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Cours d’agriculture (Rozier)/SANG-SUE

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 76-79).


SANG-SUE. Hirudo nigricans. Lin. Ver trop connu pour le décrire. On le trouve communément dans les eaux douces, dans les lieux où le cours de l’eau est à peine sensible.

La sang-sue s’attache à une portion des tégumens, y cause une douleur punitive plus ou moins vive, suce le sang, s’en remplit jusqu’au point d’acquérir un volume considérable ; ordinairement elle en dévore une once. Si un instant après qu’elle a commencé à sucer le sang, on lui coupe la queue, elle en rend, quelquefois un peu plus d’une once, mais souvent elle en donne moins, parce qu’alors elle se détache plutôt. Aussitôt qu’elle a quitté prise, il s’échappe de la blessure qu’elle a faite, une petite quantité de sang ordinairement pendant l’espace d’une heure. Ce ver produit fréquemment de bons effets dans les espèces de maladies où il faut tirer du sang des hémorroïdes, ou rappeler le flux hémorroïdal supprimé ; dans les espèces de maladies où le malade a une horreur invincible pour la saignée ; où il faut produire une lente évacuation du sang, pour ménager les forces vitales & musculaires : dans les espèces de maladies où il est essentiel de produire une dérivation du sans. La douleur occasionnée par la succion de ce ver, fait toujours déterminer une plus grande quantité de sang vers la partie sucée, & par conséquent le ver établit une dérivation ; aussi est-il démontré par l’observation, que pour l’ordinaire la sang-sue est nuisible lorsqu’elle agit immédiatement sur une partie enflammée. Elle est spécialement recommandée sur les hémorroïdes ou aux bords de l’anus, pour combattre l’affection hypocondriaque, le vertige, la manie, la sciatique, la difficulté d’uriner ; sur les tempes pour dissiper les violens maux de tête, l’ophtalmie, les violentes douleurs de dents ;… sur les parties affectées de la goutte, pour calmer les douleurs ;… sur la caroncule lacrymale, pour diminuer l’inflammation de l’œil ;… sur les bords de l’anus, pour accélérer le retour du flux menstruel, & en accroître la quantité ;… pour détruire les ulcères anciens & rebelles, entretenus par la suppression du flux menstruel… En général, elles sont nuisibles dans les maladies convulsives, à moins que ces maladies ne viennent de la suppression des hémorroïdes ou du flux menstruel, ou d’une hémorragie, soit par le nez, soit par le fondement, soit par la bouche.

On prend les sang-sues dans les eaux douces & pures, on les renferme dans un grand vaisseau de verre, rempli d’eau pure, & qu’on bouche avec un linge clair ; cette eau doit être changée tous les trois jours pendant l’été, & toutes les semaines pendant l’hiver. Ce vaisseau doit être tenu dans un endroit où la chaleur soit modérée… Avant d’appliquer les sang-sues, on les plaie dans un vaisseau vide, où elles restent pendant une heure ; elles mordent ensuite plus promptement. Il convient que la partie où l’on veut les faire mordre soit propre ; si malgré cette précaution elles ne s’arrêtent pas à l’endroit qu’on désire, frottez-le avec un peu de lait ou de sang récent, ou avec de l’eau dans laquelle on aura fait dissoudre du sucre. Plusieurs piquent légèrement la partie avec une aiguille, & y appliquent la sang-sue lorsque le sang commence à s échapper, en saisissant le corps de l’animal avec un linge fin.

Le nombre des sang-sues à appliquer sur une partie quelconque du corps, ne sauroit être fixe ; cela dépend de l’espèce de maladie, du tempérament, de l’âge, du sexe du sujet, de la constitution de l’air, & d’une multitude d’autres circonstances que l’observateur a sans cesse l’esprit… Pour empêcher les sangsues de dévorer une trop grande quantité de sang, & les détacher de la partie où elles sont fixées, versez-y dessus de l’eau saturée de sel de cuisine… Si en voulant les appliquer sur les bords de l’anus, elles pénétroient dans l’intestin rectum, injectez cette même dissolution de sel… Si un homme, en buvant de l’eau, avoit avalé une sang-sue, faites-lui boire abondamment de cette eau salée.

M. Alphonse le Roi, dans un ouvrage intitulé, Moyen de conserver les enfans, sur-tous à l’époque de la dentition, dit : « La mortalité des enfans prouve l’insuffisance des moyens qu’on oppose ordinairement aux désordres de la dentition. C’est vers le bas-ventre qu’on porte ses vues ; c’est vers la tête qu’il faut les diriger. On peut, par un moyen bien simple, prévoir & s’opposer à la multiplicité des désordres que produit l’engorgement à la tête. Ce moyen le voici : une sang-sue derrière l’oreille.

» Lorsqu’un enfant est malade, portez la main à son front ; & s’il est plus chaud que le reste du corps, présentez à la partie inférieure du pli de l’une & l’autre oreille, une sang-sue moyenne, par son extrémité aiguë ; elle s’attache, & lorsqu’elle est remplie elle tombe, & ensuite le sang coule goutte à goutte par l’issue établie. Le sang coule d’autant plus long-temps, d’autant plus abondamment, qu’il y a plus de chaleur & d’engorgement. Ce moyen simple a un avantage bien précieux, c’est que son efficacité est proportionnée au besoin. On ne peut en abuser, car il est presque nul lorsqu’il n’y a ni engorgement ni chaleur.

» Dans le cas de convulsion, une sang-sue appliquée derrière l’une & l’autre oreille, est le seul remède qui soit d’une efficacité merveilleuse & constante. L’emploi de ce moyen sur toute autre partie de la tête, ne produiroit pas des effets aussi prompts, aussi salutaires. Le sang qui coule derrière les oreilles dégorge les vaisseaux du cerveau, mais c’est en dégorgeant sur-tout le tissu spongieux.

» Ce remède est très-recommandable dans les maladies longues, appelées Chroniques, & dans les maladies aiguës des enfans. On en voit qui, malgré les soins les plus grands, sont disposés au nouage : c’est souvent l’effet de la plétore : dissipez la par des sang-sues derrière l’oreille, & bientôt l’enfant marche & s’affermir.

» Lorsque les vingt premières dents sont poussées, l’engorgement subsiste encore pendant quelque temps ; il porte le plus souvent alors ses effets sur le bas-ventre : l’enfant paroît atteint d’une fièvre continue putride. Mettez en liberté le cerveau au moyen des sang-sues, l’ordre des mouvemens est rétabli & l’enfant est guéri. On est quelquefois obligé, mais rarement, de revenir à ce moyen jusqu’à trois, quatre ou cinq fois de suite, afin de rétablir l’unisson entre la chaleur du front & celle du corps.

» Ce remède est plus nécessaire pour les garçons, & surtout pour ceux dont la tête est plus volumineuse ; chez eux l’engorgement est plus considérable ; leur dentition est plus difficile que celle des filles ; on en trouve sa raison en recherchant la différence des développemens, différence qui tient à celle des rapports des parties de l’un & de l’autre sexe.

» C’est depuis le neuvième mois jusqu’à trois ans passés, que ce remède est le plus nécessaire. Les enfans arrivés à trois ans ont franchi les premiers & les plus grands dangers de la vie ; & quand on a connu l’art de conduire l’enfance jusqu’à ce terme, il est facile de combattre, par les mêmes moyens, les désordres qui surviendront par la même cause, depuis cinq ans jusqu’à six ans & demi.

» Si la nature a subjugué l’engorgement, il reste une petite portion d’humeur qu’on appelle gourme, que la nature est plus ou moins lente à rejeter. On l’observe très-peu chez les enfans auxquels on a appliqué les sang-sues ; il est facile d’en trouver la raison. Il faut aider à la nature à donner issue à cette humeur âcre par la voie dont elle fait ordinairement choix. À cet effet on appliquera de temps à autre de petits emplâtres vésicatoires derrière le pli de l’oreille des enfans, le cerveau rejettera à l’extérieur ses impuretés & prendra plus d’énergie. On laissera tarir les écoulemens, on les rétablira de temps en temps, & ainsi l’on fortifiera les enfans par une gourme artificielle.

» Je crois ce moyen plus efficace, plus au gré de la nature, que les cautères sur d’autres parties, surtout sur celles éloignées de la tête. D’ailleurs les cautères entretenus habituellement, sont des couloirs par lesquels ils se fait évaporation d’un principe d’élasticité nécessaire à l’accroissement, mais surtout au développement de certains organes : aussi les enfans qu’on a sauvés par les cautères des dangers de la dentition, m’ont paru avoir une puberté plus tardive & moins vigoureuse.

» En publiant l’avantage pour la santé & pour la vie, de l’application d’une sang-sue derrière l’oreille des enfans lors de leur dentition, je n’aspire point au mérite d’une découverte ; je crois même que quelqu’auteur, qu’Hippocrate entr’autres, a prescrit ce moyen ; mais j’ose croire que personne n’a eu plus que moi le sentiment de son efficacité ; que nul ne l’a employé aussi fréquemment & n’a fait surtout une attention aussi particulière à la chaleur de la tête des enfans. J’ai été conduit à ce remède par une attention spéciale au développement successif de nos organes, & l’expérience m’a prouvé, depuis plus de huit années, que ce moyen est généralement le plus nécessaire pour s’opposer à l’engorgement à la tête des enfans, engorgement qui est la cause la plus générale de presque toutes leurs maladies. C’est donc un grand moyen de population qu’une sang-sue derrière l’oreille des enfans : les effets les plus grands dérivent des moyens les plus simples.

Les bestiaux, & principalement le cheval, en buvant des eaux bourbeuses, peuvent y rencontrer des sang-sues qu’ils avalent ou qui s’attachent, dans leurs nasaux lorsqu’ils trempent dans ces eaux impures l’extrémité du nez. Alors les sang-sues s’attaquent aux vaisseaux de la membrane pituitaire, & l’hémorragie est plus ou moins considérable, suivant la quantité, la qualité & la grandeur des vaisseaux sanguins affectés. On doit soupçonner cette hémorragie nasale, lorsqu’elle arrive quelque temps après avoir fait boire le bétail dans une eau bourbeuse. Pour les faire sortir, injectez dans les naseaux de l’eau très-salée, faites recevoir à l’animal, par les naseaux, la vapeur du soufre allumé ; les sang-sues lâcheront prise, & l’hémorragie cessera. — Si l’animal est soupçonné avoir avalé ce ver, faite-lui boire, au moyen de la corne, une quantité d’eau très-salée. — On a conseillé dans ce cas d’ajouter à cette eau de l’agaric, du vinaigre, & même de l’huile : le sel suffit.

Les sang-sues renfermées dans des bocaux, peuvent, dit-on, tenir lieu de baromètre & indiquer quel temps il doit faire le jour suivant… Si le temps continue à être serein & beau, la sang-sue reste au fond du bocal sans mouvement & roulée en ligne spirale ;… s’il doit pleuvoir avant ou après midi, elle monte jusqu’à la surface, & y reste jusqu’à ce que le temps se remette ;… si on doit avoir du vent, la sang-sue parcourt son habitation liquide avec une vitesse surprenante, & ne cesse de se mouvoir quand le vent commence à souffler ; s’il doit survenir quelque tempête avec tonnerre & pluie, la sang-sue reste presque continuellement hors de l’eau pendant plusieurs jours ; elle se trouve mal à l’aise & dans des agitations violentes & convulsives… Mais elle reste constamment au fond pendant la gelée, de même qu’en été dans le temps clair… Au contraire, dans les temps de neige ou de pluie, elle fixe son habitation à l’embouchure du bocal. Ces. observations, supposées barométriques, sont tirées du journal économique du mois de février 1754, & ont ensuite été citées comme nouvelles dans les années suivantes. Si les faits sont tels qu’ils sont rapportés, ils sont très-curieux & méritent d’être vérifiés de nouveau. Personne ne le peut mieux que les apothicaires, qui ont toujours une provision de ces animaux pour les appliquer au besoin.