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Cours d’agriculture (Rozier)/SOURCE

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 270-274).


SOURCE. Ce mot a deux acceptions : on s’en sert pour indiquer l’endroit par où l’eau sort, ou pour désigner l’eau elle-même, soit qu’elle coule sous terre, soit qu’elle s’épanche à l’extérieur : il en a déjà été question à l’article Fontaine (cosultez ce mot). Il nous reste deux choses à examiner, 1°. quelle est la première cause des sources, 2°. La nature fournit-elle des moyens pour les découvrir.

1°. De l’origine des sources. On a donné, à l’article fontaine, la manière dont l’eau s’insinue, de la surface dans l’intérieur de la terre : on a dit comment cette eau, divisée en plusieurs ramifications, se réunissoit en masse lorsqu’elles étoient retenues par des couches d’argille ; enfin, comment cette eau suivoit la couche & étoit conduite souvent à des distances de plusieurs lieues où elle s’ouvroit, & formoit enfin une fontaine. Toutes les sources viennent des lieux élevés, & plus le pays est montagneux, & plus elles sont fréquentes ; enfin plus les montagnes sont élevées, plus elles sont abondantes. Si dans les plaines on en trouve de jaillissantes, comme près de Lille en Flandre, comme à Modène en Italie, leur origine n’est pas dans la plaine ; c’est une eau comprimée entre deux couches de terre ou de rochers, dont la supérieure s’opposoit à son issue ; mais, l’obstacle une fois vaincu, l’eau jaillit, soit à cause de la compression qu’elle éprouvoit entre les deux couches, soit par l’impulsion qu’elle recevoit du poids des eaux supérieures, renfermées dans le sein des montagnes ou autres endroits élevés : de ces exemples, je ne veux pas conclure, comme plusieurs physiciens l’ont fait jusqu’à présent, que la présence des sources que l’on trouve près des pics des montagnes, sont dues à l’effet du siphon, parce qu’elles viennent d’une montagne plus élevée. Si à une très-grande distance de ces pics on ne trouve aucune montagne plus élevée, l’explication prétendue tombe d’elle-même ; si entre ce pic & des pics plus rapprochés, coule dans un bas-fond un grand fleuve, une rivière profonde, se figurera-t-on que l’un ou l’autre ne sont pas capables de détruire l’effet du siphon ? C’est le propre de l’homme de chercher le difficile, le compliqué & même le merveilleux, pour expliquer la chose la plus simple, parce que l’homme n’étudie pas assez les loix de la nature. Un seul exemple va dévoiler toute la théorie sur l’origine des sources.

Supposons une plaine d’une très-grande étendue, & qu’au milieu de cette plaine, il y ait une très-haute montagne. Le mont Ventou, dans la plaine du comtat d’Avignon, en fournira l’exemple. Ce grand pic attire de loin les nuages : je les ai vus souvent se détourner brusquement de la ligne droite qu’ils parcouroient, pour aller toucher les sommets de cette montagne. J’ai constamment observé, & dans les différentes saisons de l’année, que si le nuage, en y arrivant, avoit, à la vue, quatre cents toises de longueur sur un diamètre proportionné, il n’en avoit pas cent cinquante lorsqu’il s’étoit roulé & qu’il sortoit de dessus ces sommets. Il y a donc eu absorption de l’eau du nuage, puisqu’après avoir franchi le mont Ventou, il étoit moins long, moins épais, moins compact ; mais comme il est rare que l’atmosphère soit sans nuage, & comme l’attraction des corps est une loi de la nature, il n’est donc pas étonnant que près de ses sommets, on rencontre, soit des sources, soit même des lacs qui y sont entretenus par les eaux des nuages. Sur le Mont-Cenis, sur les Pyrénées, ces lacs ne sont pas rares. Lasource de la rivière de Giez, part presque du sommet du mont Pila, dans le Lyonnois : ainsi, outre les eaux ordinaires des pluies, ces sommets sont encore abreuvés, presque journellement par celles des nuages qui passent, tandis que dans la plaine il ne tombe pas une goutte d’eau. Ce que je dis des grands pics, s’applique de lui-même aux pics moins élevés, aux montagnes du second ordre ; celles-ci agissent moins vivement & d’une manière moins bien prononcée ; mais elles agissent, & on s’en convaincra si l’on prend la peine d’étudier la marche des nuages. D’ailleurs, l’expérience de tous les lieux a prouvé qu’il pleut & neige beaucoup plus dans la région des montagnes que dans la plaine. Certaines plaines font exception à cette loi, & c’est précisément ce qui prouve que mon assertion est juste. Ces exceptions tiennent à des localités. On demandera, pourquoi a-t-on presque tous les jours à Rouen, des pluies appelléesgrains, quoique toute la Normandie ne renferme pas de grandes montagnes, mais simplement des coteaux. L’explication de ce phénomène local nous mèneroit trop loin.

Si on trouve des sources dans la plaine, elles sont dues à l’écoulement intérieur des pays plus élevés. Celles qui lui appartiennent réellement sont semblables à celles renfermées dans des citernes ; elles sont là parce qu’elles ne peuvent aller ailleurs.

2°. Moyens pour découvrir les sources. Certaines espèces de plantes deviennent des indicateurs assez fidèles. (consulter l’article Fontaine). M. Bertrand, pasteur à Orbe, dans son excellent Traité de l’irrigation des prés, a résumé tout ce que les auteurs ont dit au sujet de la découverte des sources, & nous allons transcrire cet article de son ouvrage.

Je vais donner, c’est M. Bertrand qui parle, le précis des observations de Vitruve, de Palladius, de Pline, de Cassiodore, du père Kirker, du père Jean-François & de Bellidore. Les eaux sont d’une si grande conséquence pour les campagnes, qu’on ne doit négliger aucun des signes qui peuvent contribuer à leur découverte.

1°. On peut connoître, dans un temps calme, les sources cachées, en se couchant un peu avant le lever du soleil, le ventre contre terre, ayant le menton appuyé, & regardant la surface de la campagne.

Si l’on aperçoit en quelque endroit des vapeurs, s’élever en ondoyant, on doit hardiment y faire fouiller. L’attitude qu’on vient de prescrire est nécessaire pour faire cette épreuve, parce que la vue ne s’élèvera point plus haut qu’il ne faut ; elle s’étendra précisément au niveau du terrain qu’on se propose d’examiner… Palladius fait avec raison beaucoup de fond sur ce signe qu’il tâche même de perfectionner ; il conseille de s’y prendre au mois d’août, temps où les pores de la terre étant plus ouverts, donnent un passage plus libre aux vapeurs. Il veut aussi que l’on prenne garde que les lieux où l’on verra s’élever des vapeurs, ne soient point humides à leur superficie, comme seroit un marécage, qui pourroit fort bien donner de l’eau, mais dont la qualité seroit mauvaise.

2°. Cassiodore, dans une lettre à Théodoric, indique un signe qui a quelque rapport à celui-là. Il est tenu pour infaillible par les fontainiers les plus experts. Lors, dit-il, qu’après le soleil levé, l’on voit comme des nuées de petites mouches, qui volent vers la terre, si, surtout elles voltigent constamment sur le même endroit, on doit en conclure qu’il y a de l’eau en dessous.

3°. Lorsqu’on a lieu de soupçonner, par ces signes extérieurs ou par d’autres, qu’il y a de l’eau dans quelque endroit, on doit, pour s’en assurer encore mieux, faire quelques-unes des expériences suivantes : ayant creusé la terre à la profondeur de cinq à six pieds, sur trois pieds ou environ de largeur, mettez, au soleil couchant, au fond de cette fosse, un chaudron renversé, ou un bassin d’étain, dont l’intérieur soit frotté d’huile. Fermez l’entrée de cette espèce de puits avec quelques planches couvertes de terre ou de gazon. Si le lendemain matin vous trouvez des gouttes d’eau attachées au-dedans ou chaudron ou du bassin, c’est une marque certaine que ce lieu renferme des veines d’eau. Au défaut d’un vase de métal, on pourroit se servir d’un vase de terre non cuite, sans qu’il soit nécessaire de le frotter d’huile. S’il y a de l’eau, ce vase se trouvera intérieurement couvert d’humidité, & même extérieurement, dans le cas où la source seroit abondante… Pour plus d’assurance, on peut mettre sous ces vases quelques poignées de laine, afin de voir si, en la pressant, l’on en fait sortir beaucoup d’eau. Tous ces signes sont infaillibles & confirmés par une expérience constante.

Autre épreuve. On connoîtra aussi qu’il y a sous ce creux, de l’eau souterraine, si, après y avoir renfermé une lampe allumée et pleine d’huile, on la trouvoit mouillée le lendemain, et sur-tout s’il y restoit encore une partie de la mèche et de l’huile qui ne fussent pas consumés.

Le père Kirker dans son traité du magnétisme, indique une expérience également facile et certaine ; il assure en avoir fait usage, et toujours avec beaucoup de succès. Il faut faire une aiguille de bois, longue de deux à trois pieds, composée de deux pièces de bois, entées, l’une d’un bois pesant, serré & compacte, peu susceptible d’humidité, et l’autre de bois poreux, spongieux et facile à s’imbiber. Le bois d’aune ou verne, sera très-propre à faire cette pièce de rapport. On placera le matin l’aiguille en équilibre sur un pivot, ou bien on la suspendra à un fil dans une fosse creusée dans l’endroit sous lequel on conjecture qu’il y a de l’eau. S’il y en a effectivement, les vapeurs qui, s’élèvent sans cesse, pénétrant la partie spongieuse de l’aiguille, la feront incliner vers la terre. Cette expérience réussit infiniment mieux le matin avant que l’humidité, qui est alors très-abondante, ait été dissipée par la chaleur du soleil.

4°. Pline, dans son histoire naturelle, parle d’une autre marque de source cachée, qu’il assure avoir éprouvé lui-même. Si l’on remarque, dit-il, quelqu’endroit où l’on voit fréquemment les grenouilles se tapir est pousser la terre, on peut être sûr qu’on y trouvera des rameaux de sources. Les grenouilles tireront dans cette position, l’humidité et les vapeurs qui s’exhalent de cet endroit.

5°. Quand on cherche l’eau, Vitruve veut qu’on examine la nature du terroir. Un terroir de craie, dit-il, n’en fournit que très-peu, & elle n’est même jamais de bon goût. Dans le sable mouvant, on n’en trouve qu’une très-petite quantité. Dans la terre noire, solide, non spongieuse, elle est plus abondante. Les sources qui se trouvent dans une terre sablonneuse, semblable à celle qui se voit au bord des rivières, sont aussi fort bonnes, mais peu abondantes. Elles le sont davantage dans le gros sablon, dans le gravier vif ; elles sont excellentes et abondantes dans la pierre rouge.

Le père Jean-François, dans son traité de l’art des fontaines, approuve particulièrement les indices qui se tirent de la nature même du sol, et des différentes couches qu’on y trouve ; & pour les découvrir sans beaucoup de peine et de dépenses, il recommande l’usage des tarrières de fer. (Consultez l’article Fontaine) Si, sous des couches de terre, de sable & de graviers, on aperçoit un lit d’argile, de marne ou de terre fraîche & compacte, on rencontre bientôt & infailliblement une source ou des filets d’eau, que le plus mal habile cultivateur saura fort bien rassembler par tranchées.

Enfin, Vitruve conseille de faire attention à la situation des lieux & à leur aspect. Au pied des montagnes, parmi les rochers, les cailloux, les sources sont plus abondantes, plus fraîches, plus salubres et plus commune que par-tout ailleurs. C’est sur-tout au pied des pentes tournées au nord, qu’il convient de fouiller ; ces lieux n’étant presque point exposés aux rayons du soleil, la montagne par sa pente faisant ombre sur elle-même, et les rayons ne tombant sur le terrain que pendant peu de temps & fort obliquement.