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De l’Aimant et du Magnétisme terrestre/02

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DU
MAGNÉTISME TERRESTRE




II

Lorsque nous comparons notre science physique actuelle à celle des siècles passés, nous sommes fiers des acquisitions dues à notre âge, mais nous serions sans doute plus modestes si nous pensions à l’opinion qu’auront de nous nos descendans, à tout ce qu’ils sauront parmi les choses qui nous sont aujourd’hui inconnues, et surtout parmi les secrets de la nature dont nous ne soupçonnons même pas l’existence. Un morceau d’ambre jaune, de succin, d’électrum, est frotté, il attire les petits corps mobiles. Il en est de même d’une pierre cristallisée appelée lyncurium, qui, étant chauffée, attire et retient les cendres et les corps légers. C’est sans aucun doute la pierre que nous appelons tourmaline, et qui chez les bijoutiers portait le nom vulgaire de tire-cendre. Voilà à peu près toutes les expériences de cabinet des anciens sur l’électricité. Puis d’incroyables confusions. Ainsi certains auteurs indiquent qu’il faut chauffer et non frotter le succin pour le rendre attractif. Quelques-uns admettent deux sortes d’aimant, dont l’un attire le fer et l’autre l’or :

Et trahit hic ferrum magnes, ille attrahit aurum,

dit le célèbre jésuite Famianus Strada, qui a mis en vers latins et en action cette vieille erreur grecque. Alors avec un aimant et des anneaux d’or on eût pu faire la chaîne pendante, comme avec les anneaux en fer des chevaliers romains qu’Annibal mesurait par boisseaux après la bataille de Cannes. Excepté pour l’astronomie, les anciens n’ont pas brillé dans les sciences d’observation. La météorologie les a forcés de voir quelques-uns des effets de l’électricité dans la nature. Les phénomènes de la foudre entre autres n’ont pu leur rester inconnus, et les aruspices étrusques savaient, dit-on, soutirer et détourner ce terrible météore. C’est en se livrant à une opération de ce genre que Tullus Hostilius, l’un des premiers rois de Rome, fut foudroyé pour avoir mal suivi les règles établies. Plusieurs de nos électriciens modernes, Musschenbroëk, Romas et Charles, ont frappé des animaux d’étincelles foudroyantes dérobées aux nuages orageux. La même expérience fut faite sans doute en Étrurie, et on tua par ce procédé un monstre qui faisait de grands ravages dans la contrée, et qui, chose singulière, portait le nom de Volta. Les aigrettes électriques qui se montrent en temps d’orage sur les pointes aiguës et proéminentes des corps avaient été observées, et les marins connaissaient sous le nom de Castor et Pollux ou sous celui d’Hélène ce qu’on appelle aujourd’hui le feu Saint-Elme. César rapporte que les javelots de la cinquième légion avaient spontanément paru en feu. Tout cela était de l’électricité dans la nature ; mais en supposant qu’on eût saisi l’analogie de ce phénomène avec les pétillemens que produisent parfois les corps frottés, on aurait compliqué la question au lieu de la simplifier, puisqu’on aurait eu plusieurs effets divers à expliquer à la fois. Ce n’est pas ainsi que la nature livre ses secrets ; elle en est bien plus avare. La science est comme la richesse : elle se glane, elle ne se moissonne pas.

Au milieu du XVIIe siècle, Otto de Guéricke, l’auteur de la machine pneumatique, fit aussi une machine électrique avec un globe de soufre gros comme la tête d’un enfant, qui tournait rapidement et qui était frotté par un petit coussin ou par la main bien sèche. Il obtint des quantités assez considérables d’électricité ; mais ce ne fut que quand Gray et Wheler eurent trouvé le moyen de conserver l’électricité sur les corps, en les posant sur des supports qui ne la laissaient pas s’écouler, qu’on fut vraiment en possession de cet agent physique si singulier.

Le verre, la soie, la résine, la gomme laque, le soufre aussi bien que l’air sec, ont la propriété d’arrêter l’électricité et de s’opposer à sa déperdition. Que de temps avant d’arriver à ce beau résultat ! que d’expériences pour confirmer cette propriété ! La machine d’Otto de Guéricke fut construite sur un plus, grand modèle, et on y employa des globes de verre d’une grande dimension au lieu de globes de soufre. Le corps humain tout entier put être chargé d’électricité, et l’abbé Nollet se vante d’être le premier qui ait tiré une étincelle d’un individu isolé sur des supports de verre ou porté par des cordons de soie. En plaçant une forte planche carrée sur quatre bouteilles neuves et bien sèches, nos aïeux, qui ne connaissaient pas nos fastueux tabourets électriques à pieds de cristal, isolaient à peu de frais les gens destinés à être électrisés ; mais si ceux que supportait cette planche mal assujettie sur quatre fortes bouteilles se permettaient quelques mouvemens un peu trop vifs, l’échafaudage se renversait et se brisait. Celui qui était dessus s’en tirait comme il pouvait. D’autres fois, une planche suspendue par de forts cordons de soie recevait celui qui était destiné à être électrisé couché à plat-ventre, dans la posture la plus fatigante et la plus disgracieuse. Quand une personne ainsi électrisée touche du bout du doigt un petit vase plein d’esprit-de-vin, elle y met le feu par l’étincelle électrique, et on ne manquait jamais de faire l’expérience. Je fais grâce au lecteur des vers fades de l’abbé Delille sur l’expérience où une jeune personne électrisée distribue des étincelles. Le moins prétentieux est celui-ci :

La belle voit sans peur ces flammes sans courroux.


L’abbé Nollet, incarnation de la médiocrité, triomphait en France chez les bourgeois et à la cour, lorsqu’arriva de Leyde la fameuse expérience de la commotion nerveuse que donne l’appareil appelé bouteille de Leyde. Il ne s’agissait plus ici de simples étincelles piquantes, c’était une commotion presque foudroyante qui tuait les animaux, et sous plusieurs points de vue imitait la foudre céleste. Nollet à la cour de France et à celle de Turin fut réduit au rôle de démonstrateur de ce qu’il n’avait pas trouvé. Plus tard, quand Franklin eut soutiré la foudre des nuages par le moyen d’un cerf-volant à ficelle métallique, et que par ses paratonnerres il eut préservé les édifices publics et particuliers, l’abbé Nollet fit connaître encore une découverte étrangère. Toujours satisfait de lui-même, il démontra ce théorème, que j’ai souvent vérifié moi-même : à savoir qu’il serait plus facile de donner de l’esprit à un sot que de lui persuader qu’il en est dépourvu.

En attendant, la science marchait. Plus tard, Coulomb mesurait les forces électriques, et s’assurait qu’elles suivent la même loi que l’attraction, c’est-à-dire qu’elles agissent en raison inverse du carré des distances. Ainsi à une distance double la force de l’attraction électrique est deux fois deux fois ou quatre fois moindre ; à une distance triple, elle est trois fois trois fois ou neuf fois moindre, et ainsi de suite. Enfin Volta parut.

Si après avoir coupé une grenouille en deux on dépouille le train de derrière de sa peau comme pour faire du bouillon de grenouille pour un poitrinaire, on trouve que les membres postérieurs du batracien sont éminemment sensibles à l’action de l’électricité, et quand on tire une étincelle d’une machine électrique placée dans le voisinage, les cuisses et les vertèbres inférieures de l’animal manifestent de violentes contractions. Galvani imagina que cet effet était produit par une espèce particulière d’électricité animale, et cette heureuse ignorance le conduisit à une découverte qui dans les mains habiles de Volta changea la face de la science, à peu près comme Christophe Colomb ne sut jamais qu’il avait découvert un nouveau monde, et qu’il n’était pas en Asie quand il était sur un continent nouveau, avec une erreur d’un peu plus de la moitié de la terre. Volta de Pavie, interprétant une expérience de Galvani, dont celui-ci n’avait pas saisi le sens, établit que deux métaux en contact s’électrisent, quoiqu’à la vérité bien faiblement, d’où il conclut que si l’on empilait l’un sur l’autre un grand nombre de couples métalliques, séparés par des pièces non métalliques, on augmenterait l’effet à volonté. Cette pile de doubles disques de métal (zinc et cuivre) dépassa l’attente de Volta. Comme cet appareil se rechargeait de lui-même, il présenta une efficacité prodigieuse. Il produisit de violentes commotions organiques sur les hommes et sur les animaux vivans ou récemment tués. Il décomposa chimiquement les corps ; il donna une chaleur supérieure à celle des fourneaux les plus actifs, et une lumière rivale de celle du soleil ; il mit en mouvement des ateliers mécaniques ; il produisit des dépôts solides par les procédés galvanoplastiques. Enfin, dans toutes les actions de la nature, soit mécaniques, soit physiques, soit chimiques, ou enfin physiologiques ou vitales, l’électricité de cette pile, qui n’existait pas avant 1794, régna sans qu’aucune force pût lui être comparée, et plus tard elle se chargea même de transmettre les dépêches télégraphiques. Ceux qui aiment à voir les grands hommes en déshabillé apprendront avec intérêt que Volta était le fléau de la conversation par ses interminables calembours. « Je m’en vais, disait le célèbre anatomiste Scarpa, de la même ville que Volta. Je ne résiste plus à cet insipide faiseur de jeux de mots ; a questo freddaio non più resisto. — Ah ! Scarpa, dit Volta en s’élançant sur ses pas, dites : Papa sisto, et non pas rè sisto (dites « le pape Sixte, » et non « le roi Sixte ! »). Et moi je dis qu’il est permis d’être un freddaio, un mauvais plaisant, quand on a doté la science et l’humanité de la pile de Volta, et qu’on a mérité une statue élevée au, centre de l’Europe par la civilisation reconnaissante.

Mais je n’ai pas encore fait connaître la propriété la plus merveilleuse de la pile de Volta : c’est que les fils où passe le courant électrique sont aimantés. J’en ai dit un mot seulement dans la première partie de cette étude. OErsted le Danois, en 1820, trouva qu’un fil qui transmettait l’électricité de la pile agissait sur l’aiguille aimantée et la dirigeait en travers de sa direction. Ampère s’empara de ce fait, qui avait épuisé le génie peu étendu d’OErsted, et il en conclut que si la terre dirige les aimans du nord au sud, c’est qu’elle est parcourue par des courans électriques qui vont de l’est à l’ouest. Tout porte à croire en effet qu’en vertu de son mouvement diurne de l’ouest vers l’est, la terre peut être considérée comme ayant dans son intérieur des courans allant de l’est à l’ouest, non pas tout à fait exactement, mais à peu près, à cause de ses inégalités de conformation, en faisant l’office d’une vaste pile dont le courant aurait la direction indiquée plus haut. Cette hypothèse admise, les aiguilles aimantées devaient se mettre nord et sud, en vertu d’un courant est et ouest. Il y a plus, ces aiguilles suspendues librement devaient plonger par la pointe la plus voisine du pôle, ce que l’expérience avait appris depuis longtemps. Au reste, l’expérience a été faite en Angleterre. On a recouvert de fils métalliques allant de l’est à l’ouest un grand globe représentant la terre, et quand le courant de la pile parcourait ces fils, on voyait ce globe, artificiellement électrique, produire les mêmes effets que la terre, diriger l’aiguille aimantée du nord au sud, l’incliner vers le pôle voisin, et enfin la ramener par des oscillations plus ou moins rapides à sa position de repos définitif, suivant les mêmes lois auxquelles obéit la terre, ramenant par oscillations la boussole ordinaire à sa position d’équilibre définitif. Depuis l’ouvrage de Gilbert, publié en 1600, on savait que le globe terrestre se conduisait comme un vaste aimant. Ampère, en 1820, nous dit : « C’est à des courans voltaïques que le globe doit cette propriété d’être un grand aimant ; l’aimantation, le magnétisme, ne sont que de l’électricité. Avec de l’électricité seule, on peut reproduire tous les phénomènes des aimans sans fer ni acier, ni mine de fer, de l’île d’Elbe ou des Pyrénées, ou de l’Asie-Mineure. » Je me bornerai aujourd’hui à ces notions, dont l’importance appelle des développemens qui nous serviront, en définitive, à étudier le globe terrestre sous le point de vue de son aimantation avec toutes les mille modifications que les localités, l’épaisseur des continens, la position du soleil, l’influence des saisons, des ans et des siècles, introduisent dans ce vaste système électrique, et par suite magnétique, d’après les lois établies par Ampère et par ceux qui l’ont suivi dans le second quart de notre siècle. Nous allons donc essayer de comprendre comment la terre est une vaste machine électrique, comment l’électricité circule dans sa masse et à sa surface, ce qui entretient cette pile en perpétuelle activité, enfin ce qui produit les changemens journaliers, mensuels, annuels et séculaires que l’observation y fait reconnaître, et de plus nous dirons un mot de l’électricité qui nous donne les aurores boréales, météores dont la cause est encore fort obscure.

Toutes les fois que deux substances de nature différente sont en contact, elles s’électrisent mutuellement, c’est-à-dire que l’une prend un léger excès d’une sorte d’électricité, et que l’autre prend en même excès l’électricité contraire. Le seul contact suffit pour opérer cette électrisation ; mais si de plus les deux corps en contact frottent l’un contre l’autre, alors l’électrisation est bien plus énergique qu’avec le simple contact.

Or c’est ce qui se produit probablement dans la terre, d’après la constitution géologique de ce globe, formé d’une enveloppe solide d’environ 60 kilomètres d’épaisseur, qui constitue les continens et le fond des mers, et d’un vaste noyau de matière fondue et encore fluide de chaleur, sur lequel flotte l’enveloppe solide ou la croûte solidifiée, qui, en se brisant de temps en temps et dans certaines localités, laisse arriver à ciel ouvert les matières fondues de l’intérieur sous forme de laves volcaniques. On peut se figurer la surface d’un étang couverte d’une couche solide de glace produite par le froid, et qui, étant brisée en quelques endroits, laisse arriver à l’affleurement l’eau qui est en dessous, laquelle, se congelant à son tour, ressoude pour ainsi dire la surface brisée et reproduit la continuité de la croûte solidifiée. Voilà à peu près l’image de ce qui se passe après un tremblement de terre, qui produit un craquement, une fente, une fêlure dans l’enveloppe solide qui porte nos continens. La portion liquide, la lave intérieure de la terre se solidifie dans la fente par où elle s’est élevée jusqu’aux bords de la cassure du continent, et rétablit la continuité de la croûte solide, qui avait subi momentanément une fêlure locale. Ces phénomènes, en troublant la réaction électrique de la surface et de la masse centrale, doivent influer sur l’état électrique, et par suite troubler l’aiguille aimantée dans sa direction. C’est en effet ce que l’on observe constamment, et même, comme il est resté quelque chose de dérangé dans la position relative de la croûte continentale et du fluide incandescent qui la porte, on observe dans les localités voisines une altération permanente dans la direction de l’aiguille ; mais n’anticipons pas sur ce qui se rapporte proprement à l’aimantation du globe et à ses perturbations accidentelles, soit passagères, soit permanentes.

On doit considérer qu’à mesure que le noyau central de la terre diminue de volume par suite d’un refroidissement séculaire excessivement lent, les masses continentales qui reposent sur ce noyau se rapprochent du centre de la terre. Or la mécanique nous apprend qu’en vertu de la conservation du mouvement, les continens, en se resserrant vers l’intérieur du globe, doivent tourner un peu plus vite que la masse centrale, jusqu’à ce que le mouvement se soit égalisé et réparti dans tout l’ensemble ; mais la communication de mouvement entre une enveloppe solide et une masse centrale fluide doit être fort lente, et probablement cette égale répartition de mouvement qui ferait que le globe tournerait tout d’une pièce comme un corps solide ne s’est point encore opérée depuis la grande catastrophe dernière qui a établi les continens de l’ancien et du nouveau inonde, et les bassins de l’Océan-Atlantique, de l’Océan-Pacifique, ainsi que ceux de la Mer des Indes et des deux mers polaires. Cela est indiqué de bien des manières, et notamment par l’espèce de pivotement que les géologues admettent le long des côtes de la mer, à la hauteur du nord de la France, toutes les côtes paraissant baisser d’un côté et se relever de l’autre. En un mot, la forme de la terre, brusquement changée au moment de cette grande catastrophe, semble arriver lentement à un état définitif, qui durera ensuite des millions de siècles à cause de la lente déperdition de chaleur centrale qui assure au noyau fluide une grande constance dans son volume et dans ses dimensions. Quoi qu’il en soit de cet état futur de notre terre en partie solide et en partie fluide, tout tend à faire tourner l’enveloppe solide plus rapidement que le noyau central, et par suite à produire de l’un sur l’autre un frottement qui se traduit en production intense d’électricité. La surface solide et froide prenant l’électricité dite positive, qui est l’état électrique que prend le verre frotté sur une étoffe, et la masse centrale prenant l’état électrique analogue à celui que prend la cire à cacheter ou le succin frotté sur une étoffe, et que l’on appelle électricité négative, que vont devenir ces électricités produites, et comment feront-elles par leur transport un courant électrique ?

L’expérience nous apprend qu’un transport d’électricité positive dans un sens fait précisément le même effet qu’un transport d’électricité négative en sens contraire. Ainsi une machine électrique formée d’un globe de verre, et dont l’électricité s’écoule vers la droite, donne exactement le même effet qu’une machine formée d’un globe de soufre dont l’électricité irait de la droite vers la gauche. Cela est si vrai, que si l’on produit à la fois les deux écoulemens électriques, les deux courans de nature différente se neutralisent complètement. L’expérience a été faite par Franklin en Amérique, On peut donc se borner à indiquer.le sens de transport de l’une des électricités, et l’on s’est décidé à indiquer, on ne sait pourquoi, le sens de transport de l’électricité que prend le verre, et qui s’appelle l’électricité positive. Remarquons que rien ne légitime le choix du nom d’électricité positive pour celle du verre plutôt que pour l’électricité que prend la cire à cacheter ou le succin. D’après certaines idées théoriques, Ampère, que, dans cette partie de la science, on ne peut trop louer et trop admirer, était d’avis que les honneurs auraient dû être faits à l’électricité du succin et non à celle du verre. Tous nos lecteurs, du reste, sentiront que les noms importent peu, pourvu qu’on ne fasse pas de confusion, et définitivement nous dirons qu’un courant électrique marche à l’est quand il résulte d’électricité positive transportée vers l’est, ou d’électricité négative allant vers l’ouest, tandis qu’un courant vers l’ouest résultera soit d’électricité positive marchant vers l’ouest, soit d’électricité négative marchant en sens contraire vers l’est.

Avant d’aller plus loin, je ferai remarquer que l’atmosphère terrestre, qui repose sur les continens par sa partie inférieure, doit leur emprunter par contact de l’électricité positive, et quand elle n’est pas troublée, elle doit, dans son état normal, indiquer un état constant d’électricité positive. C’est ce qu’on observe en effet. Si, quand l’air est pur et qu’on est en plaine, on lance un petit gallon retenu par une ficelle conductrice, on en tire tout de suite des étincelles. Il suffit même d’un corps métallique soulevé au bout d’une longue perche pour en obtenir. Si l’on veut se contenter d’un électromètre à pailles, il suffira de l’élever d’un mètre, ou d’un demi-mètre même, pour voir les pailles s’écarter en vertu d’une électricité fort sensible. Saussure, dans les Alpes, vissait son électromètre au bout de son bâton de voyage, et, soit qu’il montât, soit qu’il descendît, les pailles divergeaient par l’électricité qu’elles prenaient à l’instant. J’ai bien des fois sondé l’état électrique de l’atmosphère avec une ligne à pêcher qui portait un simple fil de métal, fixé d’un bout au haut de la ligne par un bâton de cire à cacheter, tandis que l’autre bout était noué au bouton métallique de l’électromètre à pailles ou à feuilles d’or.

Savary, qui, ainsi que moi, avait beaucoup étudié la théorie d’Ampère, et dont une mort prématurée a rejeté le profond mérite dans l’ombre en ne lui permettant pas de publier les résultats de ses recherches, quoiqu’elles fussent déjà complètes, Savary, dis-je, après une conversation que nous avions eue ensemble, avait imaginé d’enfermer du mercure, ou un autre corps fluide et conducteur, dans l’intérieur d’une sphère de verre, et de voir s’il n’obtiendrait pas ainsi par rotation des courans analogues à ceux de la terre. Il m’avait même demandé le secret sur son expérience projetée. Il me semble que c’est lui rendre justice que de lui restituer cette idée, si elle est bonne, et dans le cas contraire j’en prends volontiers le blâme à mon compte. En y réfléchissant depuis, j’ai pensé qu’une enveloppe métallique, avec un liquide conducteur de l’électricité à l’intérieur, serait plus convenable que la sphère ou enveloppe de verre qui ne conduit pas l’électricité, et sans doute Savary eût fait lui-même cette modification à son projet d’expérimentation. Ces petits perfectionnemens à des projets d’expériences sur lesquels on est consulté deviennent une véritable iniquité quand l’homme consulté veut s’en réserver la propriété, et en bonne justice on ne doit jamais admettre de pareilles prétentions, et encore moins les réclamations qui pourraient en être la suite. Je ne me souviens pas de la vitesse que Savary avait l’intention de donner à son appareil.

Si nous admettons que le globe soit un grand appareil de ce genre, nous pouvons déterminer dans quel sens marchent les courans du globe. Les continens, nous l’avons dit, doivent tourner un peu plus vite que le noyau central, tout en prenant de l’électricité positive. Or la terre tourne vers l’est, puisque c’est de ce côté que nous voyons l’horizon, en s’abaissant, faire naître la vue des objets célestes placés dans cette région du ciel ; ces courans suivront donc cette direction par le transport vers l’est de l’électricité positive. C’est aussi ce qu’indique très bien l’aiguille aimantée, qui est dirigée précisément comme elle le serait par un courant ordinaire de la pile de Volta dirigé de l’ouest à l’est.

Comme nous attribuons le magnétisme de la terre à son état électrique et à ses courans voltaïques, on ne trouvera pas mauvais que j’insiste sur cet objet, auquel cette étude est principalement consacrée. Je dirai donc que, si, par la réaction d’une enveloppe froide sur un noyau bien plus chaud et par un frottement résultant d’une différence de vitesse rotatoire, les continens prennent à la masse centrale de l’électricité positive, cet effet doit être plus prononcé dans les régions équatoriales. Dans les régions polaires, qui comparativement sont en repos, les deux électricités, savoir celle de l’air et celle de la terre intérieure, doivent s’accumuler et se rejoindre en produisant les jets de lumière qui constituent les auréoles boréales et australes. Admettons sous toutes réserves cette vue théorique. Il devra en résulter des courans électriques, et ceux-ci devront agir sur l’aiguille aimantée et lui faire subir des agitations qui trahiront l’existence de l’aurore polaire, même pour un observateur situé sous les voûtes massives de l’Observatoire de Paris, bâti par Perrault bien plus en architecte qu’en astronome praticien. Ce qui est bien plus étrange, c’est que l’influence d’une aurore boréale de Scandinavie se fasse sentir à Paris fort au-delà de l’horizon où le météore électrique peut être aperçu. M. Arago avait installé à l’Observatoire de Paris une grande boussole de Gambey, et il avait donné pendant plusieurs années une attention soutenue à toutes les perturbations de ce délicat instrument. C’est à lui qu’on doit la date de 1816 pour l’époque où l’aiguille aimantée avait atteint sa plus grande déviation vers l’ouest, depuis l’année 1666, où elle pointait juste au nord. Il avait de même noté les époques des perturbations de l’aiguille aimantée, et à l’occasion il les confrontait avec l’époque des aurores boréales observées dans le Nord. Toujours il y avait coïncidence, et l’aurore boréale avait toujours produit un effet marqué sur la tranquillité de l’aiguille, qui avait été agitée alors de mouvemens extraordinaires. Nous reviendrons là-dessus ainsi que sur les orages magnétiques du globe, si bien étudiés par M. de Humboldt.

Voici à ce propos un fait dont j’ai été témoin un soir à l’Observatoire. Un savant allemand, M. F…, qui s’occupait aussi de l’exploitation des mines pour le compte de compagnies industrielles établies en diverses parties du globe, dit à M. Arago qu’il pouvait lui fournir la date d’une très brillante aurore boréale par lui observée sous le cercle polaire. « Attendez, dit M. Arago, je vais chercher mes registres, et si vous voulez bien écrire, en m’attendant, la date de votre observation, nous jugerons sans incertitude de la coïncidence des perturbations de l’aiguille de Paris avec l’aurore boréale de la Norvège. » Après le départ de M. Arago, M. F… écrivit, je crois, la date de la nuit du 1er au 2 janvier 1825 pour les pays où il y a une nuit, car alors le soleil ne se levait pas du tout pour les latitudes où était M. F… Je lui demandai naturellement s’il était bien sûr de cette date. — Oh ! parfaitement, car à ce jour et à cette heure ma femme accouchait sur la neige, juste sous le cercle polaire. — Et pourquoi sur la neige ? — Oh ! c’est qu’elle étouffait dans son traîneau. Il faisait très clair à la lueur de l’aurore boréale, et nous voyagions vers les mines de cuivre d’Alten. Ainsi la date de la naissance de mon fils aîné me donne celle de cette brillante aurore boréale. — Il me semble que c’était bien dur pour une femme dans un pareil état de voyager et d’accoucher sur la neige. — Oh ! il fallait que ce fût ainsi. — Comment ? — Oh ! le voici. Comme je terminais mes études à l’université, j’avais, ainsi que plusieurs étudians, une promise. — Qu’est-ce qu’une promise ? — Oh ! c’est comme on dirait en français une fiancée, une personne que je devais épouser. — Eh bien ! — Oh ! nous devions nous marier au bout d’un an, vers Pâques. Et où étais-je alors ? — Je l’ignore. — Oh ! j’étais en Transylvanie, occupé aux mines de… Notre mariage fut donc renvoyé à Pâques de l’année suivante. — Puis il me déduisit avec une forme de discours constamment la même qu’il avait successivement différé son mariage parce qu’il avait visité les mines de l’Espagne, de la Sibérie et du Mexique. Enfin il avait épousé sa promise au passage, entre deux missions minéralogiques, et il trouvait tout naturel que son fils eût vu le jour sous le cercle polaire. Il me dit du reste que sa femme n’avait point souffert de cette rude épreuve. Là-dessus M. Arago arriva avec son registre d’observations, et nous y trouvâmes qu’à la date écrite par M. F… l’aiguille aimantée de l’Observatoire de Paris avait été agitée de mouvemens extraordinaires de plusieurs minutes d’amplitude. L’électricité, ce fluide vital de notre globe, avait, par sa rupture d’équilibre, causé pour ainsi dire des vapeurs et des mouvemens nerveux au léger barreau aimanté dirigé par son influence. Cet agent mystérieux ne nous a pas sans doute encore dit tout ce qu’il peut nous apprendre sur la constitution intime du globe et sur ses changemens internes. En cela comme en bien d’autres parties du domaine des sciences, la postérité saura.

La grande théorie de Laplace sur la fluidité ignée de l’intérieur de notre globe permet de penser qu’en vertu d’un mouvement de rotation plus rapide dans les continens que dans la masse centrale, ceux-ci, au bout d’un certain temps, font le tour entier du noyau central et correspondent successivement à des points différens de ce noyau. Il doit en résulter des déplacemens, des remous du fluide intérieur, à cause de l’inégalité de forme et d’épaisseur des couches continentales. Certains bruits souterrains que l’on entend au moment des éruptions volcaniques paraissent dus à des masses rocheuses que le déplacement de la lave sous-continentale roulerait avec fracas au-dessous de la partie solide de l’écorce du globe, comme si, sous la glace inégale d’un étang gelé, les mouvemens de l’eau déplaçaient des glaçons qui heurteraient par en bas les inégalités de la croûte congelée. Au reste, je n’indique cette idée que comme une pierre d’attente pour une théorie détaillée qui reste à construire, et qui ne pourra être construite qu’après qu’on aura recueilli tous les faits que l’observation peut fournir à la théorie.

On a objecté à la fluidité intérieure de notre globe cette idée, que si la terre était encore presque tout entière en fusion, les marées produites par la lune et par le soleil sur ce liquide immense devraient continuellement en changer la forme et disloquer perpétuellement cette croûte peu épaisse qui forme nos continens, et qui n’a pas soixante kilomètres d’épaisseur, d’après la loi de progression de la température, qui nous indique qu’à cette profondeur, et à la température qui y règne, toutes les roches non cristallisées qui se sont formées hors de l’influence des agens météorologiques seraient dans un état complet de fusion. Je m’étonne que Laplace n’ait pas prévu cette objection, qu’Ampère et plusieurs savans faisaient et font encore journellement à la belle théorie de ce grand homme. Je vais montrer péremptoirement qu’elle ne tient pas contre un examen approfondi. Calculez de combien la lune soulèverait la surface de notre globe, si elle restait constamment au-dessus d’un même point ; vous trouvez que son action est au-dessous d’un neuf-millionième de la pesanteur qui retient les matériaux de notre globe. Elle ne soulèverait donc pas la portion de la surface qui serait au-dessous d’elle d’un neuf-millionième de la distance du centre de la terre à sa surface, et comme cette distance n’est que d’un peu plus de six millions de mètres, le soulèvement ne serait que de deux tiers de mètre tout au plus.

Notez que j’ai supposé la lune immobile et produisant tout l’effet qu’elle peut produire avec le temps, tandis qu’en réalité elle passe successivement au-dessus des divers points de la terre, et qu’elle répartit successivement sur tous sa force soulevante, déjà très faible. Dans toutes les mers largement ouvertes, les marées des océans sont peu de chose, et l’on peut considérer le fluide intérieur de la terre comme une mer sans rivages aussi bien que notre atmosphère, dont les marées sont de même presque imperceptibles au baromètre. Admettons jusqu’à un mètre pour la force avec laquelle les deux astres qui tourmentent continuellement nos grands océans agiraient sur la terre ; pense-t-on que l’enveloppe continentale se déformât pour un poids de terrain dont l’épaisseur serait d’un mètre, et cette surcharge en plus ou en moins pourrait-elle faire craquer une couche compacte de 60 kilomètres d’épaisseur ? Quelques météorologistes ont cru remarquer que les tremblemens de terre s’étaient manifestés en plus grand nombre à l’époque des syzygies, où les actions de la lune et du soleil conspirent ; mais ces actions sont si faibles, que deux actions pareilles ne produiraient pas plus d’effet qu’une seule. Si on attelait un chat à une voiture pour la traîner, croit-on qu’on la mobiliserait davantage en y attelant deux chats ou même une douzaine de ces faibles animaux ?

En résumé, la terre est une grande machine électrique, un grand appareil de Volta. Elle engendre en elle-même les courans qu’elle fait circuler de l’est à l’ouest. Ces courans en font un grand aimant semblable à ceux qu’Ampère a construits avec des fils convenablement pliés et parcourus par le courant voltaïque. Ces courans terrestres ne sont nullement hypothétiques. On peut les dériver dans des fils conducteurs soudés à des plaques métalliques enfoncées sous le sol, et même on les a fait travailler, par exemple pour entretenir indéfiniment le mouvement d’une horloge sans avoir besoin de la remonter. Plusieurs personnes ont pensé que ces courans, qui agissent si énergiquement sur l’économie organique, étant modifiés par l’action du soleil et par les influences météorologiques, pouvaient agir en bien ou en mal sur la végétation et sur la santé publique. Que répondre à toutes ces questions, d’ailleurs fort importantes ? Comme le faisait souvent Lagrange, le géomètre sans pair : « Je ne sais pas. » On peut encore dire comme Charles, l’excellent physicien et expérimentateur : « Adressez-vous à Dieu ; il n’y a que lui actuellement qui sache cela. »


BABINET, de l’Institut.