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Cours d’agriculture (Rozier)/VACCINATION

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VACCINATION. La découverte des propriétés qu’a la vaccine de préserver de la petite vérole est due à M. Jenner, médecin anglais. Il mit à profit la pratique des habitans de Berkeley, dans le Glocestershire, qui depuis plus de cinquante ans, dit-on, s’exemptent de la petite vérole, en se frottant les mains contre le pis des vaches attaquées d’une maladie nommée en anglais cowpox. On a publié depuis qu’il existe une pratique semblable en Irlande, dans quelques parties du Holstein[1] et de la Lombardie.

C’est en 1795 que le docteur Jenner fit ses expériences vaccinales, qui furent confirmées à Londres par les docteurs Pearson et Woodville.

Le vaccin fut ensuite apporté d’Angleterre à Vienne, à Genève et à Paris.

Un comité central de vaccine, formé à Paris à la fin de l’an 8, a propagé et conservé la vraie vaccine en France. On a d’abord reproduit sur la vache des pustules semblables à celles d’où la matière vaccinale avoit été tirée primitivement.

Des enfans vaccinés par centaine, et enfin par milliers, à Londres et à Paris, dont un grand nombre a été exposé ensuite à la contagion de l’inoculation de la petite vérole, ont fourni la preuve de la qualité préservative attribuée à la vaccine.

Peu à peu la vaccination s’est répandue dans toute la France ; on a établi des correspondances, des hospices, dont la vaccination étoit l’objet unique. Enfin, le comité central de vaccine a publié les résultats obtenus d’après des faits innombrables ; et qui tous démontrent que la vraie vaccine, en préservant l’homme de la petite vérole, est par conséquent un moyen de s’opposer à une des causes principales de mortalité dans l’espèce humaine.

N’était-il pas raisonnable de chercher les moyens d’appliquer cette découverte aux animaux qui font partie de notre richesse, en leur reportant un secours qu’on n’a fait que leur emprunter ?

Nous ne détaillerons point les faits nombreux qui établissent l’efficacité de la vaccine dans l’homme, on les trouve consignés tant dans les écrits d’un grand nombre de vaccinateurs, que dans les rapports unanimes de » sociétés qui en ont fait un objet principal de correspondance. Nous bornant à ce qui est du ressort de notre art, nous allons rapporter un précis des expériences qui ont été faites avec la vaccine, principalement sur les bêtes à laine, par MM. Godine jeune, et Chaumontel, professeurs à l’École vétérinaire d’Alfort, et enfin par M. Voisin, docteur-chirurgien, membre de la Société d’Agriculture de Versailles.

Les expériences de M. Godine ont été faites en l’an 10 et en l’an 11[2] ; celles de M. Voisin et de M. Chaumontel, en l’an 12.

Lieu de l’inoculation. On choisit toujours un endroit du corps où il n’y ait point de laine ; par exemple, les ars tant antérieurs que postérieurs, les parties latérales des mamelles et de la poitrine ; mais comme il est plus difficile de fixer l’animal pour faire l’insertion du virus en ces endroits, on peut préférer un lieu plus à la portée de l’instrument, et où les phénomènes seront plus faciles à observer ; par exemple, à deux pouces au dessus de l’œil et un peu en arrière ; là on tond la laine avec des ciseaux.

Manière de recueillir et de conserver le virus vaccin. On le recueille d’un bouton de vaccine existant soit au pis d’une vache, soit sur le corps de quelque personne. On peut passer avec une aiguille à travers ce bouton, un fil qui s’imprègne de la matière vaccinale ; on le met ensuite dans un tube de verre ou dans une petite fiole que l’on bouche bien. On recueille aussi la matière sur une lancette, et on la dépose sur une pièce de verre contre laquelle on en applique une seconde, de même grandeur ; on colle les deux verres l’un à l’autre par les bords, avec de la cire, et quand on veut pratiquer l’inoculation, on sépare les verres et l’on délaie la matière avec une goutte d’eau tiède. Ces moyens sont mis en usage sur-tout pour conserver quelque temps le vaccin, et pour le transporter à quelque distance. Un autre moyen plus direct, quand les animaux sont dans le même lieu, c’est d’ouvrir le bouton de vaccine et d’insérer la matière sur-le-champ. Ainsi, le virus est plus fort et a une action plus assurée.

Mode d’insertion. On peut l’insérer au mouton et à la vache comme à l’homme, par une simple piqûre de lancette chargée de matière et tenue verticalement, afin que le fluide descende. Mais on est plus sûr de l’opération, en faisant d’abord pénétrer entre l’épiderme et le derme le bout de la lancette non chargée, qu’on enfonce obliquement ; puis on pince la peau par les deux bouts de la petite plaie, ce qui fait que l’incision s’ouvre ; alors on y porte de la matière vaccinale avec la pointe de la lancette. On fait ainsi quatre, six, huit insertions, selon qu’on le juge à propos. On peut encore faire un pli à la peau, inciser à plat l’épiderme avec un bistouri, soulever l’épiderme et appliquer le virus.

Si le vaccin est recueilli sur un fil, on peut faire un pli à la peau, y passer le fil avec une aiguille entre le derme et l’épiderme, et y laisser un petit bout de ce fil ; ou mieux encore, couper une petite portion de ce fil, et la placer dans une petite incision faite avec la lancette ou avec le bistouri.

Traitement du vrai vaccin des bêtes à laine. Le développement de la pustule vaccinale dans les bêtes à laine présente des différences avec celles de l’homme. Dans les bêtes à laine, l’aréole ou la rougeur qui environne la pustule est foible et rayonnée, tandis qu’elle est beaucoup plus foncée dans l’homme ; dans les bêtes à laine, la matière de la pustule est beaucoup moins abondante que dans l’homme, et elle est formée complètement le sixième jour, c’est-à-dire deux jours plus tôt que dans l’espèce humaine. Les, animaux vaccinés éprouvent une légère diminution de la gaîté ainsi que de l’appétit, sur-tout les cinquième et sixième jours.

D’après ces faits, nous pensons, avec M. Voisin, que le temps le plus opportun pour recueillir le virus vaccin du mouton, est le cinquième jour. Cette matière dans l’homme est gommeuse et transparente, tandis qu’elle est purulente dans le mouton. On a cependant vu dans quelques pustules un sommet cristallin.

La pustule vaccinale humaine est aplatie dans toute sa surface, et présente un enfoncement dans son centre ; l’aplatissement n’existe pas dans le mouton, et la dépression y est beaucoup moins sensible.

Le septième jour, le dessèchement de la pustule est déjà bien avancé : la croûte qui se forme ensuite, au lieu d’être brune ou noire, comme dans l’homme, est grisâtre et se détache du douzième au quatorzième jour.

De la fausse vaccine. Tels sont les caractères qui distinguent le vrai vaccin, tandis que dans la fausse vaccine, il n’y a point d’aréole, le liquide est transparent, et il n’y a point du tout de dépression au centre.

MM. Huzard et Tessier ont observé la fausse vaccine chez M. Saint-Genis, membre de la Société d’Agriculture de Paris, cultivateur à Pantin. M. Jadelot et M. Fromage l’ont vue à Champigny, près Saint-Maur, sur les vaches de M. Bagot. L’une et l’autre ont été inoculées sans succès.

Inoculation avec diverses matières. M. Godine jeune a pris la matière de la petite vérole sur un enfant, l’a inoculée à deux brebis, et il s’est développé une éruption semblable en tout au claveau.

M. Voisin a inoculé la vraie vaccine à une vache avec le virus vaccin du mouton. MM. Godine jeune, Chaumontel, Soulard et Langlois ont inoculé la vraie vaccine à des moutons, avec la matière prise sur d’autres moutons.

M. Valentin, docteur-chirurgien à Nancy, a inoculé la vraie vaccine à deux chèvres, à un chien, à une ânesse ; il prouve que la vaccine étoit vraie, parce que chaque fois il a pris la matière vaccinale de ces animaux, et qu’il l’a inoculée avec succès à des enfans[3].

Le docteur Jenner attribue l’origine de la vaccine à la matière des eaux aux jambes des chevaux, (en anglais greas) transportée par les mêmes hommes qui, en Angleterre, chez beaucoup de cultivateurs, ont la tâche de panser les chevaux et de traire les vaches. Ceux qui ont quelque coupure ou quelque égratignure aux doigts gagnent plus facilement la vaccine.

Le docteur Woodville a inoculé sans succès à des vaches, les eaux aux jambes du cheval, prises à diverses périodes de la maladie. Simmons n’a pu non plus faire naître la vaccine sur trois vaches inoculées avec la matière des eaux aux jambes. Enfin, M. Péarson rapporte qu’il a vu la vaccine se manifester dans plusieurs fermes, quoiqu’il n’y eût point de chevaux ; et dans d’autres, quoique les chevaux de la ferme n’eussent point les eaux aux jambes, et que le domestique qui avoit soin de traire les vaches ne touchât jamais les chevaux.

Cependant, le docteur Jenner est tellement persuadé de cette cause, qu’il ne craint pas d’assurer que, « par-tout où l’on trouvera un cheval, un homme, une vache et une laiterie, on trouvera la vaccine. »

M. Coleman, professeur au collège vétérinaire de Londres, a essayé plusieurs fois sans succès de donner la vaccine à une vache, avec le pus du greas[4].

D’un autre côté, M. Godine jeune a inoculé de la matière des eaux aux jambes à une vache, et a déterminé aux mamelles huit boutons aréolaires qui, dans l’espace de quinze jours, passèrent successivement par les divers degrés qu’on remarque dans les boutons vaccins de l’homme.

Il a fait plus, il s’est servi de la matière des eaux aux jambes du cheval pour inoculer douze bêtes à laine, sur lesquelles le vaccin se déclara tellement, que le pus de leurs pustules servit à vacciner trente-six moutons.

Les variétés qui existent dans les eaux aux jambes, et parmi lesquelles les inoculateurs ont pu prendre des matières différentes, ne sont-elles pas cause de l’opposition qu’on observe dans leurs résultats ? Il existe aussi des boutons dans les eaux aux jambes des chevaux. La matière altérée par l’air ambiant et par les vapeurs des excrémens n’est sans doute plus aussi propre à être inoculée ; c’est pour cela que dans cette expérience il nous semble qu’il est convenable de chercher des eaux aux jambes où il existe des boutons, et de saisir le moment où ces boutons sont remplis de la matière bien formée. Alors, on nettoieroit le paturon du cheval avec une éponge imbibée d’eau tiède et après avoir lavé l’éponge et l’avoir pressée fortement, on s’en serviroit de nouveau pour essuyer doucement les boutons remplis de la matière des eaux ; on ouvriroit ces boutons avec la lancette, on recueilleroit la matière et on l’inoculeroit sans altération.

Dans tous les cas, il nous paroît important que dans cette expérience les inoculateurs rapportent dans leur récit, le caractère des eaux aux jambes inoculées, ou qu’ils en essaient l’inoculation dans tous les états ; c’est-à-dire la matière étant séreuse, purulente ou sanieuse, suintant des poils, étant répandue sur la peau, ou encore contenue dans les boutons. Ce n’est qu’après avoir marqué ces distinctions, que l’on pourra s’entendre.

Contre-épreuves. L’inspection seule des boutons vaccins est encore insuffisante aujourd’hui pour faire reconnoître la vraie vaccine. Il faut, après avoir vacciné beaucoup de moutons, leur inoculer le claveau ; on les mêlera à un troupeau de claveleux ; alors il ne restera plus de doute, et les incertitudes qui peuvent rester encore seront dissipées.

M. Moutonnet, vétérinaire à Bourneville, département de Seine et Marne, a inoculé en l’an 9 la vaccine à quatre béliers mérinos ; les boutons vaccins se sont bien développés ; mais le grand prix des animaux a empêché de les soumettre à une contre-épreuve.

M. Godine jeune, n’ayant point de matière du claveau, a fait ses contre-épreuves avec la matière fournie par des boutons d’une brebis sur laquelle il avoit inoculé la petite vérole humaine. Le virus fut sans action sur les animaux vaccinés, tandis que d’autres qui ne l’avoient point été et auxquels il inocula en même temps la petite vérole, furent attaqués du claveau.

Une des brebis vaccinées par M. Chaumontel, professeur, Soulard et Langlois, répétiteurs de l’École, appartenant à M. Ganeron, cultivateur à Malnoue, département de Seine et Oise, fut mise chez M. Laclef, cultivateur à Ferrière, dans son troupeau affecté du claveau. Trois moutons claveleux moururent à côté d’elle. On l’a retirée intacte au bout de sept mois.

Les moutons de M. Dupuis, cultivateur à la ferme de Sceaux, ayant été vaccinés, l’on a vu s’arrêter la mortalité que le claveau causoit dans son troupeau.

M. Godine jeune, rapporte qu’un particulier des environs de Nangis, département de Seine et Marne, a vacciné soixante moutons de son troupeau, composé de trois cents bêtes ; que le claveau s’est développé dans sa bergerie, et qu’il a respecté les soixante vaccines.

M. Deschamps, vétérinaire à Evreux, département de l’Eure, nous écrit qu’il a fait des contre-épreuves multipliées, et qu’il atteste l’efficacité de la vaccination comme préservatif du claveau.

Conclusion. Quoique l’on ait déjà des résultats semblables à diverses époques, dans divers lieux, sur des sujets d’âge différent, il faut encore multiplier les observations et les expériences pour constater, 1°. si la vaccine de la vache ou cowpox, est l’espèce varioleuse dont les vaches sont susceptibles.

2°. Si les eaux aux jambes des chevaux, que l’on aura soin de décrire, inoculées à la vache, au mouton, à l’homme, etc., font réellement naître la vaccine, le claveau, la petite vérole, etc.

3°. Si sur-tout, comme cela paroît se confirmer, la vaccine humaine inoculée au mouton, le préserve du claveau.

4° Si la vaccine inoculée au cheval le préservoit de la gourme, et le dindon de sa variole, appelée dindonnade.

5°. De quel secours pourroit être cette inoculation aux autres animaux, suivant le docteur Decarro[5]. M. Coleman, professeur au collège vétérinaire de Londres ; MM. Ingenhouse, Woodville et Hunter n’ont jamais pu inoculer la petite vérole à des singes, à des chiens, à des vaches, à des lapins.

Les propriétaires d’animaux peuvent les vacciner eux-mêmes ; l’opération est assez facile, ainsi que nous l’avons indiqué. Ceux qui en ont l’occasion ne doivent point mettre en comparaison un léger sacrifice, avec les avantages considérables qui résulteroient de l’application de la découverte de M. Jenner aux animaux, qui font une partie importante de leur richesse. Ceux qui s’en seront occupés avec zèle et sagacité auront, d’un côté, l’avantage de travailler à leur fortune, et de l’autre, l’honneur de contribuer à la prospérité de l’État. (Ch. et Fr.)

  1. La vaccine est connue sous le nom de Finnen, dans le Holstein.
  2. Voyez les Mémoires de M. Godine jeune, dans le Journal de Vaccine, an 10, et dans les Annales d’Agriculture, an 12
  3. Journal de la Société de Médecine, Tome XII, page 177.
  4. Decarro, page 34.
  5. Observations sur la vaccine, page 34.