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Cris d’amour et d’orgueil/La Jeune Sicilienne

La bibliothèque libre.
Messageries de la Presse ; Librairie Universelle (Anthologie Contemporaine. Vol. 32) (p. 3-6).

LA JEUNE SICILIENNE


La jeunesse est une fleur dont
l’amour est le fruit… Heureux le
vendangeur qui le cueille après
l’avoir vu lentement mûrir !

Pindare
.

I


Voyageur attiré par les splendeurs de l’Art,
J’avais franchi le seuil d’une église célèbre,
Et, marchant à pas lents, je cherchais du regard
Les chefs-d’œuvre taillés dans le marbre funèbre.

J’admirais les tombeaux, les lampes d’or massif
Qui brûlent nuit et jour devant le tabernacle :
Leurs discrètes lueurs m’avaient rendu pensif
Comme un croyant qui tremble à la voix d’un oracle.

Qui n’a des souvenirs, et ne devient rêveur
Au fond d’un sanctuaire aux piliers séculaires ?
Qui ne sent s’éveiller quelque antique ferveur
Dans les temples remplis d’ombres crépusculaires ?


Je songeais qu’autrefois des milliers de mortels,
Pèlerins accourus de lointaines contrées,
S’étaient agenouillés au pied de ces autels
Dont je considérais les parures sacrées.

Et j’évoquais les jours où le peuple en émoi,
Naïvement séduit par un attrait mystique
Aimait s’anéantir et proclamer sa foi
Dans les fleurs et l’encens de l’enceinte gothique.

L’église était déserte, et le bruit de mes pas
Retentissait longtemps sur la dalle sonore :
Je croyais m’avancer dans la nuit du trépas
Et des morts profaner le sommeil incolore.

Oh ! non, non, me disais-je en ma sincérité,
Ce ne sont point les murs de cette église antique
Qui renferment pour moi la vie et la beauté !
Ces autels ont perdu leur attrait poétique.

Fuyons le morne aspect de ces tombeaux glacés,
De ces froids monuments, de ces linceuls de pierre
Où sont ensevelis d’illustres trépassés
Depuis longtemps réduits et tombés en poussière.

Dans le marbre doré laissons se reposer
L’orgueilleux souvenir de ces grands personnages,
Et sous ces vastes nefs laissons s’éterniser
Le fantôme oublié des vieux pèlerinages.


II


Comme j’allais sortir de cette obscurité,
Et secouer ton joug, ô funèbre Analyse,
Un rayon de soleil illumina l’église.
Et tout sembla renaître à sa vive clarté.

À l’angle d’un pilier j’aperçus, recueillie,
Une jeune chrétienne, une vierge, une enfant…
Son chaste et franc regard, son maintien suppliant,
Sa grâce, sa candeur et sa mélancolie

Me firent éprouver un doux contentement,
Et mon pas, malgré moi, ralentit son allure :
Je sentais que cette âme était naïve et pure,
Que rien n’avait terni ce front noble et charmant.

Et je fus attendri ! La beauté, la jeunesse,
L’innocence du cœur rayonnant dans les yeux,
Sur le plus sombre rêve ont un prestige heureux,
Et font qu’à nos malheurs se mêle une allégresse…


Pourquoi ton souvenir si candide et si pur
En moi s’est-il gravé, jeune fille inconnue ?
Pourquoi, lorsqu’apparaît ton image ingénue,
Vois-je un point lumineux dans l’avenir obscur ?

Ambitions du cœur, énigmes caressantes,
Pourquoi vous dressez-vous devant chaque mortel
Comme un sphinx enchanteur, famélique et cruel ?
Et pourquoi chaque jour êtes-vous renaissantes ?

Convoitises du rêve, ô désirs frais éclos,
Pourquoi tourmentez-vous sans cesse notre vie ?
Et pourquoi si souvent notre âme inassouvie
Veut-elle s’élancer vers des bonheurs nouveaux !

Devant l’aube qui verse aux plaines sa rosée,
J’abandonne à l’oubli les soleils révolus ;
Les Avrils expirés ne me captivent plus
Lorsqu’un autre printemps a séduit ma pensée.

Tout s’efface, tout meurt ! Notre jour le plus beau
N’apaise point, hélas ! la soif qui nous dévore ;
Un désir plus ardent nous guette à chaque aurore,
Et nous gagnons ainsi le chemin du tombeau !


III


Tandis que tu priais, jeune Sicilienne,
Agenouillée au pied des tabernacles d’or,
J’admirais tes yeux noirs, ta main praticienne,
Ton sein fier et tremblant dans son pudique essor.

Et tu me rappelais les filles de la Grèce
Qui venaient autrefois avec naïveté
Interroger Vénus, l’indulgente déesse,
Et qui lui faisaient don de leur virginité.

Enfant, que demandait la craintive prière ?
Pour qui formait des vœux ton cœur adolescent ?
Et que te répondait la Madone de pierre
Debout sur les autels du temple éblouissant ?

L’amour, je le devine, en toi voulait éclore ;
Tu sentais sa blessure en secret t’envahir,
Et nul parmi les tiens ne le savait encore…
Seuls, tes yeux adorés auraient pu te trahir.

L’amour !… Qui donc l’a fait surgir en tout ton être ?
Est-ce un beau cavalier que tu vois le matin
À travers les rideaux brodés de ta fenêtre,
Et qui passe au galop avec un air hautain ?

Est-ce un doux compagnon, un jeune homme timide
Qui n’ose te parler quand il est près de toi ?

Est-ce un poète fier dont la strophe limpide
Et les tendres aveux ont causé ton émoi !

Peut-être est-ce un héros entrevu dans un livre,
Un superbe tribun aux accents enflammés,
Un vengeur courageux qui se lève, et délivre
D’un joug pesant et dur les peuples opprimés ?

Quoi qu’il en soit enfant, ta blessure est divine !
Puisque l’amour t’invite à son riant festin,
Puisque pour te guider son flambeau t’illumine,
Mets ta main sur ton cœur, et bénis ton destin !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Le soleil disparut. Une ombre sépulcrale
Remplaça tout à coup sa vivante clarté,
Et j’eus peur en voyant l’immense cathédrale
Retomber dans la nuit et dans l’obscurité !