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De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 1/19

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 39-43).


CHAPITRE XIX.
Des exercices propres à un fervent Religieux.

UN vray Religieux doit exceller en toute vertu, & être tel dans le fond qu’il paroît à l’exterieur.

Il doit même avoir plus de vertu au dedans qu’il n’en fait voir au dehors ; parce que Dieu connoissant nôtre interieur, nous luy devons rendre un profond respect, en quelque endroit que nous soyions, & marcher en sa presence avec toute la pureté des Esprits celestes.

Il importe aussi beaucoup de renouveller souvent nos bons desseins, & de reveiller en nous toute la ferveur du jour de notre entrée dans la Religion.

Pour cela nous dirons à Dieu : Seigneur, aidez moy à garder fidélement ce que je vous ai promis, & à perseverer en votre service. Faites-moy la grace de bien commencer aujourd’hui ; car je n’ay rien fait de bien jusques à cette heure.

Nôtre avancement spirituel depend de nos bons desirs. Celui qui veut faire beaucoup de progrés dans la vertu, doit y apporter beaucoup de soin & d’application.

Si malgré toutes nos bonnes resolutions, nous ne laissons pas de tomber souvent ; que doit on attendre de ceux ou qui n’en font point du tout, ou s’ils en font, qui manquent de fermeté & de courage pour les accomplir ?

Il y a bien de l’inconstance dans le monde, & on abandonne en plusieurs manieres ce qu’on s’étoit proposé.

Il est difficile d’obmettre quelqu’un de ses exercices spirituels que la devotion ne commence à se refroidir.

Les bons desseins que forment les Justes ne sont pas fondez sur leur sagesse & leur industrie naturelle, mais sur le secours de la grace ; & quelque chose qu’ils entreprennent, c’est toûjours en Dieu qu’ils établissent leur confiance.

On dit ordinairement que l’homme propose, & que Dieu dispose ; & en effet les voies de l’homme, selon l’Ecriture, ne sont pas en la puissance[1].

S’il arrive quelquefois que par un motif de pieté, ou pour obliger le prochain, on manque à quelqu’un de ses exercices ordinaires, il est aisé d’y satisfaire en un autre temps, & de reparer cette perte.

Mais si on l’obmet par un pur dégoût ou par une vraye negligence, c’est un manquement considerable, & qui a toûjours de mauvaises suites. Quelque précaution que nous prenions, quelque effort que vous fassions, nous serons encore en danger de commettre beaucoup de fautes.

Cependant nous devons toûjours nous armer de fermes resolutions, principalement contre les vices qui nous donnent le plus de peine.

Il faut veiller en même-temps sur nôtre exterieur & sur notre interieur ; parce que nôtre avancement dans la voye de Dieu dépend de bien regler l’un & l’autre.

Si vous ne pouvez être toûjours recuëilli, tâchez de vous recuëillir de temps en temps, & du moins une fois le jour, ou le matin, ou le soir.

Faites vos resolutions le matin, & examinez sur le soir votre conscience pour voir qu’elles ont été le long du jour, vos pensées, vos paroles, & vos œuvres : car peut-être qu’en tout cela vous aurez souvent offensé Dieu & le prochain.

Preparez-vous à combattre vaillamment contre le Demon : reprimez la gourmandise, & avec cela vous surmonterez facilement la concupiscence de la chair.

Ne soyez jamais tout-à-fait oisif : mais lisez ou écrivez, ou priez, ou travaillez à quelque ouvrage qui puisse être utile au public.

Pour ce qui regarde le travail du corps, il le faut prendre avec discretion, & chacun le doit mesurer à ses forces.

N’affectez jamais de faire devant le monde de certaines devotions qui vous sont particulieres, & que les autres ne font point : le plus sûr pour éviter l’ostentation, est de les pratiquer en secret.

Prenez garde au moins de ne les pas préferer aux devotions communes : mais après vous être acquitté entierement & fidélement de ce qui sera de vôtre devoir, si vous avez quelque temps de reste, employez-le au recueillement & à l’Oraison.

Tous ne peuvent pas avoir le même exercice : celui-ci convient à l’un, celui-là à l’autre.

Il est même bon d’en changer, selon la difference des temps. Car les uns sont propres aux jours de fête, & les autres aux jours ouvriers ; les uns lors qu’on est tenté, & les autres lors qu’on est paisible ; les uns dans l’affliction, & les autres dans la joye.

Quand il vient quelque grande fête, il est à propos de renouveller nos pratiques de pieté, & de redoubler notre ferveur ; afin que les : Saints nous assistent de leurs prieres auprès de Dieu.

il importe aussi beaucoup de confirmer nos bons desseins, & d’en former de nouveaux, d’une fête à l’autre ; comme si dans ce temps-là nous devions mourir.

Pour bien celebrer ces jours consacrez à la devotion & au service de Dieu, mettons-nous dans les meilleures dispositions qu’il sera possible, & comportons-nous avec autant de pieté & d’exactitude en l’observance de nos regles, que s’il nous falloit bien-tôt recevoir le prix de nos bonnes œuvres.

Et si Dieu differe à nous couronner, ne nous en prenons qu’à nous-mêmes ; croyons que nous n’avons pas encore tout ce qu’il faut pour être digne de cette gloire, où nous n’entrerons que dans le temps que sa Providence a marqué.

Tâchons seulement de nous disposer un peu mieux que nous n’avons fait jusques ici à bien mourir.

Heureux, dit le Fils de Dieu dans Saint Luc, heureux est le serviteur que son maître venant au logis, trouvera veillant ! Je vous dis en verité qu’il le fera maître de tous ses biens[2].

  1. Jere. 10. 23.
  2. Luc. 12. 43.