de l’espèce appellée verjus, qui reste presque toujours verte, & souvent complètement verte, tandis que le vrai pineau de Bourgogne ou morillon de Paris, transporté dans mes vignes près de Beziers y est complètement mûr à la fin d’août ou au commencement de septembre. Il en est ainsi d’un autre pineau ou morillon appelé la magdeleine, par ce qu’il est mûr à cette époque ; je ne crois pas que les espèces de raisins cultivées au centre ou nord de la France, aient aucune ressemblance avec les premières espèces apportées de Grèce ; & très-certainement elles n’en ont aucune avec celles cultivées aujourd’hui au midi du royaume. Ces premières sont donc des espèces nouvelles, dues soit au mélange des étamines, (voyez ce mot) soit par les semis des pépins dans le temps que les vignes étoient encore peu communes, & que la culture a perpétuées & propagées. On a vu que telle espèce mûrissoit mieux dans un canton que telle autre, que le vin en étoit plus délicat ; elle a eu la préférence & elle a été mieux cultivée. Mais comme cette espèce avoit déjà éprouvé une grande variation relative à la différence du climat, & que, pour la conserver telle, il a fallu la cultiver avec soin, ces soins l’ont aidé à supporter plus aisément le rapprochement du nord, & lui ont conservé sa précocité. Je mets en fait que si l’on s’amusoit, dans les environs de Paris, à faire des semis de pépins d’espèces hâtives, que si l’on donnoit à ces semis, des cloches, des châssis, & enfin une culture recherchée, on parviendroit à avoir des espèces encore plus précoces, & peut-être plus délicates pour la qualité : il ne s’agiroit plus que de leur faire perdre insensiblement cette éducation si soignée, & de les accoutumer à la culture ordinaire. L’abricot, la cerise, la pêche, la pomme, la poire, hâtifs, sont, à mes yeux, dans le même cas que la vigne, puisqu’à la cerise près, tous ces arbres à noyaux sont étrangers au royaume, & originaires de pays beaucoup plus chauds. Le même raisonnement s’applique aux pois, haricots nains ou grimpans, qui ne diffèrent en rien des espèces premières, sinon par leur activité. Il seroit facile de suivre cette idée ; mais c’en est assez pour l’homme qui réfléchit.