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Démêlés de la France et de la Suisse

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DES
DÉMÊLÉS DE LA FRANCE
ET DE LA SUISSE.[1]

La Suisse a beaucoup occupé l’Europe pendant le cours de ces dernières années. Elle l’a occupée par ce qu’elle a fait, par ce qu’elle a voulu faire, par ce que l’on a craint qu’elle ne fît, et surtout par ce que d’autres ont fait chez elle assez impunément, quelquefois avec sa connivence, toujours à son préjudice, toujours aussi grace aux particularités de son organisation politique. À tout prendre, il est possible que dans cette espèce d’intervention perpétuelle et d’ingérence un peu tracassière, on ait passé la mesure ; mais cela tient aux circonstances. La Suisse a été, par la force des choses et par suite des changemens que l’année 1831 a vu s’opérer dans ses institutions, le terrain sur lequel les intérêts nouveaux, nés de la révolution de juillet, et les intérêts anciens qui lui avaient survécu, se sont trouvés le plus long-temps, je ne dirai pas en collision positive, mais en observation hostile et se sont tenus mutuellement en échec avec le plus d’obstination. Il n’y a pas eu, à proprement parler, de question suisse ; mais il y a eu sur le sol de la Suisse un combat d’influences rivales, qui s’appuyaient chacune sur leurs auxiliaires naturels dans les cantons régénérés et dans les cantons qui n’avaient pas subi de changemens, dans les aristocraties déchues et dans les démocraties victorieuses.

De part et d’autre, on est allé presque jusqu’au bout des deux systèmes, sans trop s’apercevoir qu’il y avait exagération des deux côtés, et qu’il serait impossible de se maintenir long-temps dans cette attitude, qui contrastait trop vivement avec le rapprochement général des intérêts européens, opéré dans une sphère plus haute. C’est un point de vue sur lequel il est d’autant plus à propos d’insister, qu’il explique d’une manière satisfaisante une partie des derniers évènemens de la Suisse, l’irritation d’un certain nombre des anciens amis de la France, l’altération momentanée de la confiance qui doit exister entre les deux pays, et les difficultés survenues tout à coup dans leurs relations.

Un gouvernement qui aurait compromis, sans motifs assez graves, l’ancienne alliance de ce pays avec la Suisse, et par conséquent l’influence légitime qu’il doit exercer sur ses conseils, serait bien coupable. Si la Suisse a besoin de la France, la France n’a pas moins besoin de la Suisse. Gardienne d’une partie essentielle de nos frontières, plus la Suisse sera étroitement alliée à la France, plus elle mettra de zèle à faire, en cas de guerre, respecter sa neutralité, qui garantit quelques-unes de nos plus belles provinces. La Suisse reçoit de nous beaucoup de produits, naturels et autres, qui lui sont nécessaires, il est vrai, mais dont notre commerce a besoin aussi de trouver le placement chez elle, et qu’elle pourrait, au moins en partie, tirer de l’Allemagne, si nos relations avec elle étaient ou long-temps interrompues, ou moins faciles. Cette considération est même devenue beaucoup plus grave qu’elle ne pouvait l’être il y a encore dix ans, par suite de l’essor industriel qu’a pris l’Allemagne et de la formation de l’union des douanes. Les états allemands limitrophes étant entrés dans cette union, il en résulte que Bade et le Wurtemberg n’offrent plus seulement à la Suisse le débouché de leur propre consommation et leurs seuls produits en échange, mais le débouché d’une consommation presque égale à celle de la France, et les produits d’une fabrication proportionnée. Il est donc fort important de ne pas provoquer le commerce de la Suisse à se jeter plus vite et plus complètement qu’il ne pourra y être amené par d’autres causes, dans une voie différente.

Mais l’importance politique et commerciale du maintien des relations amicales qui ont existé de tout temps entre la Suisse et la France, est trop vivement sentie pour exiger de plus longs développemens. L’intelligence publique les prévient et y supplée. Il suffit de l’avoir indiquée ; et nous n’en avons même parlé que pour arriver à priori à la conclusion suivante : c’est qu’on ne peut guère supposer qu’un gouvernement essentiellement pacifique, un gouvernement à qui on a reproché de l’être beaucoup trop, un gouvernement qui a plutôt cherché à tourner les difficultés extérieures qu’à les vaincre, à les éluder qu’à les aborder en face, et qui se présente comme le plus ardent promoteur de tous les intérêts matériels du pays, qu’un pareil gouvernement, disons-nous, ait, non pas suscité de gaieté de cœur, mais même amené par des imprudences condamnables une complication aussi fâcheuse sous tous les rapports, que celle dont nous avons à retracer l’origine et les progrès.

La France s’est vue plusieurs fois, dans ces derniers temps, forcée de prendre, soit à l’égard de certains cantons, soit à l’égard de la Confédération helvétique tout entière, une attitude qui semblait démentir ses protestations officielles de bienveillance. Les divers incidens qui lui ont imposé cette pénible obligation se sont malheureusement succédé dans le court espace d’une année ; et cet enchaînement de difficultés, qui n’était que l’effet du hasard, a dû revêtir, pour des yeux prévenus, l’apparence d’un système. C’est aussi M. le duc de Montebello qui en a supporté presque seul tout le poids. Il y a eu d’abord l’affaire de Bâle-Campagne, que le ministère de M. de Broglie a léguée au cabinet du 22 février ; puis l’affaire du Jura catholique et des articles de Baden avec le canton de Berne, qui appartient exclusivement au ministère de M. Thiers ; enfin sont venues la question des réfugiés et l’affaire Conseil, qui ont laissé au nouveau cabinet l’exécution d’un engagement (pris par la Suisse) à surveiller et la réparation d’une offense à obtenir. Jusqu’au différend avec Bâle-Campagne, le gouvernement français n’avait, pour ainsi dire, à jouer en Suisse qu’un rôle de protecteur ; il n’avait eu que de bons offices à rendre au parti libéral, ce qui donnait un grand poids aux conseils de modération qu’il se trouvait dans le cas de lui adresser. Quelquefois embarrassée vis-à-vis des autres puissances, travaillée par des dissensions intérieures très violentes, et qui la menaçaient même d’un déchirement, la Suisse nouvelle se repliait toujours avantageusement sur la France, qui a certainement bien acquis, par trois années de protection et de bienveillance efficace, le droit de faire écouter ses avis sans inspirer de doutes sur la pureté de ses intentions.

Mais depuis le commencement du démêlé avec Bâle-Campagne, à mesure que la France se trouvait obligée de faire entendre à la Suisse un langage plus sévère, il se formait dans le sein de la confédération un esprit de défiance et d’éloignement qui allait presque jusqu’à l’hostilité. Il faut remarquer aussi que la lutte entre les partis avait changé de caractère et de terrain. L’opposition du parti contraire aux dernières réformes, connu en Suisse sous le nom de parti sarnien, était vaincue ; la ligue de Sarnen, qu’avait menacé l’existence de l’union fédérale helvétique, était dissoute : l’aristocratie bernoise se résignait à la perte de son pouvoir, et, entièrement éloignée des affaires publiques, se contentait de suivre, d’un œil plutôt curieux que jaloux, la marche de ceux qui lui avaient succédé. Il était arrivé en Suisse ce qui arrive toujours après la victoire. Le parti victorieux s’était divisé après son triomphe. Les uns voulaient s’en tenir aux résultats obtenus ; les autres voulaient les développer, les généraliser, les transporter dans les institutions qui n’avaient pas subi de changemens. En un mot, l’opinion radicale faisait irruption dans les conseils helvétiques, et y déclarait la guerre à l’opinion réformiste moins avancée, au nom d’une réforme fédérale, qui substituerait à la souveraineté actuelle et à l’égalité des cantons entre eux, un système représentatif basé sur l’ensemble de la population. Ce serait un retour plus ou moins complet, plus ou moins rapide, à l’essai de république unitaire qui rappelle à la Suisse une des pages les plus funestes de son histoire. Cependant les efforts du radicalisme, auraient pu, jusqu’à un certain point, demeurer indifférens à la France, si l’influence des réfugiés ne leur avait imprimé une direction dangereuse pour son repos, et qui a provoqué de bonne heure l’attention du gouvernement.

Nous ne voulons pas nous faire ici l’écho d’accusations passionnées contre des hommes malheureux, et que leurs malheurs rendent accessibles à tous les genres de séductions ; mais il faut reconnaître que ces hommes ont bien imprudemment abusé de l’hospitalité que leur accordait la Suisse, et se sont crus dispensés de tout devoir, non moins envers leur ancienne patrie qu’envers leur patrie adoptive. Les réfugiés n’ignoraient pas, ceux qui n’étaient point compromis dans l’expédition de Savoie, à quelles conditions ils pouvaient tranquillement résider en Suisse, et ceux qui l’étaient, à quelles conditions les puissances voisines fermaient les yeux sur la continuation de leur séjour. Une première fois déjà ils avaient attiré sur la Suisse des menaces, des réclamations, des mesures de blocus, et tout cela sans avantage pour leur propre cause. Cependant, bien loin de profiter de cette expérience, et d’attendre patiemment un meilleur avenir, ils avaient établi, dès 1831, des associations mystérieuses, qui relevaient d’un comité central siégeant à Paris, et qui étaient, ou directement, ou par son intermédiaire, en relation avec les radicaux de tous les pays. Ces associations, dont les institutions locales facilitaient le développement, détruisaient, par le fait, la neutralité de la Suisse, et faisaient de son territoire un foyer de conspirations plus ou moins dangereuses contre les états voisins.

Il est possible que le péril n’ait pas été bien grand, et qu’il y ait eu beaucoup d’exagération dans les craintes de l’Autriche et des puissances allemandes. Mais si les réfugiés n’étaient pas assez forts pour opérer une révolution dans le grand-duché de Bade ou ailleurs ; et s’ils se faisaient à eux-mêmes d’étranges illusions sur leur pouvoir, sur le nombre de leurs partisans, sur les dispositions des pays qu’ils auraient voulu choisir pour théâtres de leurs entreprises, au moins pouvaient-ils inquiéter un gouvernement et remuer quelques populations, comme ils l’avaient fait en 1834 par l’expédition de Savoie. Sous ce rapport, et avec cet exemple devant les yeux, on ne saurait contester aux puissances qui se croient menacées, le droit d’exiger de la Suisse des garanties, et il est certain que les réfugiés ont beaucoup nui, par ce motif, à l’indépendance de la Confédération helvétique. Ils ont donné contre elle des raisons et des armes. Dans un pareil état de choses, le rôle de la France a dû être de provoquer, de stimuler la Suisse à donner aux puissances allemandes les sûretés dont elles avaient besoin, pour lui éviter une lutte dans laquelle on n’aurait pu ni la sacrifier sans déshonneur, ni la soutenir sans imprudence.

Il faut bien comprendre cette situation et cette politique. Nous y reviendrons plus tard, quand il s’agira d’apprécier la dernière application qu’elle a reçue dans les affaires de Suisse. Mais on peut la réduire à ce principe, que la France n’a dû ni voulu compromettre la paix générale de l’Europe pour maintenir quelques hommes en possession d’un asile dont ils abusaient. Hâtons-nous d’arriver aux évènemens.

Voici comment s’est engagée, entre la France et la Confédération helvétique, l’importante question des réfugiés.

La Suisse avait pris en 1834, par l’organe du directoire fédéral de Zurich, l’engagement d’expulser de son sein tous les réfugiés étrangers qui avaient figuré dans l’expédition tentée au mois de février contre la Savoie. De plus, elle s’était engagée à ne négliger aucun des moyens qui pourraient empêcher toute pareille entreprise de s’organiser désormais sur son territoire, et en général à surveiller exactement les étrangers soupçonnés de tramer des complots contre les états voisins, auxquels elle accorderait un asile dont la nature de ses institutions permet trop facilement d’abuser. Ces engagemens, qui seuls avaient pu désarmer les puissances allemandes et la Sardaigne, alors très vivement irritées contre la Suisse, avaient été contractés après plusieurs mois de négociations pénibles entre le directoire fédéral et tous les états qui se croyaient menacés par les conspirations des réfugiés politiques. Ils furent ratifiés le 22 juillet par la majorité des cantons réunis en diète. Malheureusement on ne forma point de conclusum sur la matière ; il n’y eut point de règlement d’exécution arrêté ; le soin de faire remplir les engagemens pris par le directoire ne fut attribué spécialement à aucune autorité. Plusieurs cantons protestèrent même contre les promesses du vorort ; on réserva la souveraineté cantonnale, dans toute son étendue, en matière de droit d’asile. Cependant, comme on donnait, par les promesses ratifiées en diète le 22 juillet, une espèce de satisfaction aux puissances qui l’avaient fort impérieusement exigée, pour le moment la question fut assoupie, et les relations amicales se rétablirent entre la confédération et les états allemands.

Dans cette crise, qui menaça un instant de devenir fort sérieuse, la France joua le rôle de modérateur. Elle fit sentir que l’indépendance et la neutralité de la Suisse étaient sous sa protection, qu’elle ne souffrirait pas qu’il leur fût porté atteinte, sous le prétexte de paralyser les efforts des réfugiés, et de prévenir des dangers qui n’existaient pas encore. Mais en même temps elle usa de toute son influence auprès du directoire et des gouvernemens suisses pour faire obtenir aux puissances des garanties raisonnables, dans la pensée d’éloigner autant que possible de nouvelles causes de complications et de nouvelles sources d’exigences. Mais ce qui était plus efficace et plus direct, le gouvernement consentit à recevoir en France un grand nombre des étrangers qui avaient attiré sur la Suisse les ressentimens et les menaces des états voisins. En ouvrant la séance du 22 juillet 1831, le président de la diète et du directoire, M. Hirzel, bourgmestre du canton de Zurich, reconnut solennellement que, dans les fâcheuses circonstances dont la Suisse venait à peine de sortir, elle avait dû beaucoup aux bons offices et à la bienveillance du gouvernement français. « On peut envisager, dit M. Hirzel, l’article du Tractanda relatif aux réfugiés polonais comme suffisamment terminé, et cette affaire ne doit plus donner lieu à aucune négociation. Je déclare que c’est au gouvernement français que l’on doit rendre graces de cet heureux résultat. Bien que ces hommes aient répondu aux bienfaits de la France par une conduite turbulente et par des injures envers le roi et ses ministres, il a consenti, par bienveillance pour la Suisse, à leur ouvrir encore une fois les portes du royaume. »

Ces sentimens de reconnaissance étaient alors sincèrement partagés en Suisse par les hommes les plus éminens de l’opinion libérale, et surtout par les chefs des gouvernemens de Berne, de Lausanne et de Genève. On aimait à rendre justice aux intentions de la France ; on croyait à son désintéressement ; on ne lui supposait aucune arrière-pensée de jalousie ou d’ambition contre l’indépendance helvétique, aucun préjugé contre les institutions républicaines de la Suisse. Personne alors n’aurait osé, comme dans ces derniers temps, élever contre elle l’absurde accusation de vouloir détruire chez ses voisins la liberté de la presse, le système électif et les principes démocratiques, toutes choses dont l’extension récente au sein de la Confédération ne lui inspirait et ne lui inspire encore aucune crainte.

On a vécu pendant deux ans avec la Suisse sur ses promesses de 1834. Les cabinets intéressés à leur exécution savaient bien que cette exécution n’était pas complète et laissait beaucoup à désirer ; mais ils s’abstenaient de réveiller un différend assoupi, et leurs envoyés se contentaient de ne pas perdre de vue ceux des réfugiés que leurs talens, l’énergie de leur caractère, leur position connue dans le parti, rendaient le plus redoutables. C’est dans ces dispositions que le ministre d’Autriche, M. de Bombelles, et le nouveau ministre de Prusse, M. de Rochow, se sont établis à Berne au commencement de cette année. M. de Bombelles, notamment, n’ignorait pas que le réfugié italien Mazzini, écrivain assez distingué, qui venait de publier une brochure intitulée, Foi et Avenir, vivait tranquillement et sans trop se cacher à Bienne, d’où il entretenait fort activement ses correspondances politiques. Cet ambassadeur en était même assez préoccupé, mais il ne fit aucune demande pour obtenir l’expulsion de Mazzini. Une pareille démarche aurait d’ailleurs été inutile. En supposant (ce qui est peu probable, à l’époque dont nous parlons, antérieure aux découvertes de la police de Zurich), que le gouvernement de Berne eût ordonné à Mazzini de sortir du canton, il se serait certainement retiré dans un autre, et on n’aurait eu aucun moyen de lui faire quitter la Suisse.

Il fallait que les réfugiés eux-mêmes, en menaçant la Suisse de nouveaux dangers, donnassent lieu, par d’imprudens complots, aux mesures générales dans lesquelles ils se trouvent maintenant enveloppés. C’était un résultat que devaient bientôt amener leur état permanent de conspiration plus ou moins vague, la nécessité de ranimer par quelque entreprise hardie le zèle de leurs partisans au dehors, celle de fortifier et d’étendre leur organisation. Ils avaient, d’ailleurs, conçu de grandes espérances par suite de leur union avec le parti radical suisse, de l’influence qu’ils exerçaient sur la presse, de leurs relations avec les autorités cantonnales, et de la position avantageuse que plusieurs d’entre eux s’étaient faite dans quelques cantons. Il y avait bien des yeux ouverts sur les mouvemens des réfugiés ; mais leur surveillance était devenue fort difficile, depuis qu’ils se mettaient en garde contre des espions affiliés à leurs clubs, et paraissaient bien décidés à exécuter un article des statuts de leur association, qui déclare toute trahison passible de la peine de mort, et chaque membre de la société tenu de procéder, quand le comité l’en charge, à l’exécution de la sentence.

Un réfugié allemand, Rauschenplatt, natif du Hanôvre, désigné sous le nom de Kater dans la correspondance secrète de l’association de la Jeune-Allemagne, paraît avoir provoqué la réunion des Granges (canton de Soleure) qui a ranimé en Suisse la question des réfugiés, pour y faire délibérer sur une prise d’armes dont il était également le promoteur. Rauschenplatt avait fait partie de l’expédition de Savoie, du 1er février 1834. Depuis il s’était rendu à Barcelonne auprès du général Mina, dans un moment où la capitale de la Catalogne était devenue un foyer très ardent d’opinions révolutionnaires, et où le parti républicain fondait de grandes espérances sur le nouveau capitaine-général de cette province. Il en a été question dans le procès d’Alibaud. Rauschenplatt revint en Suisse au commencement de mai ; il parut à Berne vers le milieu du mois, et eut la hardiesse de faire inscrire son nom sur la liste des étrangers distingués ; puis il passa dans le canton de Thurgovie, limitrophe de l’Allemagne, où se rendirent aussitôt beaucoup de réfugiés allemands. L’apparition de cet homme, que tous les documens représentent comme un caractère fortement trempé, un chef de parti entreprenant et d’une activité peu commune, produisit une certaine sensation en Suisse, et détermina sans doute quelque mouvement parmi les réfugiés. Toujours est-il que fort peu de temps après la police de Zurich découvrit qu’une réunion devait avoir lieu le 28 mai aux Granges, dans le canton de Soleure.

C’est ici que se place le premier fait qui a démontré la partialité de certains cantons envers les réfugiés, leur mauvaise foi dans l’exécution des engagemens pris par la Suisse, et la nécessité de consacrer dans une mesure générale l’intervention du vorort. Ceci est d’autant plus essentiel à noter que la sévérité du langage de la France, dans la note du 18 juillet, tient peut-être à ce premier fait. Il est certain que la conduite du canton de Soleure en cette occasion fut désastreuse, parce qu’elle donna aussitôt à penser qu’on n’obtiendrait rien de la Suisse, si on ne l’exigeait hautement, et que, pour vaincre la résistance des états où le radicalisme domine, il faudrait intéresser et compromettre la Confédération tout entière. Or, voici ce qui est arrivé après la découverte des autorités de Zurich.

Une lettre de M. Hess, bourgmestre de ce dernier canton, en prévient le gouvernement de Soleure. Il signalait comme devant présider la réunion convoquée aux Granges le réfugié Mazzini, qui, pour avoir fait partie de l’expédition de Savoie, avait perdu le droit de résider sur le territoire helvétique. L’état de Soleure prend alors des mesures, mais avec le plus grand éclat, de sorte que le plus grand nombre des personnes qui se rendaient à la réunion en sont informées et rebroussent chemin. D’un autre côté, Mazzini, Harro-Harring et les deux frères Ruffini qui étaient aux Granges ont le temps de faire disparaître ou de détruire leurs papiers, et après avoir délibéré sur la conduite à tenir, décident qu’il vaut mieux ne pas bouger du village où ils se trouvaient, pour ne pas justifier les soupçons et s’avouer coupables par leur fuite. En conséquence, ils se laissèrent arrêter sans opposer de résistance et conduire à Soleure. Le lendemain, le gouvernement de Soleure les relâcha, en leur ordonnant de sortir du canton.

Ce qui a donné l’éveil à la police de Zurich, c’est une réunion de vingt ou trente ouvriers et réfugiés allemands, qui s’est tenue dans les environs de cette ville au milieu du mois de mai, peu de temps après le retour de Rauschenplatt en Suisse. Elle excita d’autant plus son attention, qu’une servante de l’auberge où l’assemblée avait eu lieu, rapporta qu’elle avait entendu un de ces réfugiés demander à plusieurs reprises si telle personne devait mourir, et que le plus grand nombre avait répondu : « Oui, elle doit mourir. » Or, cette circonstance paraissait indiquer qu’entre autres choses, la réunion s’était occupée d’un de ces jugemens mystérieux auxquels la voix publique attribuait déjà le meurtre d’un étudiant prussien, nommé Lessing, probablement soupçonné d’espionnage et de trahison par ses associés de la Jeune-Allemagne. En suivant les traces de la dernière assemblée, le conseil de police de Zurich espérait remonter jusqu’aux auteurs de l’assassinat de Lessing, qui avait donné lieu à une procédure criminelle non encore terminée. Les arrestations et saisies de papier qui furent ordonnées en conséquence, amenèrent des découvertes inattendues ; par exemple :

« Que des clubs secrets de l’association dite la Jeune-Allemagne existaient non-seulement à Zurich, mais encore dans divers autres cantons de la Suisse et nommément à Berne et à Lucerne, et que dans les délibérations on ne s’occupait que de projets politiques ;

« Qu’une convocation des députés de tous ces clubs avait été faite récemment, et suivant une circulaire dont on a trouvé l’original, qu’elle devait avoir lieu aux Granges, canton de Soleure, dans le but de traiter une résolution très importante. Il y était annoncé que le célèbre Kater assisterait à la réunion.

« Enfin, que les meneurs paraissaient déterminés à tenter quelque entreprise hardie, et à passer, selon les termes d’une lettre adressée par le club de Zurich aux autres affiliations, des paroles aux actes. »

C’est par suite de ces découvertes que le gouvernement de Zurich avertit celui de Soleure. Il l’engageait à surveiller la réunion convoquée aux Granges pour le samedi après la Pentecôte ; à la dissoudre s’il était possible, et à saisir tous les papiers qui seraient trouvés au lieu de l’assemblée.

Nous avons vu comment l’état de Soleure a suivi ces conseils, et les inductions que sa conduite a justifiées. Elle est taxée d’irréfléchie dans un rapport de M. Hess, magistrat de Zurich, qui nous a fourni tous ces détails, et fut jugée beaucoup plus sévèrement à Berne. La police de ce canton, informée le 29 au matin de ce qui s’était passé la veille à Soleure, y envoya un agent pour obtenir des renseignemens sur la route que Mazzini avait pu prendre. Mais il ne put rien savoir de positif. Mazzini, Harro-Harring et les deux frères Ruffini, mis en liberté par le gouvernement de Soleure, en avaient obtenu l’autorisation de retourner aux Granges pour emporter les effets qu’ils y avaient laissés. Ensuite ils avaient passé la frontière du canton, et on ignora long-temps ce qu’ils étaient devenus.

Mais l’impulsion était donnée. Berne avait aussitôt demandé communication du travail fait à Zurich sur les machinations des réfugiés, et prescrit des enquêtes sur son propre territoire. Son résultat a pleinement confirmé toutes les indications précédemment recueillies, et jeté un grand jour sur l’ensemble de la question. Il a été prouvé qu’un sieur Schuler, professeur de Darmstadt, naturalisé bourgeois du canton de Berne, y était le chef de l’association de la Jeune-Allemagne ; qu’il avait, sous le nom de Bauer, signé la circulaire de convocation pour la réunion des Granges ; qu’il s’y était rendu, mais que prévenu à mi-chemin de l’arrestation de Mazzini, il était rentré dans le canton de Berne avec les autres députés des sections, et que tous ensemble avaient tenu à Brugg, le 28 mai, une espèce de conférence sur le parti qu’il convenait d’adopter. On y avait ajourné l’exécution du projet dont les délégués de toute l’association devaient s’occuper aux Granges, et qui n’était rien moins que le projet d’une expédition à main armée contre le grand-duché de Bade, par la Forêt-Noire.

Voilà effectivement ce que Rauschenplatt était venu faire en Suisse. À peine arrivé, il avait décidé la convocation d’une assemblée générale de tous les clubs pour le 28 mai ; il avait mis en campagne plusieurs de ses amis pour sonder les dispositions des réfugiés et les préparer à l’exécution de son projet. Ce projet fut sérieux car le gouvernement de Bade a saisi des lettres qui s’y rapportaient et qui ne laissent aucun doute sur l’étendue des mesures prises par son auteur pour en assurer le succès. Cependant il n’y comptait pas lui-même ; et comme s’il avait voulu prévenir toute objection tirée du peu de chances favorables qu’il offrait, Rauschenplatt disait, pour le justifier, qu’il fallait à tout prix sortir de l’inaction, réveiller le zèle et ranimer les espérances des frères et amis en Allemagne, et inquiéter les gouvernemens. Il ne serait pas impossible que cet esprit à combinaisons profondes eût voulu jouer un autre jeu. On comprendrait facilement qu’il eût fait de son expédition contre le grand-duché de Bade, une spéculation pour attirer sur la Suisse de nouvelles menaces et de nouvelles exigences de la part des puissances allemandes, avec l’espoir de pousser les radicaux, beaucoup plus forts qu’en 1834 à une résistance opiniâtre, et par suite d’amener un état de guerre déclarée. Nous nous empressons d’ajouter que c’est là une simple supposition. Mais il doit y avoir, parmi les chefs de la propagande européenne, quelques hommes qui se rendent compte de la véritable situation des choses et de la disposition générale des esprits ; or, ceux-là ne partagent certainement point les absurdes illusions qu’ils entretiennent chez leurs obscurs soldats, et comprennent sans doute qu’à moins d’évènemens en dehors de leur sphère, il n’y a guère aujourd’hui de chances de succès pour leur cause. Ces évènemens, ils doivent chercher à les provoquer.

Et quoi de plus capable d’en faire naître qu’une querelle sérieuse entre la Confédération helvétique et les puissances allemandes, à cause de l’embarras où elle mettrait la France ? Faire cause commune avec l’Allemagne contre la Suisse ou la laisser sans défense ? Quel déshonneur, et quelle déviation de l’ancienne politique française ! Soutenir la Suisse, même dans ses torts, et la soutenir à main armée ? C’est la guerre générale, empreinte d’un caractère propagandiste ! Si l’on réfléchit à ce qu’un pareil dilemme aurait d’effrayant pour la France, et à tout ce qu’il ouvrirait de chances de bouleversement universel, on ne sera pas étonné que nous ayons pu supposer à ceux qui en profiteraient l’arrière-pensée de jeter un obstacle sous les roues du char qui les écrase.

Nous avons épuisé le fait le plus grave dont les enquêtes instituées par les autorités suisses aient amené la découverte. Cependant il y en a d’autres qui ne sont pas à négliger dans cette question, et qui sont démontrés par le travail de M. Roschi, préfet de Berne, tant sur les réfugiés du canton, que sur ceux de toute la Suisse. On a saisi des correspondances qui prouvent jusqu’à quel point les réfugiés allemands avaient pénétré dans la vie politique des cantons, l’influence qu’ils exerçaient sur certains magistrats, le parti qu’ils savaient tirer des institutions du pays dans l’intérêt de leurs desseins. Outre la Jeune-Allemagne, qui était l’association la plus nombreuse, il y avait en Suisse une Jeune-Italie, une Jeune-Pologne, et une Jeune-Suisse[2], associations de compatriotes, fondées sur les mêmes bases, dans un but identique, organisées de la même manière, et qui faisaient partie d’une association plus générale, appelée la Jeune-Europe. Le comité dirigeant de ces sociétés résidait à Paris. Leurs statuts, qu’on a découverts et publiés, sont empreints d’un mysticisme humanitaire et d’une certaine couleur religieuse qui les distinguent de plusieurs autres associations propagandistes, telles que celles dont l’existence a été révélée par divers procès depuis 1830. Mais le fond des principes est le même. Il s’agit toujours de détruire partout ce qui existe, même dans la Suisse démocratique, et de substituer aux gouvernemens constitutionnels ou absolus des institutions républicaines dont les formes seules varient, selon les tendances particulières de l’esprit national[3].

D’après cela, on conçoit bien qu’il ait souvent transpiré en Suisse une connaissance anticipée, vague quant aux moyens d’exécution, aux instrumens et à l’époque, mais certaine quant au fond des choses, des sinistres tentatives qui ont plusieurs fois épouvanté la France. Ce sont des indiscrétions de conspirateurs qui ont besoin de ranimer des espérances découragées, et de préparer leurs adhérens par des demi-confidences à l’exécution de leurs ordres. On a raconté beaucoup de fables sur l’organisation des sociétés secrètes, on leur a prêté des moyens d’action qu’elles n’ont pas, on leur a supposé des forces dont elles manquent ; mais tout n’est pas mensonge ou illusion de la peur dans ce qu’on en a dit. Les sociétés secrètes ont eu la main dans une foule d’entreprises dangereuses pour le repos de la France et pour celui de l’Europe. En Suisse, elles se sont développées sur une très grande échelle et ont fait beaucoup de prosélytes parmi les ouvriers. Elles ont eu deux organes avoués de leurs opinions ; c’était en dernier lieu le journal la Jeune-Suisse, qui paraissait à Bienne, et dont les presses servaient aussi à publier un grand nombre de pamphlets incendiaires, destinés au peuple et de nature à enflammer des esprits grossiers. Le président de l’association nationale Suisse, M. Druey, conseiller d’état du canton de Vaud, a soutenu que le tir fédéral, célébré cette année à Lausanne, n’avait pas eu d’autre but que son objet patent. Il faut le croire sur parole ; mais il n’en est pas moins certain que le professeur Schuler, étranger naturalisé et le principal chef de la Jeune-Allemagne dans le canton de Berne, avait conçu le projet d’en profiter pour faire décréter de force une constituante fédérale, ce qui est aujourd’hui le vœu le plus cher des radicaux. Que les meneurs du tir et de l’association nationale aient ignoré le projet de Schuler et n’aient pas eu la moindre connaissance de la proclamation qu’il avait préparée à cet effet et qu’on a trouvée chez lui, c’est ce qui paraîtra toujours fort équivoque, si l’on tient compte de la situation et de l’effervescence des partis. Mais le fait seul du projet conçu par Schuler, avec ou sans la connivence des principaux intéressés, parle assez haut. Des hommes sont devenus fort dangereux dans un pays, quand ils peuvent se croire appelés, eux étrangers, à y faire une révolution.

Nous ne pousserons pas plus loin cette analyse des résultats de l’enquête sur les réfugiés. Nous ferons seulement observer que tous les faits essentiels ont été reconnus dans un rapport de M. Monnard, député du canton de Vaud à la diète ordinaire, qui, ensuite, a condamné sans ménagement les notes de la France et ne saurait être suspect à personne. Maintenant, nous touchons à une autre face de la question, les mesures prises par la Suisse contre les réfugiés, les actes du gouvernement français, et le langage menaçant que M. de Montebello fut autorisé à tenir.

Après les découvertes de Zurich, le gouvernement de ce canton expulsa un certain nombre de réfugiés allemands. D’autres, et quelques-uns des plus dangereux, avaient pris la fuite ou s’étaient cachés. Il y avait contre le parti tout entier un mouvement d’indignation assez général, et si le directoire avait eu les pouvoirs suffisans, il ne serait pas resté beaucoup de réfugiés sur le territoire de la Suisse. Mais il n’était pas sûr de plusieurs cantons ; et après avoir rappelé à Soleure les engagemens de 1834, il s’occupa exclusivement des réfugiés qui se trouvaient dans l’état de Berne.

Ce fut d’abord comme autorité cantonale que le conseil exécutif de Berne s’adressa, le 17 juin, à M. le duc de Montebello, pour demander que les réfugiés expulsés du canton fussent reçus en France. Mais quelques jours après, il renouvela la même demande comme directoire fédéral, envoya une circulaire à tous les cantons et prit sérieusement en main la conduite de toute cette affaire.

Les dispositions du gouvernement de Berne étaient bonnes. Il voulait prévenir, autant qu’il serait en lui, par des mesures promptes et sévères, le renouvellement de ce qui s’était passé en 1834, un déluge de notes allemandes dont il aurait tout le poids à supporter comme vorort, les difficultés et les dangers de toute espèce qui en seraient, pour la confédération et pour lui, l’inévitable conséquence. Les actes ont répondu aux paroles. Dès le 6 juillet, il a fait conduire à la frontière de France les réfugiés du canton qui s’étaient notoirement rendus indignes de l’hospitalité helvétique. Malheureusement, beaucoup d’autres, et des plus dangereux, s’étaient déjà soustraits à toutes les recherches.

Pendant l’intervalle de près d’un mois (22 juin, 18 juillet) qui sépare la demande officielle du vorort de la réponse du ministère français, on avait pu se convaincre que plusieurs cantons n’étaient pas disposés à suivre l’exemple du gouvernement de Berne. Tous ceux où le radicalisme dominait, comme Saint-Gall, Vaud, Thurgovie, offraient un sûr asile aux fugitifs des autres états et neutralisaient ainsi les bonnes intentions du plus grand nombre de leurs confédérés. Les puissances de l’Allemagne s’en irritaient, on prenait des résolutions violentes, et tout annonçait une crise pareille à celle de 1834. Pour la prévenir, que fallait-il ? Obtenir de la confédération qu’elle adoptât des mesures efficaces et sérieuses, pour empêcher un intolérable abus du droit d’asile, contraire à sa neutralité garantie par l’Europe, et qui provoquait sans cesse les justes plaintes des états voisins. Il fallait une espèce de législation fédérale sur les réfugiés, pour que le mauvais vouloir d’un ou deux cantons ne pût compromettre l’indépendance et le repos de toute la Suisse. Voilà ce que les puissances allemandes étaient bien résolues à exiger, avec la hauteur qu’elles y avaient déjà mise en pareille occasion. La France n’avait pas été directement menacée ; une politique étroite et au jour le jour lui aurait conseillé de s’abstenir et de laisser naître les embarras. Mais, puisque la Suisse s’adressait à elle pour se débarrasser des réfugiés sans déshonneur et sans les livrer aux polices de l’Allemagne, le ministère pensa qu’il lui appartenait de faire ouvrir les yeux à la Confédération helvétique sur les dangers auxquels elle s’exposerait en ne prenant, comme en 1834, que des engagemens vagues et dénués de sanction. C’est là toute la note du 18 juillet. Elle était, au fond, toute de bienveillance pour la Suisse, et digne de son ancienne alliée. Il ne faut pas croire que ce fût un acte d’entraînement, de passion, de haine irréfléchie contre les réfugiés. C’était encore bien moins un acte d’hostilité envers la Suisse. Le gouvernement avait beaucoup à se plaindre des radicaux et de la presse ; mais il était au-dessus de ces tracasseries, et n’aurait pas sacrifié à de mesquines vengeances les grands intérêts de la politique française. M. le duc de Montebello remit donc au directoire fédéral, le 18 juillet, une note fort étendue, en réponse à sa communication du 22 juin. Le droit d’asile y était reconnu, dans les limites et aux conditions que la Suisse elle-même ne contestait pas en principe ; mais on y insistait avec force sur la nécessité de donner aux puissances intéressées des garanties que les derniers évènemens leur permettaient d’exiger.

On a fait grand bruit, en Suisse et en France, des menaces que contenait cette note. Cependant la France menaçait moins en son propre nom qu’elle ne révélait à la Suisse des mesures de contrainte irrévocablement arrêtées par les états d’Allemagne et d’Italie, pour obtenir satisfaction sur les réfugiés. La menace la plus clairement énoncée de la part de la France était celle de n’y mettre aucun obstacle, parce qu’elle leur en reconnaissait le droit. Les motifs, généralement méconnus jusqu’ici, qui avaient porté le gouvernement français à prendre l’initiative de ces pénibles déclarations y étaient longuement développés, et on n’y donnait ces conseils sévères, mais d’une bienveillance incontestable, qu’en accordant à la Suisse le service demandé par le directoire. La note du 18 juillet fut appuyée par tous les ministres étrangers accrédités auprès de la confédération helvétique. Le ministre d’Angleterre, M. Morier, tint le même langage que ses collègues, et on sait que M. Bowring en ayant fait le sujet d’une interpellation dans la chambre des communes, lord Palmerston ne l’a point désavoué.

Le reproche d’avoir provoqué la Suisse par des menaces, quand elle allait au-devant de tous les voeux, n’est pas fondé. La note du 18 juillet, regardée à tort comme une insulte gratuite, est antérieure à toute proposition de conclusum, à toute discussion de la diète sur les réfugiés. Cela est si vrai, que plusieurs journaux suisses ont fait un crime à la diète d’avoir traité la question immédiatement après l’envoi de cette note, et l’ont accusée d’encourager l’insolence de la diplomatie étrangère, en obéissant aussitôt à ses premières injonctions[4]. L’état de Zurich avait annoncé qu’il réclamerait une mesure générale sur les réfugiés, et sa proposition coïncida effectivement avec la communication de la note française, ou la suivit de près. Mais on ne la connaissait pas encore à Paris quand la note y fut rédigée ; et comme on prévoyait la résistance de certains cantons à toute mesure fédérale un peu sérieuse, il fallait bien faire comprendre à la Suisse quelles conséquences pourrait avoir un dissentiment qui annulerait les dispositions consenties par la majorité des états. C’est encore le même motif qui explique la lettre confidentielle adressée par M. Thiers au duc de Montebello, et dont il a transpiré quelques passages dans la presse par suite des indiscrétions qu’il faut toujours prévoir dans un état comme la Suisse. Le conclusum était alors en discussion, et la Suisse paraissait bien disposée à prendre des engagemens satisfaisans. Mais il s’agissait, pour leur donner une sanction réelle, de faire intervenir l’autorité fédérale dans leur exécution, qui n’était pas suffisamment garantie par le projet de la majorité de la commission. Ces moyens peuvent être jugés avec plus ou moins de faveur ; mais leur but semblerait devoir les absoudre, et ce but a été rempli. En 1834, la Suisse avait eu à supporter des paroles bien plus hautaines, des exigences prononcées avec bien moins de ménagement, et nous ne sachions pas que ni la diète, ni le directoire de Zurich en aient consigné leur mécontentement dans un acte solennel aussi regrettable à tous égards que la réponse faite ensuite le 29 août à la note du 18 juillet.

D’ailleurs, il faut s’entendre sur les mots de menaces et de concessions. Du fort au faible, d’égal à égal, tous les avertissemens, toutes les réclamations seraient-ils donc d’insultantes menaces quand on y joindrait un mot des dangers auxquels exposerait une conduite contraire ? Pour ne pas blesser quelques amours-propres, devrait-on s’abstenir de faire entendre une vérité utile à un gouvernement dont les formes ne permettent pas le secret des transactions diplomatiques ? Ici encore la sévérité du langage de la France ne s’adressait manifestement qu’à un petit nombre de cantons, à quelques influences désastreuses dont il fallait combattre le pouvoir ; car on peut toujours, dans un état fédératif, où la vie politique est éparpillée sur plusieurs points, sans se concentrer fortement sur un seul, discerner les résistances isolées qui paralysent la volonté de l’ensemble.

Vers le milieu du mois d’août, après de longues et pénibles discussions, la diète vota un conclusum sur les réfugiés, qui garantissait une intervention suffisante du directoire fédéral dans l’exécution des mesures prescrites. Ces mesures devaient atteindre la plupart des réfugiés, car ils avaient presque tous « abusé de l’asile que leur avaient accordé les cantons, compromis par des faits suffisamment constatés la sûreté et la tranquillité intérieures ; violé la neutralité de la Suisse et les rapports internationaux. » En conséquence, ils devaient être expulsés du territoire de la confédération. Ce conclusum n’imposait pas à la souveraineté cantonnale de plus grands sacrifices que ceux qui, en une foule d’autres matières, ont été reconnus indispensables à l’existence même de la Suisse, comme nation. C’était un conseil de représentans fédéraux, nommés ad hoc par tous les cantons, qui devait juger, conjointement avec le conseil d’état directorial, les conflits entre le vorort et les états. Enfin, si un canton refuse obstinément de renvoyer un réfugié condamné par le directoire et le conseil des représentans, à la diète appartient le droit de faire exécuter la décision de l’autorité fédérale.

Telles sont les dispositions du conclusum, qui est entré en vigueur le 23 août, et doit y rester jusqu’à exécution complète.

Le cinquième article portait que dans le délai d’un mois il serait fait par le directoire, aux cantons ou à la diète, un rapport détaillé sur l’exécution. Ce rapport n’a pas été fait dans le délai convenu. L’exécution était encore trop peu avancée le 23 septembre, et il aurait fallu avouer qu’elle rencontrait, de la part de certains cantons, une très vive résistance. Depuis, les circonstances ont changé. Le canton de Vaud, par exemple, qui paraissait alors très peu disposé à nommer son représentant fédéral, et qui en effet s’y refusa une première fois le 28 septembre, est revenu sur sa décision ; plusieurs conflits entre les cantons et le directoire ont été vidés à l’amiable, et un rapport satisfaisant a pu être fait à la diète extraordinaire dans la séance du 21 octobre. Il en résulte que vingt-un individus signalés comme très dangereux n’ont pas encore été trouvés ; que soixante-onze autres ont été renvoyés de la Suisse et conduits aux frontières de France ; qu’il en reste encore un certain nombre, plus ou moins compromis par l’enquête de police faite à Berne, mais dont le lieu de séjour est en partie inconnu. Il reste donc beaucoup à faire, comme le reconnaît le directoire, et c’est avec raison que la diète a nommé, pour assurer l’entière exécution du conclusum, une commission composée de cinq membres, dont les noms offrent assez de garanties ; car il n’est pas vrai de dire, ainsi que l’a prétendu M. Monnard[5], « que le conclusum ait atteint son but, et que déjà il ait brisé l’organisation des réfugiés et qu’il les ait réduits à l’impuissance. » Ce qui est vrai, c’est que le gouvernement de Berne a fait à peu près tout ce qui était en son pouvoir ; mais de tous les chefs de la propagande, un seul a quitté la Suisse ; c’est Harro-Harring. Les autres s’y tiennent encore cachés, et il ne serait pas difficile d’indiquer où ils résident pour la plupart.

Après avoir terminé par le conclusum la question des réfugiés, la diète s’est occupée d’un projet de réponse à la note du 18 juillet. L’honneur national, qui se croyait blessé par le langage de la France, voulut se donner la satisfaction de quelques paroles mal interprétées. Après une discussion, dans laquelle de vifs ressentimens se prononcèrent avec la plus indécente amertume, on adopta le projet de réponse rédigé par M. Monnard. La Suisse y déclarait qu’elle connaissait ses devoirs sans qu’on les lui rappelât, et savait les remplir sans qu’il fût besoin de l’en sommer ; elle récriminait contre certaines accusations contenues dans la note française, parlait de ses droits, et vengeait par quelques mots plus heureux que justes sa dignité méconnue. Au reste, elle présentait le conclusum du 23 août et un concordat sur la police des réfugiés, récemment voté sur la proposition de Zurich, comme la meilleure preuve de ses intentions et du prix qu’elle mettait à ne fournir aux états voisins aucun sujet de juste plainte.

Cette réponse, un peu hautaine, n’aurait pas été relevée par la France, sans l’étrange incident qui, après l’heureux dénouement de la question des réfugiés, a replongé la Suisse dans de nouveaux embarras, et amené de la part du gouvernement français une demande formelle de réparation, appuyée de l’interruption des rapports de chancellerie entre les deux gouvernemens.

M. de Montebello adressa, le 19 juillet, une note au directoire fédéral, pour demander l’expulsion d’un Italien, nommé Conseil, natif d’Ancône, qui devait s’être rendu en Suisse avec un faux passeport. Conseil se trouvait effectivement à Berne, depuis le 10 juillet, avec le faux passeport signalé. Il s’était présenté le 14 au bureau de police, y avait déclaré son vrai nom, avait dit qu’il était porteur d’un faux passeport, et qu’il s’était sauvé de France après l’attentat d’Alibaud, parce que, déjà impliqué par un concours de circonstances fortuites dans l’affaire Fieschi, il avait craint une nouvelle arrestation préventive, à l’occasion du dernier attentat contre la vie du roi. Le permis de séjour qu’il sollicitait lui fut refusé, selon le rapport fait à la diète, et on lui ordonna de quitter Berne. L’exécution de cet ordre aurait dû être surveillée ; ou elle ne le fut pas, ou elle le fut mal, car il est certain que Conseil est resté à Berne, au moins jusqu’au 22, avec son faux passeport. Comme la note du 19 juillet fut communiquée le même jour à tous les états, il est à présumer que le directoire l’aura aussi transmise immédiatement au département de la police de Berne. Le directeur de la police, M. Watt, avait reçu la déclaration de Conseil ; c’était bien l’individu signalé par la note du 19 juillet. Cependant il ne fut pas inquiété.

Du 23 juillet au 6 août, Conseil a disparu. Il prétend avoir fait un voyage en France. Le 6 août, il arrive de nouveau à Berne, y retrouve plusieurs réfugiés italiens dont quelques-uns l’avaient déjà vu, est soupçonné par eux, selon lui, d’être un espion, fouillé le lendemain, reconnu effectivement pour espion et forcé de s’avouer tel. Dans l’intervalle, le soir même de son arrivée, il aurait fait part à M. de Montebello (qui ne le connaissait pas, qui ne l’avait jamais vu, et qui aurait été prévenu de sa mission par une lettre du ministère de l’intérieur), des soupçons dont il était l’objet. L’ambassadeur lui aurait dit qu’il fallait s’éloigner, de revenir le lendemain, que le premier secrétaire de l’ambassade, M. de Belleval, lui donnerait un nouveau passeport et de l’argent. Le lendemain, après avoir tout avoué aux réfugiés italiens, Conseil se serait rendu à la chancellerie de l’ambassade et aurait reçu un passeport avec de l’argent, pour voyager en Suisse et y continuer sa mission d’espionnage parmi les réfugiés, dont M. de Belleval, premier secrétaire de la légation, lui aurait dicté une liste. Munis de ces pièces de conviction, les réfugiés italiens n’auraient pas perdu de vue Conseil un seul instant, et enfin, après lui avoir fait subir un nouvel interrogatoire, en présence de personnages sans autorité légale, dont un réfugié valaisan, chassé depuis du canton de Berne pour menées coupables[6], ils le firent arrêter à Nidau par le préfet de cette ville. De là, il fut transporté dans les prisons de Berne, et on ordonna une enquête dont la majorité du conseil exécutif de Berne décida ensuite que le résultat serait porté devant la diète, contrairement à l’opinion des meilleurs esprits.

Voilà le résumé d’un très long rapport de M. Keller, député de Zurich. Il concluait à trois accusations distinctes : la première contre Conseil, d’avoir fait usage de faux papiers ; la seconde contre M. de Belleval, premier secrétaire de la légation française, d’avoir expédié un faux passeport, avec date inexacte, usurpation de fausses qualités, etc. ; la troisième contre M. de Montebello, de l’y avoir autorisé, la majorité de la commission ayant admis comme un fait constant, que l’ambassadeur de France avait connu, au plus tard le 6 août, la véritable qualité de Conseil. Ainsi, l’ambassadeur de France était formellement mis en cause. On admettait contre lui, pour le déclarer faussaire à la face de toute l’Europe, les allégations de quelques aventuriers, des prétendus aveux arrachés avec toutes les apparences d’un complot, soutenus de quelques lambeaux de papier sans signatures, sans adresses ; on citait comme pièce de conviction un passeport donné sous un nom allemand (M. Hermann, de Strasbourg), à un homme qui ne parlait qu’italien, par un secrétaire de légation qui aurait dû chercher à concilier toutes les vraisemblances. Entre M. de Montebello qui niait et des réfugiés italiens qui affirmaient, on affectait de croire des hommes en surveillance, à cause de leur mauvaise réputation, et qui ensuite ont été précipitamment renvoyés de la Suisse. Enfin, on dressait publiquement une véritable instruction judiciaire contre un personnage que son caractère d’ambassadeur rend sacré, dans le droit public de l’Europe. Cependant il s’est trouvé une majorité de quinze cantons pour adopter les conclusions du rapport de M. Keller, qui consistaient à faire passer sous les yeux du gouvernement français tous les actes d’une procédure inouie, juridiquement nulle, et qui contient une foule de faits matériellement faux.

Dès le premier jour le gouvernement n’a pu voir dans cette affaire qu’un odieux complot contre son ambassadeur, tramé par des réfugiés, avec l’entière connivence de Conseil, pour amener entre la Suisse et la France une rupture qui les sauverait. C’était l’opinion de M. Thiers ; il était certain des actes de son ministère et de la loyauté du duc de Montebello. À une époque où déjà il ne se considérait plus comme président du conseil, et avant que M. Keller eût fait son rapport à la diète, il s’en était exprimé vis-à-vis de M. Tschann, ministre de la Confédération en France, avec la plus grande force. Il lui avait dit que tout cela n’était à ses yeux qu’une perfide machination, une vengeance des partis contre M. de Montebello, une explosion de haines impuissantes et insensées, et que, si la chose allait plus loin, la France, quel que fût son gouvernement, serait obligée de demander une réparation éclatante.

On sait que les conclusions du rapport de M. Keller furent adoptées par la diète ; mais il n’y eut pas d’exécution. Aussitôt que l’adhésion de Fribourg et de Saint-Gall eut rendu obligatoire pour le directoire fédéral la transmission des pièces au gouvernement français, qui ne les aurait pas reçues, le ministère renvoya en Suisse M. de Belleval, qui était venu à Paris rendre compte de toute l’affaire, avec une note, dont la remise fut faite le 27 septembre au vorort. C’était une demande de réparation, soutenue par les mesures que commandaient les circonstances et l’honneur outragé du pays. Cette note trahissait une main ferme et habile, qui n’avait pas voulu s’en remettre à d’autres du périlleux devoir de faire dignement parler la France. Elle a nécessité la convocation d’une diète extraordinaire, qui s’est réunie le 17 octobre[7].

Nous venons d’exposer loyalement et sans préventions les causes d’une crise déplorable, dont les véritables ennemis de la Suisse ont dû s’applaudir, mais qui touche à son dénouement, et qui déjà peut-être a reçu la solution également désirée par les deux peuples. La France, entraînée, malgré elle, dans une querelle inattendue, ne peut vouloir ni l’humiliation, ni la ruine de son ancienne alliée. Il ne s’agit pas d’une de ces réparations à la Louis XIV, qui ne sont plus dans nos mœurs, et qui d’ailleurs ne s’exigent que d’un ennemi. La France n’est pas et ne veut pas être l’ennemie de la Suisse ; et c’est parce qu’elles peuvent, parce qu’elles doivent facilement s’entendre sans intermédiaire, que la France n’a invoqué, en cette occasion, la médiation de personne. C’est presque une querelle de famille, dont les étrangers ne se mêleraient que pour en profiter. Car il faut bien que la Suisse le sache : elle ne peut avoir d’amie désintéressée que la France, et elle aura toujours besoin d’un appui, d’une protection, que la France, une fois ce nuage dissipé, lui accordera comme par le passé, sans le faire acheter au prix que les autres y mettraient. Il a été plusieurs fois question de la médiation de l’Angleterre. Nous ignorons si elle a été sérieusement proposée. Mais en voyant les efforts que fait actuellement l’Angleterre pour pénétrer sur le continent et les inquiétudes que lui donne l’association des douanes allemandes, la Suisse devra comprendre qu’elle aurait certainement à payer, un jour, le service qu’on pourrait maintenant lui rendre[8].

D’ailleurs, nous le répétons, cette médiation est inutile ; elle ne serait pas même sans inconvéniens. Si la Confédération helvétique est disposée à revenir sur une résolution passionnée, contraire à ses intérêts et à ses anciennes affections, il faut que ses rapports avec la France soient rétablis sur le même pied qu’en 1834, et qu’il n’y ait pas seulement un rapprochement officiel, mais une réconciliation, mais un mutuel et complet oubli du passé. Ce n’est pas plus difficile entre pays alliés qu’entre amis séparés un instant par de funestes influences ; et le meilleur moyen d’arriver à cet heureux résultat, c’est de ne devoir une solution amicale qu’aux dispositions réciproques de confiance et d’attachement avec lesquelles on aura cherché à l’obtenir.

  1. Ce Mémoire politique, écrit avec calme et impartialité, nous vient d’une personne qui a été à même de suivre dans toutes ses phases la question suisse. Nous n’hésitons pas à le publier, certains qu’il contribuera à mieux faire juger le véritable état des choses.(N. du D.)
  2. Plusieurs personnes ont admis comme un fait incontestable l’identité de la Jeune-Suisse avec l’Association nationale suisse, dont le président est M. Druey, conseiller-d’état du canton de Vaud. L’association nationale se trouverait ainsi en rapport avec les sociétés d’étrangers, formées dans un but spécial de propagande révolutionnaire. Mais M. Druey se défend de toute participation aux desseins des réfugiés, et a combattu, dans son journal, le Nouvelliste Vaudois, les passages du travail de M. Roschi qui concernent l’association nationale. C’est une question qui intéresse particulièrement la Suisse, et que nous laissons débattre entre M. Druey et MM. Schnell, de Berthoud, ses antagonistes déclarés. Nous l’aurions entièrement passée sous silence, si M. Druey n’était pas aujourd’hui un des hommes les plus importans du parti radical et du gouvernement de Lausanne.
  3. Il paraît que le comité central siégeant à Paris avait affecté sur les associations subalternes un empire tyrannique. Il est accusé, dans une des pièces saisies, de sacrifier à la suprématie d’un seul peuple les intérêts de tous les autres, et d’exploiter à son profit les sacrifices et les efforts communs.
  4. On lit, en effet, dans le Nouvelliste Vaudois, parmi des réflexions sur le conclusum :

    « … Les considérans d’abord. Nous en ajouterions un, si nous étions pour le conclusum. Nous dirions : Vu la note de M. le duc de Montebello, du 18 juillet 1836, appuyée par les ministres des autres puissances. Aurait-on proposé le conclusum sans la note ? On reçoit la note le 20 juillet. Au lieu d’y répondre sur-le-champ avec l’accent de l’indépendance et de la vraie dignité nationale, on propose des mesures pour le présent, des mesures pour l’avenir, et après quelques semaines on répondra : Nous avons pris spontanément, librement, des mesures ; par conséquent, vous devez être satisfaits. Puis on relèvera quelques expressions hautaines de M. le duc… Voilà ce qui résulte des pièces. La majorité de la commission a cru faire de la résistance ; mais s’étant placée sur un mauvais terrain, elle a cédé, peut-être sans s’en douter. »

    C’est le journal de M. Druey qui attaque ainsi M. Monnard, député du canton de Vaud à la diète, et rapporteur de la commission sur l’affaire des réfugiés.

  5. Discours de la députation de Vaud, dans la séance du 21 octobre.
  6. Tous les étrangers mêlés à cette affaire ont depuis été renvoyés du canton. Il est à remarquer que tout reposait sur leurs dépositions et sur les aveux d’un misérable qu’ils se faisaient gloire d’avoir violenté pendant cinq jours. Depuis, deux de ces réfugiés, l’abbé Bandelier et Boschi, avaient voulu découvrir un autre espion, et arrêté illégalement un commis voyageur français qui se trouvait à Berne avec sa maîtresse. Mais cette fois l’autorité se fâcha de ce qu’on eût tenté d’usurper ses attributions.

    On lit dans un journal suisse, du 20 septembre :

    « L’abbé Bandelier, chassé du Valais pour mauvaises mœurs, a été renvoyé du canton de Berne pour avoir exercé, avec Boschi (également expulsé), des violences contre un voyageur français, soupçonné faussement d’espionnage. »

  7. Sur quarante-huit députés, on en compte dix-huit qui ne faisaient point partie de la diète précédente. Plusieurs cantons ont entièrement renouvelé leur députation.
  8. Le docteur Bowring, qui est bien connu en France, et qui a déjà été chargé par son gouvernement de plusieurs missions commerciales, a fait l’année dernière un assez long séjour en Suisse. Son rapport sur le commerce de ce pays a été publié à Londres peu de temps avant la clôture de la session. Il est assez remarquable que ce soit le docteur Bowring qui, dans le parlement anglais, ait adressé des interpellations à lord Palmerston sur la note du 18 juillet.