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De la Critique et destinée des ouvrages contemporains

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DE LA CRITIQUE


ET DE LA DESTINÉE


DES OUVRAGES CONTEMPORAINS.




Cours de Littérature dramatique, ou de l’Usage des Passions dans le drame, deuxième volume, par M. Saint-Marc Girardin.[1]




Une plume très spirituelle, que je louerais plus à mon aise si je ne lui étais personnellement obligé, a résumé ici même[2] en quelques lignes tout ce qu’on peut dire de plus vrai de ce nouveau volume. On a eu raison de louer ce livre pour le bien que font de telles lectures au temps où nous vivons : elles reposent les esprits ; c’est trop peu dire, elles les relèvent. Écrit avant février, on dirait que ce volume a été composé pour adoucir quelques-unes des douleurs qu’il a causées et pour raffermir certaines choses qu’il a ébranlées. Le sujet est l’usage des passions dans le drame : or, le drame, c’est la vie ; la vérité du drame, c’est sa ressemblance avec la vie. En réalité, M. Saint-Marc Girardin a traité de l’usage des passions dans la vie, c’est-à-dire du bien et du mal qu’elles font, selon qu’on les règle ou qu’on s’y laisse emporter. Dans un temps où les esprits les plus fermes doutent, où les cœurs les plus droits se troublent, voici des pages qui nous rendent le service de nous dire que le bien n’est pas le mal ni le mal le bien, et que, quelles que soient les épreuves de la vérité dans ce monde, le meilleur de tous les calculs est encore de lui rester fidèle.

En plus d’un endroit d’ailleurs, l’à-propos de ces pages semble être un à-propos d’allusions, tant les remarques de l’auteur vont à nos préoccupations actuelles. Parmi les passions qu’examine M. Saint-Marc Girardin, il en est qui naissent de l’institution même de la famille : ce sont la piété filiale, l’amour fraternel, la piété envers les morts, et aussi les passions contraires, les haines des frères, les rivalités des sœurs. Soit qu’il ait à montrer combien les bonnes passions mettent de force et d’honneur au foyer de la famille, ou combien les mauvaises y font de ravages, ce qui ressort de toutes ses réflexions, c’est une image de la seule condition où l’homme ait tout son prix et réalise tout le bonheur dont il est capable, c’est à savoir la famille. M. Saint-Marc Girardin eût-il prévu la guerre impie qu’on lui fait, il n’eût pu mieux lui venir en aide qu’en en traçant des peintures si aimables ; et cette apologie est d’autant plus persuasive, qu’elle n’était point préparée et que les argumens ne sentent pas le plaidoyer. Il est certaines vérités qui perdent plus qu’elles ne gagnent à être discutées par la polémique, car la vivacité de la défense fait croire au danger de la cause. Je m’épouvante si quelque écrit supérieur veut me prouver que j’ai le droit d’aimer mon enfant et de lui laisser le fruit de mon travail ; je me rassure quand je lis un livre qui se contente de reconnaître au fond de mon cœur l’impossibilité éternelle qu’il en soit autrement.

Avant de donner à l’impression ces pages écrites pour un autre temps, M. Saint-Marc Girardin aurait pu être tenté d’y insérer quelque digression contre le socialisme. Il a une plume qui n’est guère plus timide que sa parole à la Sorbonne ; c’est cette plume qui écrivait, il y a dix-huit ans, le mot prophétique de barbares. Mais aucune critique directe, aucune allusion volontaire ne donne à son livre la date du jour. Sa foi à la famille n’est pas agressive, parce qu’elle n’est pas inquiète ; il n’a pas voulu faire aux insensés qui veulent la détruire l’honneur d’ouvrir une parenthèse à leur adresse dans un livre composé avant qu’ils fissent parler d’eux.

Un autre à-propos de ce livre, c’est cet éternel à-propos des bons livres en tout temps, dans notre pays. Les révolutions, qui n’y peuvent rien contre la famille, n’y peuvent pas davantage contre le plus noble des goûts de notre nation, son honneur, son auréole parmi les nations civilisées, cet amour pour l’art, pour les lettres, pour les ouvrages d’esprit. On lisait même sous la terreur. Condorcet, fuyant les sbires de Fouquier-Tainville, n’avait pas d’argent sur lui, mais il avait un Horace. Il y a toujours en France des lecteurs, même dans les temps les moins littéraires : ce sont ces obstinés d’aujourd’hui qui s’entêtent encore à cultiver leur esprit, même alors que des sauvages les menacent de leur faire expier le savoir comme une inégalité. On se passe plutôt de pain dans notre pays que de livres. Malgré la politique, malgré ce régime inoui d’une assemblée délibérante en permanence tous les jours de l’année, malgré la presse devenue si nécessaire depuis que nous avons à y chercher chaque matin si la société est encore debout, ou plutôt à cause de tout cela, on continue à lire. Le plaisir est même plus vif, parce qu’il est plus disputé. Plus l’incertitude et l’obscurité s’accroissent autour de nous, plus on sent le besoin d’élever son esprit et de se tenir prêt pour l’inconnu. Les meilleures parties de plaisir des honnêtes gens, ce sont quelques heures de bonne lecture, c’est un livre qui leur parle des choses d’un intérêt éternel.

À quel genre de critique appartient le Cours de Littérature dramatique ? Quel homme, quel esprit s’y fait voir ?

Si je ne suis pas dupe d’un vain désir de distinguer, il y a, de notre temps, quatre sortes de critiques. J’essaierai de les caractériser brièvement et par leurs traits essentiels.

La première est une forme nouvelle de l’histoire générale. Les révolutions de l’esprit, les changemens du goût, les chefs-d’œuvre en sont les événemens ; les écrivains en sont les héros. On y montre l’influence des sociétés sur les auteurs, des auteurs sur les sociétés. Cette critique raconte, peint à grands traits, plutôt qu’elle n’analyse. Les détails n’y figurent que pour la lumière qu’ils jettent sur les faits généraux. Les hommes y sont montrés par leurs grands côtés. On y peut d’ailleurs admirer les mêmes beautés que dans l’histoire, et c’est proprement l’histoire des affaires de l’esprit. L’honneur d’en avoir donné le premier modèle appartient à M. Villemain. Le premier, il a mis la critique de pair avec l’histoire et la philosophie. Ses leçons, devenues d’excellens livres, après avoir été d’admirables improvisations, ont prouvé que le talent de peindre, d’exposer, de tirer des enseignemens du passé, n’appartient pas moins au critique qu’à l’historien, et que l’étude des esprits dans les lettres n’est que la plus relevée des psychologies. Nous lui devons en grande partie ce goût des jugemens sur les ouvrages et cette sensibilité vive pour les choses de l’esprit qui mous ont fait passer de si bonnes heures dans les vingt-cinq dernières années, et qui nous ont préparé de si précieuses distractions pour celles que nous avons à traverser.

La seconde sorte de critique est à la première ce que les mémoires sont à l’histoire. De même que les mémoires recherchent dans les événemens la partie anecdotique, et dans les personnages publics l’homme, la vie secrète, de même cette critique s’occupe plus de la chronique des lettres que de leur histoire, et elle fait plus de portraits que de tableaux. Elle est plus curieuse de ce que les écrivains ont en propre que de ce qui leur vient du dehors, et des différences que des ressemblances. Le portrait, dans la diversité infinie de ses nuances, voilà où elle excelle. Pour elle tout auteur est un type, et aucun type n’est méprisable. Aussi ne donne-t-elle pas de rangs ; elle se plaît à ces talens aussi divers que les visages. Elle est plus poétique que philosophique ; car la philosophie s’attache aux ressemblances, aux lois générales de l’esprit ; la poésie, c’est le sentiment des variétés de la vie individuelle. Pour le fond comme pour la méthode, cette critique est celle qui s’éloigne le plus de la forme de l’enseignement, et qui a l’allure la plus libre. La pénétration qui ne craint pas d’être subtile, la sensibilité, la raison, pourvu qu’elle ne sente pas l’école, le caprice même à l’occasion, le style d’un auteur qui sent tout ce qu’il juge, le fini du détail, l’image transportée de la poésie dans la prose, telles en sont les qualités éminentes. Je mettrais un nom au bas de cette théorie, si j’étais plus sûr de n’y avoir rien omis.

J’éprouve quelque embarras à définir la troisième sorte de critique. Si les deux autres rappellent l’histoire sous ses deux formes, celle-ci se rapproche plus d’un traité. Elle a la prétention de régler les plaisirs de l’esprit, de soustraire les ouvrages à la tyrannie du chacun son goût, et d’être une science exacte, plus jalouse de conduire l’esprit que de lui plaire. Elle s’est fait un idéal de l’esprit humain dans les livres ; elle s’en est fait un du génie particulier de sa nation, un autre de la langue française. Elle met chaque auteur et chaque livre en regard de ce triple idéal ; elle note ce qui s’y rapporte, voilà le bon ; ce qui en diffère, voilà le mauvais. Si son objet est élevé, si l’on ne peut pas l’accuser de faire tort ni à l’esprit humain qu’elle veut contempler dans son unité, ni au génie de la France qu’elle veut montrer toujours semblable à lui-même, ni à notre langue qu’elle défend contre les caprices du goût, il faut avouer qu’elle se prive des graces que donnent aux deux premières sortes de critiques la diversité, la liberté, l’historique mêlé aux jugemens, la beauté des tableaux, le piquant des portraits. J’ai peut-être des raisons personnelles pour ne pas mépriser ce genre ; j’en ai plus encore pour le trouver difficile et périlleux.

La quatrième sorte de critique n’épuise ni une époque, ni un auteur, ni une théorie. Elle n’est ni une histoire, ni une biographie, ni un traité. Elle choisit un sujet qu’elle circonscrit à dessein, aimant mieux se tracer un cercle restreint d’où elle pourra sortir, si la vérité ou l’agrément le demandent, que de s’ouvrir un cadre trop vaste qu’elle risquerait de ne pas remplir. Le sujet choisi, s’il s’agit, par exemple, de l’usage des passions dans le drame, elle recueille dans les auteurs dramatiques les plus divers et les plus inégaux les traits vrais ou spécieux dont ils ont peint une passion ; elle compare les passages, non pour donner des rangs, mais pour éclairer par ces rapprochemens l’objet de son étude ; elle y ajoute ses propres pensées, et de ce travail de comparaison et de critique elle fait ressortir, comme conclusion, quelque vérité de l’ordre moral ; car tel est le dessein qu’elle se propose : tirer des lettres un enseignement pratique ; songer moins à conduire l’esprit que le cœur ; prendre plus de souci de la morale que du goût. C’est de la littérature comparée qui conclut par de la morale.

Mais pourquoi me fatiguer à la définir ? Quatre pages du livre de M Saint-Marc Girardin, prises au hasard, la font comprendre et aimer sans la définir. Elle est son œuvre ; c’est le fruit de son caractère et de son tour d’esprit. Si pourtant on voulait lui chercher un premier modèle, on le trouverait dans certains traités de Plutarque, et, chez nous, dans les charmans opuscules de Fénelon, quand il n’y dit pas de mal des vers de Molière et qu’il ne s’y plaint pas de la pauvreté de notre langue.

Esprit honnête, cœur droit, capable de tous les bons sentimens dont il étudie les expressions dans le drame, M. Saint-Marc Girardin n’écrit rien que d’expérience, et il ne donne pour vrai que ce qu’il s’approuve de sentir, ou que ce qu’il se ferait honneur d’avoir senti. Il n’a pas une morale pour lui et une pour les autres. L’écrivain ne déguise pas l’homme, et l’estime dont on est touché pour l’un fait qu’on s’abandonne aux doctrines de l’autre. La simplicité toujours égale de son langage ajoute à la confiance. L’homme qui veut paraître meilleur qu’il u’est n’a pas ce ton-là ; il procède soit par professions de foi, soit par anathèmes contre tous ceux qui ne sont pas tels qu’il veut paraître. Les instincts de M. Saint-Marc Girardin, sa raison, sa conduite, sont les seuls principes de sa critique ; c’est à la double lumière de sa conscience et de sa vie qu’il regarde les images que les auteurs dramatiques nous ont données du cœur humain.

Bon nombre d’écrivains reçoivent leur sujet des circonstances, du tour d’esprit du moment, du succès de certaines idées, de la mode, et ils écrivent à côté et en dehors d’eux-mêmes. D’autres ne font leurs livres qu’avec leur intelligence, laquelle semble distincte du principe qui les fait agir. On dirait un sanctuaire où ils entrent de temps en temps pour s’y recueillir et s’y épurer ; l’homme reste sur le seuil. Aux écrits des uns et des autres, malgré la séduction du talent, il manque le plus grand charme : ils n’y sont pas de toute leur personne. Je ne dis pas qu’il faille étaler sa vie dans ses livres ; car ceux qui paraissent si jaloux qu’on les voie cachent plus de leur vie qu’ils n’en montrent, et fardent tout ce qu’ils en laissent voir ; mais le meilleur livre est celui où il a transpiré de la vie de l’homme dans les pages de l’écrivain, non parce que l’un a pensé à y montrer l’autre, mais parce qu’ils n’ont pas été deux en l’écrivant. Or, cela n’arrive qu’aux très honnêtes gens. On admire justement le mot de Pascal : « On cherchait un auteur, on est charmé de trouver un homme. » Pour que la découverte soit agréable, il faut que cet homme soit un homme de bien.

M. Saint-Marc Girardin est un de ces auteurs-là. Il n’a reçu de personne la pensée de son livre. On n’est pas si à l’aise dans un thème suggéré, ni si original en exécutant un programme. La mode n’y a pas la moindre part. Où il y a tant de raison, soyez sûr que la mode n’en a pas fourni l’idée. De même, le livre n’est pas un rôle que veut jouer l’homme, ni l’image de ce qui, dans sa vie, serait pour la montre ; ce n’est pas un habit splendide qu’il revêt quand il sort. Son esprit n’est que son talent de voir au fond de ses sentimens et la conscience claire de ce qui détermine sa conduite. On ne trouve dans ces pages ni ces choses d’emprunt qui remplissent les écrits dont l’inspiration n’appartient pas à l’auteur, ni ce faux de certains ouvrages, même distingués, dont on dirait que l’auteur a passé un costume pour les écrire. Quand les enfans de M. Saint-Marc Girardin seront en âge d’admirer ce qu’il a écrit de si profond sur les bons instincts du cœur humain et de si tendre sur la famille, combien ne seront-ils pas fiers d’une gloire qui s’est faite au foyer domestique, d’un livre qui n’est le plus souvent qu’une étude dont ils étaient le sujet, et une action dont ils ont été les témoins !

Que, dans un ouvrage où les beautés sont plus souvent des finesses de sentiment que des délicatesses de goût, la critique soit bienveillante, je ne m’en étonne pas. La bienveillance est une des graces du Cours de Littérature. Dans telle pièce peu lue, ou même oubliée, M. Saint-Marc Girardin trouve des choses à admirer. Au lieu d’accabler tout d’abord un ouvrage en le rapprochant d’un idéal jaloux, ou en lui appliquant quelque doctrine superbe, il s’y engage avec la prévention de l’estime ; ce qu’il n’en aime pas, ou il l’excuse, ou il le tait ; il note les fautes sans en triompher, et fait valoir le bien sans le surfaire, aussi loin d’imaginer des beautés où il n’y en a pas que d’exagérer celles qu’il découvre pour relever le mérite de la découverte. Il pouvait en être tenté pourtant, à propos de deux sortes d’auteurs : les inconnus, qu’on paraît mettre au monde ; les oubliés, qu’on réhabilite. Il n’a été que juste pour les uns et pour les autres. On est d’accord avec lui sur ceux-ci, parce qu’il ne nous force pas à les adorer après les avoir dédaignés, et sur ceux-là, parce qu’il sait les découvrir sans avoir l’air de les créer, et qu’il ne nous humilie pas de son rare savoir.

J’admire surtout avec quelle douce autorité il nous fait apercevoir et confesser des beautés où nous n’en avions pas vu. C’est l’art des connaisseurs en tableaux. Ils excellent à retrouver le jour qui éclairait une toile au moment où l’artiste y mettait ses couleurs, et à placer le curieux au vrai point d’où elle doit être vue. Il ne faut pas abuser de cet art, ni faire comme tels de ces connaisseurs qui ne souffrent pas qu’une fois placé on fasse un mouvement, et qui vous donneraient des contorsions pour vous mettre au point. M. Saint-Marc Girardin ne tombe pas dans cet excès. Il n’y a même pas à se prêter beaucoup à ce qu’il veut ; il a si raison et si doucement, qu’on vient à son avis sans croire lui faire une concession, et que le préjugé est parti sans qu’il ait eu besoin de l’attaquer. Sur ce point, je suis plus qu’un lecteur charmé : je suis, qu’il me permette de l’en remercier, un converti. Il est tel auteur, tel ouvrage, contre lesquels j’avais des préventions. Ils étaient en dehors d’une catégorie, d’un genre ; ils contrariaient une doctrine. Je les avais exclus, comme certain ministre qui ne donnait audience aux gens que sur le vu de leur brevet ; on ne lui faisait pas passer sa carte ni son nom, mais son diplôme. Ainsi je faisais pour certains auteurs. M. Saint-Marc Girardin m’a pour ainsi dire amené par la main devant eux ; il m’a montré, à côté du vrai que je poursuivais, un vrai que je ne voyais pas, parce que j’en cherchais un autre. Il m’a fait la leçon, en ajoutant à mes plaisirs. Attaché à un idéal sévère, j’ai toujours peur d’être exclusif, moins par le vain désir de passer pour un esprit étendu qu’à cause du ridicule d’être injuste contre mon propre intérêt. Je dois au Cours de Littérature dramatique des connaissances de plus et des préventions de moins. En louant sur ce point M. Saint-Marc Girardin, je ne fais que m’acquitter.

Ces jugemens bienveillans sur des ouvrages ou sur des auteurs secondaires sont d’ailleurs sans préjudice des principes du grand goût français. M. Saint-Marc Girardin ne sacrifie pas l’intégrité de la foi à la douceur des petites pratiques. Il est, lâchons le mot, classique ; mais, dans l’église commune, il est du parti de la tolérance. Il aime la diversité et la liberté des talens. Seulement, ne touchez pas aux bons sentimens de l’homme, ne cherchez pas le succès dans quelque violation des lois éternelles de la morale. Là-dessus, il n’est pas endurant, non par une fidélité de méthode à la pensée principale de son livre, mais parce qu’on s’attaque aux croyances et aux convictions de sa vie. L’honnête homme est moins coulant que le critique. Je le comprends. La tolérance du critique peut venir de justice ou de modestie ; il s’agit d’écrivains comme lui, d’ouvriers dans le même art. Notre goût nous appartenant plus que notre conscience, nous pouvons, par défiance de nous-mêmes, ou le sacrifier, ou du moins en obtenir des concessions. Mais il n’y a pas d’accommodemens à demander à la conscience une main d’en haut l’a mise en nous, non pour recevoir nos lumières, mais pour nous imposer les siennes. On peut transiger sur le bon et le mauvais dans les lettres ; on doit être intraitable sur le bien et le mal dans l’ordre moral. La sévérité de M. Saint-Marc Girardin est d’ailleurs sans aigreur. Il ne foudroie ni ne prêche personne, il critique, et le passage critiqué ne l’empêche pas, sitôt après, de goûter un passage meilleur du même écrit ; ou, si c’est tout l’ouvrage qui a mérité le blâme, il ne le rend pas injuste pour les autres écrits de l’auteur.

M. Saint-Marc Girardin est le libéral par excellence en littérature. On n’est pas libéral sans être conservateur ; aussi est-il fidèle, comme je l’ai dit, au goût français, à la tradition classique. On n’est pas libéral, si l’on se laisse prévenir contre toutes nouveautés ; aussi ne les craint-il pas. Le Cours de Littérature dramatique n’interdit pas à l’art de tenter de nouvelles voies, et, si quelque beauté se présente, il ne lui demande pas si elle vient de la liberté ou de la règle. Sauvez le fond, respectez la nature humaine ; ne logez pas dans un cœur bas une vertu sublime ; ne nous donnez pas des pères et des mères qui ne soient ni les nôtres ni nous ; entre les bons et les mauvais instincts du cœur humain, tirez vos effets dramatiques des bons ; tenez votre drame le plus près de la vie ; faites qu’on en sorte, sinon purgé, comme le croulait le grand Corneille, qui n’est pourtant pas un si mauvais guide, mais fortifié dans ses bons sentimens, et un peu plus en garde contre ses défauts : et, quant aux moyens, soyez libre. Pour une beauté de sentiment ou de passion, je vous passe volontiers une règle ; je vous les passerais toutes pour une pièce d’où je reviendrais touché et plus fort pour le bien. Fidélité au caractère moral du drame, liberté dans l’invention, voilà toute la poétique du Cours de Littérature dramatique. L’auteur sait d’ailleurs que le talent qui trouve les beautés n’a pas besoin des mauvais moyens, et que tout ce qui est beau dans le drame, s’il n’est pas selon les règles, ne doit pas en être bien loin.

M. Saint-Marc Girardin n’est si agréable que parce qu’il est libéral. Vous connaissez l’impression douce que fait l’indulgence chez une personne du monde : il y a quelque chose de plus charmant, c’est le respect d’un écrivain supérieur pour la diversité des esprits. M. Saint-Marc Girardin n’est pas étonné de ne pas se trouver dans un autre ; il paraît même charmé d’y trouver quelqu’un qui n’est pas lui. Il aime le tour d’esprit qu’il n’a pas, le genre qui n’est pas le sien. Un mélodrame a du bon pour lui, et voyez combien est méritoire la charité, ou délicate la justice, qui fait goûter à cet esprit si naturel les effets de nerfs et la phraséologie du mélodrame ! Je suis bien sûr que le succès d’autrui ne lui a jamais paru une diminution du sien. Et pourtant a-t-il lui-même tout le succès qu’il mérite ? Ce manque de charlatanisme le cache à certains yeux qui ne regardent que du côté où l’on ouït les fanfares Un si rare esprit échappe à beaucoup de gens, parce qu’il ne s’impose à personne. Il ne se recommande pas, comme certains auteurs distingués, par les défauts de ses qualités ; il est profond sans que sa profondeur soit annoncée par de la contention d’esprit ; élevé, sans qu’on voie l’effort pour paraître supérieur à ce qu’il fait. Il l’est où le vrai l’y amène ; il l’est souvent où il ne croit être que persuadé et de bon sens, et en ne voulant être que cela.

Je m’explique que M. Saint-Marc Girardin aime beaucoup Fénelon et Voltaire. On dirait qu’il a appris du premier le secret de l’aimable. Si les écrits procèdent les uns des autres, le Cours de Littérature dramatique procéderait de la Lettre sur les occupations de l’Académie française. M. Saint-Marc Girardin semble imiter de Fénelon sa douce morale ; n’imite-t-il pas aussi la petite faiblesse du précepteur du duc de Bourgogne, son penchant à moraliser ? Il a retenu de Voltaire le secret de l’agréable. L’agréable, c’est autre chose que l’aimable. Il s’y mêle un peu de cette raillerie si chère à notre pays, et si charmante quand elle est tempérée d’indulgence, si charmante même sans l’indulgence ; témoin Voltaire, qui certes fut toute sa vie plus complaisant qu’indulgent.

S’il est un style dans ce temps-ci qui rappelle celui de ces deux maîtres, c’est le style du Cours de Littérature. Voilà cette netteté, ce naturel, cette fermeté élégante, ce mérite de correction irréprochable qui se cache sous la facilité et l’abandon. C’est le même tour, la courte phrase, qui n’exclut pourtant pas la phrase abondante, quand le sujet le veut. Toutefois l’allure du soldat armé à la légère y domine, comme chez les deux maîtres. La plume qui a écrit le Cours de Littérature dramatique a fait long-temps la guerre, au premier rang, dans le Journal des Débats.

Sa langue n’a pas l’air d’être de ce temps-ci ; car ce qui date les langues, ce sont les défauts. Or., notre temps en a deux caractéristiques la prétention à l’imagination de style, et l’abus de ces mots excessifs qui sont à tout le monde et ne sont à personne, et que l’usage a fatigués, non en les employant bien, mais à force d’en user au hasard et hors de propos. La langue de M. Saint-Marc Girardin est pure de ce double vice ; elle lui appartient en propre. C’est le vêtement de l’honnête homme, comme le veut son modèle Fénelon. On ne décrira pas ce style ; il est bien heureux, il échappe à une définition. Les mots n’y avertissent pas des pensées ; ce sont les pensées qui font revenir aux mots, et l’on ne songe au bien dit qu’après avoir senti le bien pensé. Les figures n’y manquent pas ; car quel bon style est sans figures ? Seulement elles ne sont pas là pour faire briller ce qui est pâle, mais pour égaler la pensée qui s’élève ; c’est encore ce même vêtement de l’honnête homme, mais un jour de fête.

Je n’ai pas tout dit, tant s’en faut, ni de cet esprit charmant qu’on envie, qu’on dit heureux, qui sait l’être, ayant un goût si sain et un cœur si droit, ni de ce livre où il sait si bien faire les affaires du vrai sans paraître faire celles d’un auteur. Je veux pourtant prédire la fortune de ces petits volumes ; mais de quel droit la prédire ? J’aurais l’air d’être le seul. Mieux vaut tout simplement affirmer, avec tous les lecteurs de goût, que le Cours de Littérature dramatique comptera parmi les ouvrages de notre temps qui resteront. Voici pourquoi :

À toutes les époques des sociétés civilisées, il y a deux sources d’inspirations pour les auteurs : l’esprit humain, et le tour d’esprit du temps. Mais ce tour d’esprit n’est-il pas l’esprit humain lui-même modifié d’une certaine façon ? Peut-être. Il n’en est pas moins vrai qu’on attache à ces deux expressions des idées fort différentes.

Quand on parle de l’esprit humain, on entend quelque chose qui ne change pas et qui acquiert incessamment, le foyer actif de toutes les vérités découvertes et exprimées sur l’homme et sur ses rapports avec Dieu et le monde. On a le sentiment d’une ame, d’une émanation immortelle de l’humanité. On parle de la grandeur de, l’esprit humain, quand on le considère dans ces vérités immuables par lesquelles il fait partie de Dieu même ; on ne se plaint de sa faiblesse que par rapport aux bornes que Dieu lui a données.

Par le tour d’esprit du temps, on entend singulièrement quelque chose qui varie sans cesse, des opinions passagères plutôt que des vérités, le convenu plutôt que le vrai, des mouvemens capricieux, des admirations d’un jour, des travers, des modes ; ce qui fait que Fontenelle écrivait des églogues ; que Mascaron citait dans ses sermons Mlle de Scudéry ; que, dans une comédie de Voltaire, la servante Nanine est philosophe et se plaint de trop penser. Le tour d’esprit s’appelle encore l’imagination, de même que l’esprit humain peut s’appeler le cœur humain, la raison. Les appellations sont vagues, mais les choses sont distinctes et certaines. Chacun de nous a en lui, dans le même temps, un abrégé de l’esprit humain et un peu du tour d’esprit de son époque. Ne le voyons-nous pas dans le compte que nous nous rendons de nous-mêmes ? Il est telles pensées, tels sentimens où nous persévérons, auxquels nous revenons après des écarts : c’est la part de l’esprit humain. Il en est d’autres que nous désavouons après y avoir cru avec idolâtrie, souvent après leur avoir immolé notre vraie nature c’est la part du tour d’esprit ; ce sont les ruines de notre imagination.

Parmi les écrivains, — je ne parle que des éminens, — les uns s’inspirent de l’esprit humain, les autres du tour d’esprit du temps. Les premiers ont bien du mérite, car l’esprit humain n’est jamais à la mode ; c’est le tour d’esprit qui règne et qui, dans sa jalousie, essaie de nous le faire confondre avec des préjugés, des habitudes de collége, des traditions bourgeoises, des servitudes qui n’ont que le mérite d’être anciennes. Cependant ces écrivains, soit force, soit sagesse, s’attachent à ce qui est acquis, au connu, pour chercher plus sûrement ce qui reste à connaître. Ils se rangent aux méthodes éprouvées, ils adoptent le drapeau sous lequel on a fait les conquêtes passées, ils inventent sur le plan des inventions antérieures. Plus même l’esprit humain est caché ou calomnié par le tour d’esprit du temps, plus ils font d’efforts pour le retrouver et pour en rétablir l’image. Isolés pour ainsi dire au milieu de leur temps, mais affranchis des illusions et de la tyrannie du tour d’esprit dominant, ils travaillent sans cesse à dégager ce qui ne change pas de ce qui change, les passions éternelles du cœur de ses désordres passagers, le fond de l’homme des mœurs de l’année. Qu’est-ce que l’histoire, la philosophie ? qu’est-ce que toute spéculation sévère, sinon une réclamation, une revendication de l’esprit humain sur le tour d’esprit d’une époque ?

Les autres écrivains travaillent au plus épais de la foule, au plus fort du bruit. Ils en sont, ils s’en disent les échos. Leur faculté principale, c’est l’imagination. Prenons-les au mot : ne se qualifient-ils pas exclusivement d’écrivains d’imagination ? Or, imagination, tour d’esprit, c’est tout un. Je ne m’étonne donc pas qu’ils soient surtout sensibles à ce qui est apparent, à ce qui varie, qu’ils prennent les modes pour les mœurs, les mœurs pour le fond d’une nation ; qu’ils soient plus frappés du costume que de l’homme, du masque que du héros. Ils sont d’ailleurs les premiers du jour et les plus en vue, mais ils ne dominent pas le mouvement qui vient d’eux. Ils sont comme certains meneurs politiques ; qui les voit de loin marcher en avant de la foule croit qu’ils la conduisent ; c’est la foule qui les pousse. Mais, comme ils ont de grands talens, tout en se faisant les serviteurs du tour d’esprit du temps, il leur arrive de laisser échapper sur l’homme, sur ses passions, sur le cœur, des vérités qui vont grossir le trésor de l’esprit humain. C’est la plus petite part dans leurs livres, et il faut l’y chercher sous ce relatif, cet éphémère, ce convenu du tour d’esprit, où elle est comme étouffée.

De ces deux sortes d’écrivains, laquelle a le plus de chances de durer ? Il ne s’agit pas de durer matériellement ; grace à l’imprimerie, rien ne périt ; mais pour un livre, durer, c’est être lu. Lesquels seront les plus lus ?

Par les choses qui nous attirent aux livres du passé, nous savons d’avance celles qui attireront les lecteurs futurs aux nôtres. Est-ce la part de l’esprit humain, ou celle du tour d’esprit du temps ? Au XVIIe siècle, par exemple, est-ce l’hôtel de Rambouillet ou Molière ? sont-ce les romans de Mlle de Scudéry ou les Lettres de Mme de Sévigné ? Nous sommes appelés, invités, souvent en dépit du tour d’esprit de notre temps, par toutes les pensées, par tous les sentimens où nous nous reconnaissons, et, pour abréger, par la raison ; non pas la raison du syllogisme et des sentences, d’Euclide ou de Publius Syrus, ai-je, besoin de le dire ? mais cette science qui voit dans nos ténèbres et qui nous apprend à nous-mêmes qui nous sommes.

Les écrivains qu’on lira le plus sont ceux qui auront le plus fait pour la raison. Il faut en prendre son parti. On brille plus, mais on dure moins, quand on écrit pour le tour d’esprit du temps ; on brille moins, mais on dure toujours quand on a mis un beau talent au service de l’esprit humain. Et il est bien juste qu’à l’éblouissement du succès passager il se mêle un peu d’inquiétude, de même qu’à l’obscurité momentanée des travaux durables il se mêle quelque espérance.

De notre temps, et surtout depuis les trente dernières années, les tendances de l’esprit humain en France et, par l’exemple de la France, dans l’Europe civilisée, sont vers la philosophie, l’histoire et la critique, vers la critique surtout. Les plus belles pages philosophiques que nous ayons lues de nos jours sont des jugemens ; sous les plus beaux récits d’histoire, il y a un examen sérieux et laborieux des documens ; sous les tableaux les plus brillans, il y a des témoignages comparés et débattus. On cherche le vrai, on hait la rhétorique. Je ne sache pas que jamais l’exactitude ait été plus en honneur ; les travaux de seconde main sont dédaignés. Les meilleures plumes sont presque plus jalouses du mérite de l’érudition que de la gloire de bien écrire ; c’est un travers, mais ce travers ne prouve que mieux combien la tendance est forte. Il y a, à cet égard, émulation entre les sciences et les lettres. Les lettres entendent bien ne pas laisser aux sciences toute l’autorité ; elles se piquent de devenir aussi rigoureuses en gardant le privilège de plaire, et elles ne veulent pas du vain rôle de distraire les esprits, tandis que la science serait seule en possession de les instruire.

C’est plus qu’une tendance, c’est la nécessité de notre temps. Des deux disciplines sous lesquelles l’esprit humain en France a marché pendant tant de siècles, la foi chrétienne et la royauté, la foi n’est plus qu’un don individuel, la royauté qu’une forme de gouvernement trois fois vaincue en soixante ans. Il ne reste pour toute base à la société que la raison. Aussi tout le monde se porte à son secours. C’est à qui éclaircira, fortifiera, rendra agréables et populaires, par l’art de les présenter, les vérités conservatrices. On étudie plus sévèrement le passé dans ses systèmes, dans ses sentimens, dans ses arts, pour arriver à une connaissance plus parfaite de la nature humaine et assurer de plus en plus la raison, notre dernier guide. Les talens même que des ouvrages d’imagination ont rendus célèbres recherchent les succès du savoir et de l’utile. Ils pensent qu’ils ont fait assez pour l’imagination, et qu’après nous avoir amusés, émus, troublés peut-être par des peintures complaisantes de nos passions, il est temps qu’ils mettent leur popularité au service de l’ordre, du devoir, de la raison. L’utile dans le relevé, voilà par où veulent finir les écrivains éminens.

Il se voit plus d’auteurs de romans ou de poésies qui se font historiens ou critiques, que de critiques ou d’historiens qui se font poètes ou romanciers. M. de Lamartine en est l’exemple le plus illustre ; il écrit de l’histoire et il édite ses poésies. Encore devons-nous à d’honorables nécessités l’intérêt qu’il prend à ces chers objets de nos premières admirations : peu s’en est fallu qu’il n’y vît des péchés de jeunesse en les comparant aux splendeurs de ses récits et de ses harangues. L’auteur d’un roman plein d’imagination et de poèmes où brillent des vers charmans sur un fond un peu romanesque, M. Sainte-Beuve, achève l’histoire de la plus austère des sociétés chrétiennes, Port-Royal, et tire des profondeurs de l’érudition la plus curieuse un des livres les plus propres à donner du cœur aux honnêtes gens et à faire honte aux ames faibles. Il n’est éloges qu’on n’ait faits, dans ces dernières années, d’un Abailard de M. de Rémusat, confidence de salon dont beaucoup de gens sont restés très vains ; M. de Rémusat a gardé dans son portefeuille l’Abailard du drame, et ne nous a fait voir que celui de l’histoire. M. Mérimée est de l’Académie des belles-lettres pour de profondes études d’histoire romaine, et la plume qui a écrit le Vase étrusque et Colomba rédige des mémoires d’archéologie. Nous verrons peut-être d’autres désertions du camp de l’imagination dans celui de l’utile ; mais je ne sache pas que ceux qui sont les premiers dans les travaux d’histoire ou de critique, MM. Thiers, Cousin, Thierry, Mignet, Villemain, Guizot, pensent à faire des poésies ou des romans. Il est vrai qu’un autre esprit d’élite, M. Vitet, qui s’entend si bien aux choses les plus diverses, et qui ne parle pas moins pertinemment des finances du gouvernement provisoire que des beautés d’Eustache Lesueur, nous fait un pendant aux États de Blois ; mais qu’on ne s’y trompe point : son dessein est de nous donner de la plus fine et de la plus secrète sorte d’histoire politique, surprise au cœur et recueillie sur les lèvres des personnages. C’est du drame pour intéresser l’imagination aux enseignemens de l’histoire.

Telle paraît être la direction de l’esprit humain dans notre pays. À côté de cela, tracez l’histoire du tour d’esprit du temps : vous en compterez autant qu’il y a eu de révolutions politiques. Le calcul même est modéré. De plus sévères trouveraient que les goûts ont changé encore plus souvent que les gouvernemens. Le tour d’esprit de chaque époque était-il du moins l’expression de ses mœurs ? Nullement ; pas plus que les bergeries de Fontenelle ne représentaient les mœurs de la fin du XVIIe siècle ; pas plus que les pastorales de Florian et de Gessner n’ont été l’image de la fin du XVIIIe siècle. Ainsi le tour d’esprit du temps n’est pas toujours l’expression des mœurs ; c’est un caprice, une disposition, des vapeurs comme en ont les vieilles sociétés, sans plus de causes appréciables que celles des changemens dans la coupe des habits. Et pourtant que d’esprit, d’imagination, de style, se dépense pour bercer par des pages éphémères un vieux peuple qui demande, comme les enfans, des contes de fée !

Mettons à part, et bien haut, quelques ouvrages d’imagination qui ont eu à la fois les plus douces faveurs du tour d’esprit du temps et l’approbation sévère de l’esprit humain, la popularité et la gloire, poésies ou suaves ou splendides, méditations, odes, pièces de théâtre, romans d’observation ou de passion, et en tête Atala, René, types durables, parce que la mélancolie qu’ils expriment n’est qu’une des, misères éternelles de l’homme. — De quel côté sont les noms qui survivront ? Du côté où l’on a travaillé pour l’esprit humain. Les complaisans du tour d’esprit, après un premier oubli inévitable, n’auront guère que la chance de ces modes nouvelles qui ne sont que de vieilles modes renouvelées ; un tour d’esprit les ressuscitera, un autre tour d’esprit les fera derechef oublier.

Le nom de M. Saint-Marc Girardin sera sur la liste des noms qui doivent durer, car, à moins que nos enfans ne soient d’une autre nature que nous, j’imagine qu’ils chercheront dans nos livres ce que nous cherchons dans ceux de nos pères : le cœur humain, l’esprit français, la langue. Le cœur humain ? Il se reconnaîtra toujours, dans ces charmantes pages, aux mille traits qu’il y a fournis. L’esprit français ? Aucun ouvrage de ce temps-ci n’en a plus la netteté, le sens pratique, le naturel, le tour vif et élégant ; c’est tout l’auteur. La langue ? Elle ressemble à celle du meilleur temps, avec la physionomie de l’écrivain et quelques nouveautés solides qui font que cette ressemblance n’est pas une imitation.


NISARD.

  1. Librairie de Charpentier, rue de Lille, 17.
  2. Voyez la livraison du 1er mars, Revue littéraire.