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Découverte des mines du roi Salomon/Chapitre I. Rencontre de sir Henry

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DÉCOUVERTE
DES
MINES DU ROI SALOMON


I

rencontre de sir henry


À mon âge, entreprendre d’écrire une histoire, — j’ai cinquante-trois ans, — cela m’étonne moi-même. Je me demande si j’en viendrai à bout et quelle sorte d’histoire ce sera.

J’ai commencé à travailler tout jeune. À l’âge où la plupart des garçons sont encore sur les bancs des écoles, je gagnais ma vie, et je viens seulement de pouvoir cesser si cela me convient, car il n’y a pas huit mois que je suis devenu riche. J’ignore encore à quel chiffre se monte ma fortune, tout ce que je sais, c’est qu’elle est amplement suffisante et qu’elle a failli nous coûter bien cher. Enfin, je suis rassasié d’aventures ; Dieu merci, je vais me reposer.

Ce que je vais raconter, c’est l’histoire de cette fortune.

J’écris pour me distraire ; je souffre d’une morsure de lion, et il faut que je reste étendu. Avoir tué soixante-cinq lions et se laisser mâcher la jambe par le dernier, c’est raide !

Une autre raison pour écrire, c’est mon désir d’amuser mon fils Harry et de lui laisser un souvenir de mes aventures. Harry est étudiant en médecine à Londres, et l’hôpital n’est pas toujours amusant ; je me flatte de le distraire un moment par ce récit.

Maintenant, je commence.

D’abord, je tiens à vous dire, — un peu d’orgueil peut-être, — que je suis fils d’une bonne et ancienne famille ; si j’ai passé ma vie en nomade, à chasser ou à travailler, c’est la fatalité qui l’a voulu. Je n’en suis pas moins resté honnête homme ; j’ai la crainte de Dieu. Jamais, dans toutes mes expéditions, je n’ai attenté à la vie de mon semblable, sauf en cas de légitime défense, et j’ai épargné mon adversaire toutes les fois que je l’ai pu. J’espère qu’il m’en sera tenu compte là-haut. Je dis cela, pour que vous sachiez à qui vous avez affaire, lecteur.

Il y a dix-huit mois, au retour d’une excursion de chasse au delà du Bamamgouato, je fis la rencontre de sir Henry Curtis et du capitaine Good. Je venais de vendre mon ivoire et je m’étais rendu au Cap.

Cette ville m’était déjà familière : j’y visitai le Jardin Botanique, qui me paraît appelé à rendre de grands services à la colonie, et le magnifique Palais du Parlement, qui sera certainement moins utile. Mais la vie d’hôtel ne me va pas, sans compter qu’on m’écorchait, et je résolus de retourner chez moi à Durban.

J’arrêtai mon passage à bord du Dunkeld, et, dans l’après-midi, nous voguions vers Natal.

Nous avions reçu par transbordement les passagers du Château-d’Édimbourg, qui venait d’Angleterre. Parmi ceux-ci, deux messieurs attirèrent mon attention. L’un d’eux pouvait avoir trente ans. C’était un solide gaillard aux robustes épaules, avec une large poitrine bombée, des bras nerveux. Ses cheveux et sa barbe étaient blond-jaune ; ses grands yeux gris enfoncés donnaient à sa belle physionomie un cachet particulier. Il me fit penser à ces héros scandinaves dont l’histoire nous parle. J’ai su plus tard qu’effectivement il descendait de ces grandes races du Nord. C’était sir Henry Curtis.

Avec ce blond fils d’Albion se trouvait un petit homme brun, gros, rond, à l’air bon enfant, que je pris tout de suite pour un officier de marine. On les reconnaît à première vue, les marins ; ce sont de braves cœurs, ils valent mieux que les autres hommes, en général. C’est la grande mer, le souffle puissant des vents du ciel qui, peut-être, balaient de leurs âmes les impuretés et en font des hommes plus droits, plus honnêtes que d’autres.

Je ne me trompais pas : ce compagnon de sir Henry était lieutenant de vaisseau. Il avait un peu plus de trente ans et on l’y avait mis en retrait d’emploi. Il s’appelait Good. Sa bonne figure faisait plaisir à voir. Il était bien vêtu, minutieusement propre, tiré à quatre épingles ; un monocle, enchâssé dans l’œil droit, tenait là sans cordon. Ses dents me firent envie, à moi qui ne les ai pas bonnes ; c’était un superbe râtelier, dont je vous prie de prendre note dès maintenant.

Peu après notre départ, le temps se gâta ; un vilain brouillard, un vrai brouillard anglais, chassa tous les passagers de dessus le pont, et j’allai m’abriter près des machines. Un pendule se balançait devant moi à chaque mouvement du bateau.

« Ce pendule n’est pas bien établi ! » dit tout à coup une voix tout près de moi.

Je me retournai et je vis mon officier de marine.

« Croyez-vous ? dis-je.

— Je ne crois pas, je suis sûr ; vous pouvez être certain que, si le bateau avait roulé comme l’indique ce pendule, nous aurions fait une culbute que nous n’aurions pas recommencée ! Ces vaisseaux marchands !… Il y a toujours une incurie ! »

La cloche du dîner sonnait et je n’en fus pas fâché, car, lorsque les officiers de la marine royale se mettent à déblatérer contre la marine marchande, ça ne finit plus ; il n’y a que la marine marchande qui puisse leur rendre des points.

À table, le capitaine Good prit place vis-à-vis de moi ; sir Henry était à côté de son compagnon.

Le capitaine entama la conversation sur des sujets qui m’étaient familiers : on parla de chasse, d’éléphants…

« Vous êtes en bonnes mains, dit un de mes voisins au capitaine, personne ne saurait vous renseigner aussi sûrement que le chasseur Quatremain. »

À ce mot, sir Henry leva la tête.

« Pardon, me dit-il d’une voix grave et sonore, votre nom, monsieur, est-il Allan Quatremain ?

« C’est mon nom, oui, monsieur, » répondis-je.

Sir Henry ne répliqua rien, mais je vis qu’il m’observait, et, au bout d’un moment, je l’entendis murmurer dans sa barbe blonde :

« C’est un rude chasseur tout de même ! »

Quand on se leva de table, sir Henry s’approcha de moi et m’invita à venir fumer une pipe dans sa cabine.

Quand nous fûmes installés, avec des cigares et du wisky devant nous, sir Henry me dit :

« N’étiez-vous pas, il y a environ deux ans, à Bamamgouato, au nord du Transwaal ?

— Effectivement, » dis-je tout surpris de cette connaissance de mes faits et gestes.

Quel intérêt mes voyages pouvaient-ils avoir pour ces messieurs !

« Vous trafiquiez de ce côté-là ? demanda le capitaine vivement.

– Justement. J’avais amené un chargement de marchandises et je restais à Bamamgouato jusqu’à ce que tout fût vendu. ».

Sir Henry leva sur moi ses grands yeux pleins d’une anxiété vive et étrange.

« Vous n’auriez pas rencontré, par là, un homme du nom de Neville ? me dit-il.

— Mais pardon ! Il a campé près de moi une quinzaine de jours, le temps de faire reposer ses bœufs ; il manifestait l’intention d’aller dans l’intérieur. Il y a quelque temps, un homme d’affaires m’a écrit à son sujet ; il voulait savoir ce qu’était devenu M. Neville. Je n’avais pas grands renseignements à donner.

— J’ai eu votre réponse entre les mains, dit sir Henry. Vous expliquiez que M. Neville avait quitté Bamamgouato au commencement de mai, qu’il avait avec lui un conducteur, un voorlooper, et un chasseur cafre nommé Jim. Ils devaient aller jusqu’à Inyati, poste extrême de commerce, dans le pays des Matabélés. Là, M. Neville voulait se défaire de son wagon et poursuivre sa route à pied. Vous croyez qu’il a exécuté son dessein parce que vous avez vu son wagon en la possession d’un marchand portugais. Il avait acheté ce wagon, disait-il, à un homme blanc qui s’aventurait dans l’intérieur avec un serviteur indigène.

— Tout cela est exact, affirmai-je, parfaitement exact.

— N’avez-vous rien appris depuis lors ? reprit sir Henry après une petite pause. Savez-vous pourquoi M. Neville entreprenait un pareil voyage ? A-t-il dit quel était son but ?

— Je ne sais rien là-dessus de positif, » répondis-je comme quelqu’un qui n’a pas envie de se montrer trop communicatif.

Les deux amis se regardèrent.

« Tenez, monsieur Quatremain, autant vaut causer franchement tout de suite. Mon agent d’affaires m’a dit que vous êtes un homme sûr, honnête, discret, et que je puis me fier complètement à vous. »

Les compliments font toujours plaisir ; je m’inclinai et bus quelques gorgées de wisky pour cacher mon agréable embarras.

« Vous n’avez pas besoin de divulguer ce que je vais vous raconter, mais je vais vous dire tout de suite que M. Neville est mon frère.

— Ah ! m’écriai-je, il me semblait que votre figure ne m’était pas étrangère ! C’est votre ressemblance avec M. Neville qui m’a frappé quand je vous ai vu, et je ne retrouvais pas qui votre visage me rappelait.

— Oui, répondit sir Henry avec un soupir, c’est mon seul frère ; nous nous aimions beaucoup, jamais nous ne nous étions quittés. Il y a environ cinq ans, nous eûmes une querelle, et j’étais si furieux que j’en devins injuste envers lui.

« Vous savez, reprit sir Henry, après s’être arrêté un moment, que, dans notre pays, si un homme meurt intestat sans laisser autre chose que des terres, ses biens passent au fils aîné. Mon père mourut peu après notre querelle. Tous ses biens étaient à moi ; j’aurais dû subvenir aux besoins de mon frère, et je ne m’y refusais pas. Seulement je ne fis pas d’avances ; lui, trop fier, ne réclama rien. C’est une vilaine page dans mon histoire, vous voyez, monsieur Quatremain !

— Nous avons tous failli en quelque chose, dis-je.

— Hélas ! continua sir Henry, cette vérité ne répare pas ma faute. Mon frère possédait quelques milliers de francs. Il retira cette misérable somme de la Banque, et, sans me dire un mot, partit pour faire fortune au sud de l’Afrique. Au bout de trois ans, ma colère étant tombée, j’essayai d’avoir de ses nouvelles ; mes lettres restèrent sans réponse. Enfin, je résolus d’aller moi-même à sa recherche, et me voici. Je donnerais volontiers la moitié de ma fortune pour savoir qu’il est vivant. Le capitaine Good a bien voulu m’accompagner dans mon expédition. Nous cherchons à nous orienter.

— Dame ! interrompit le capitaine, je n’avais rien d’autre à faire ; le ministre de la marine m’avait donné la latitude de mourir de faim avec ma demi-solde !

— Maintenant, monsieur Quatremain, dites-nous ce que vous savez de plus sur M. Neville. Vous voyez pour quelles raisons sir Henry vous interroge et quel intérêt il a à savoir tout ce que vous pouvez nous apprendre. »