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Cours d’agriculture (Rozier)/PERTE DE SANG

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Hôtel Serpente (Tome septièmep. 596-598).

PERTE DE SANG, Médecine Rurale. C’est le nom qu’on donne à tout écoulement excessif de sang qui paroit dans tous les temps de la vie, sans garder aucune apparence de période régulière. S’il est médiocre & opiniâtre, on l’appelle suintement de la matrice. Les pertes entraînent toujours après elles un état de foiblesse & d’abattement ; une lenteur dans les pulsations des artères, la pâleur du visage, la froideur des extrémités ; à ces symptômes succèdent le défaut d’appétit, le dégoût, l’amaigrissement, enfin le marasme : il se forme aussi souvent dans cette maladie des obstructions dans les viscères du bas ventre, parce que les humeurs qui s’y filtrent s’arrêtent dans leurs canaux, à travers lesquelles elles ne sont plus poussées comme à l’ordinaire, ni par la circulation du sang qui est trop ralentie, ni par le ressort des fibres des viscères même qui sont dans l’atonie, par le défaut des esprits animaux. Alors la cachexie survient, les malades se sentent plus essoufflés quand ils montent quelques degrés ; ils ressentent un battement extraordinaire dans la région épigastrique ; l’œdème ne tarde point à se manifester aux extrémités inférieures & quelquefois à une main ; peu à peu il augmente, gagne les reins & devient enfin un anazarque universel.

L’écoulement du sang a toujours lieu, soit que les malades soient debout ou assis, pourvu qu’il n’y ait point d’obstacle à l’orifice de la matrice ou au vagin qui s’oppose à la sortie ; mais si l’orifice est fermé, ou si les femmes sont couchées, le sang retenu dans la matrice s’y fige, & y forme des caillots plus ou moins gros, plus ou moins durs, plus ou moins fétides, suivant le degré de chaleur, le degré d’âcreté qu’ils y contractent, & les qualités vicieuses dont le sang peut se trouver infecté.

La perte de sang est une maladie, toujours fâcheuse, & lorsqu’elle est habituelle & invétérée, elle expose les personnes du sexe qui en sont attaquées aux plus grands dangers de perdre la vie, sur-tout si elles sont avancées en âge, & si la cause qui l’entretient est dans l’intérieur de la matrice. Il est très-difficile de guérir la perte qui dépend d’une solution de continuité des vaisseaux de la matrice ; mais il est aisé de remédier à celle qui ne dépend que de la quantité, de la fougue & de la raréfaction du sang. En général, quand elle dépend de la dilacération, de l’érosion & de l’exulcération des vaisseaux, elle est plus difficile à guérir que lorsqu’elle reconnoît pour cause le relâchement, la dilatation, l’atonie & l’inertie de ces mêmes vaisseaux.

Mais ces différentes solutions de continuité reconnoissent plusieurs causes parmi lesquelles on doit comprendre les ulcères, les plaies, les déchirures ou les écorchures qui arrivent au dedans de la matrice dans les couches laborieuses, dans les fausses-couches, dans l’extraction d’un enfant mort ou d’un placenta adhérent ; les ragades, les gerçures ou taillades que causent dans l’intérieur de la matrice, les fleurs blanches trop âcres, les injections trop piquantes, la distension trop grande que la matrice souffre dans les accouchemens violens ou les coups d’ongles donnés en accouchant.

Astruc ne veut pas qu’on oublie d’ajouter à ces caisses internes, plusieurs autres causes externes, qui ne laissent pas de contribuer à entretenir, à augmenter & même à provoquer les pertes, toutes les fois qu’il y a dans la matrice quelqu’une de ces dispositions ou quelqu’un de ces vices. Dans ce nombre, il compte l’excès de la chaleur de l’air dans l’été, les redoublements violens de fièvre qui précèdent ou qui accompagnent l’éruption de la petite-vérole. Les veilles fréquentes & immodérées, les vives passions de l’ame, l’usage des demi-bains, ou des bains trop chauds, ou l’habitude de se chauffer extrêmement les pieds ; l’action subite du froid sur l’habitude du corps, l’impression d’une terreur imprévue, une pluie froide dont le corps se trouve tout d’un coup pénétré. Le trop grand usage du mariage, ou les exercices violens, tels que la longue promenade, la danse, les chûtes, les secousses de cheval, les cahots d’une voiture rude, les cris violens, la déclamation, la lecture à haute voix, les éternuemens fréquens, les secousses du vomissement, les épreintes fortes & long-temps soutenues dans la diarrhée & le ténesme. Les fausses-couches, l’abus des emménagogues trop forts, les pessaires trop âcres, les saignées du pied trop répétées. Le traitement des pertes est relatif 1°. à la tension, à la plénitude, à l’orgasme & à l’affection spasmodique dominante dans les organes voisins & éloignés qui correspondent avec la matricé ; 2°. à l’atonie de la matrice, ou défaut d’activité dans les vaisseaux utérins ; 3°. à l’acrimonie ou dissolution des humeurs.

1°. On emploiera la saignée si l’affection spasmodique cause un état fébrile avec force & véhémence dans les pulsations de l’artère ; elle détendra les parties qui sympatisent avec la matrice. Après la saignée il faut faire usage des remèdes antiphlogistiques, tels que les nitreux ; l’esprit de vitriol avec la teinture de roses est un excellent remède. On observe cet état spasmodique principalement quand la nature va procurer la cessation des règles, Il produit une perte abondante qui est le symptôme le plus sensible de cette suppression imminente, ce qui arrive vers l’âge de quarante-cinq à cinquante ans. Rien n’est mieux approprié à cet état que le quinquina, sur-tout lorsqu’il y a une alternative de force & de foiblesse, de rémissions & d’exacerbations bien marquées.

Si cet état est trop violent, qu’il produise une sorte de ténesme avec tranchées & douleurs vives, sur-tout si la perte augmente à proportion de la douleur qu’on ressent dans les aines & la région lombaire, les antispasmodiques seroient insuffisans ; on aura recours aux narcotiques. On ne doit pas se contenter de les donner par la bouche, il faut encore les faire prendre en lavement ; on se sert alors avec succès d’une combinaison des gouttes anodines avec le lait.

2°. On combattra l’atonie ou le défaut d’activité dans les vaisseaux utérins, ou les organes voisins, en donnant l’infusion d’écorce d’orange aigre & non mûre ; celle de pilozelle combinée avec d’autres astringens, tels que l’élixir de vitriol. On peut donner aussi avec succès du vin rouge plutôt acide que spiritueux ; la rhubarbe à petite dose, les eaux minérales gazeuses, le cachou ; mais les meilleurs remèdes sont le quinquina & les martiaux.

3°. On opposera à l’acrimonie des humeurs, les gélatineux, les antiscorbutiques, l’esprit de sel & l’esprit de citron. Les absorbans sont encore très-utiles lorsqu’il y a des indices de dissolution dominante. Pour cet effet, on ne sauroit donner assez tôt le suc des limaçons écrasés avec leur coquille.

Quand la perte est entretenue par une abondance d’humeurs pituiteuses & bilieuses, il faut faire vomir pour débarrasser l’estomac. Cette pratique est analogue à celle que certains médecins suivent en administrant l’ipécacuanha à petite dose souvent répétée.

Les astringens sont bien indiqués dans les hémorragies violentes, lorsque l’atonie est considérable. L’alun est sans contredit un spécifique, mais son emploi est très-délicat, & s’il est donné imprudemment & à une dose trop forte, il peut produire des engorgemens, des concrétions polypeuses, des ulcères, la fièvre, des varices & des cancers à la matrice. Ce n’est donc qu’à un médecin habile qu’il est permis de s’en servir. Merly le donne avec le miel. La meilleure méthode est de le donner dans le petit-lait. Et on prévient les aigreurs qu’il peut occasionner, en donnant des absorbans. On peut en prescrire de plus doux & de moins dangereux, tels que le suc d’ortie & de plantain.

Il est très-important dans cette maladie d’éviter toutes les erreurs du régime. Le repos de l’esprit & du corps est très-nécessaire ; il faut cependant faire un exercice modéré.

Hamilton conseille de combiner les narcotiques avec les astringens. Mais l’opium donné à grande dose, peut rendre le pouls plus plein, plus développé, & augmenter la chaleur & la congestion dans la matrice. Il est avantageux de combiner ce remède avec des purgatifs antiphlogistiques propres à en modérer les mauvais effets, tels que le tamarin, la crème de tartre. Il faut, d’un autre côté, prévenir la production d’un ulcère à la matrice, par des lotions & des fumigations d’eau tiède ; elles sont meilleures avec le lait, l’amidon & les mucilagineux. M. AMI.