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De l’Homme/Section 8/Chapitre 11

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SECTION VIII
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 11 (p. 14-17).
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CHAPITRE XI.

De la variété des romans, et de l’amour dans l’homme oisif ou occupé.

Dans tous les siecles, les femmes ne se laissent pas prendre aux mêmes appas ; et de là tant de tableaux différents de l’amour. Le sujet est cependant toujours le même : c’est l’union d’un homme à une femme. Le roman est fini lorsque le romancier les a couchés dans le même lit.

Si ces sortes d’ouvrages different entre eux, ce n’est que dans la variété des moyens employés par le héros pour faire agréer à sa maîtresse cette phrase un peu sauvage : Moi vouloir coucher avec toi[1].

Le ton des romans change selon le siecle, le gouvernement où le romancier écrit, et le degré d’oisiveté de son héros. Chez une nation occupée, on met peu d’importance à l’amour. Il est inconstant, aussi peu durable que la rose. Tant que l’amant en est aux petits soins, aux premieres faveurs, c’est la rose en bouton. Aux premiers plaisirs, le bouton s’ouvre, et découvre la rose naissante ; de nouveau plaisirs l’épanouissent entièrement. A-t-elle atteint toute sa beauté ? la rose se flétrit, ses feuilles se détachent, elle meurt pour refleurir l’année suivante ; et l’amour pour renaître avec une maîtresse nouvelle.

Chez un peuple oisif, l’amour devient une affaire ; il est plus constant. Que ne peuvent sur les mœurs l’ennui et l’oisiveté ! Parmi les gens du monde, dit la Rochefoucauld, s’il n’est point de mariages délicieux, c’est qu’en France la femme riche ne sait à quoi passer son temps. L’ennui la poursuit. Elle veut s’y soustraire ; elle prend un amant, fait des dettes. Le mari se fâche ; il n’est point écouté. Les deux époux s’aigrissent et se détestent, parcequ’ils sont oisifs, ennuyés, et malheureux (3). Il en est autrement de la femme du laboureur. Dans cet état, les époux s’aiment, parcequ’ils sont occupés, qu’ils se sont mutuellement utiles ; parceque la femme veille sur la basse-cour, allaite ses enfants, tandis que le mari laboure.

L’oisiveté, souvent mere des vices, l’est toujours de l’ennui ; et c’est jusques dans la religion qu’on cherche un remede à cet ennui.


(3) Le mariage, dans certaines condition, ne présente souvent que le tableau de deux infortunés unis ensemble pour faire réciproquement leur malheur. Le mariage a deux objets ; l’un la conservation de l’espece, l’autre le bonheur et le plaisir des deux sexes. La recherche des plaisirs est permise. Pourquoi s’en priveroit-on lorsque ces plaisirs ne nuisent point à la société ?


  1. Les héros d’une comédie ou d’une tragédie sont-ils amoureux ? ont-ils une maîtresse ? tous deux lui font la même demande, et ne different que dans la maniere de l’exprimer.