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De la génération des vers dans le corps de l’homme (1741)/Chapitre 12

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Veuve Alix ; Lambert et Durand (Tome IIp. 624-631).
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CHAPITRE XII.

Des précautions à observer quand on fait des remedes contre les Vers.



Il ne suffit pas pour tuer ou pour chasser les Vers, de faire les remedes convenables. Il pourrait y avoir du danger de s’en tenir à ces seuls secours, parce que les Vers attaqués ne mourant pas d’abord, ou ne mourant pas tous à la fois du même coup, il arrive souvent que ceux qui ont résisté à l’effort des médicamens, étant ainsi contrariés, mordent les intestins & les percent. Il y a une précaution à prendre contre ce danger, c’est de ne point demeurer long-temps sans manger. Bien des meres ont besoin de cet avis ; elles croyent la plûpart, que quand leurs enfans ont des Vers, il faut faire jeûner ces pauvres enfans, pour éviter, disent elles, la corruption ; ne prenant pas garde, qu’en voulant ainsi éviter un mal, elles en causent un autre. Les Vers lorsqu’ils sont trop affamés, ne manquent guère de percer tôt ou tard, la cavité qui les renferme.

Il faut donc tenir pour certain, que ceux qui ont des Vers, ont besoin d’être plus nourris que les autres ; il faut faire alors ce qu’on fait quand on a des Rats dans un Cabinet, où sont des papiers de conséquence, qu’on veut garantir de la dent de ces Animaux : On y laisse du pain & de l’eau, les Rats s’en rassasient, & on les empêche par ce moyen, de faire leur proye d’autre chose. Mais autant qu’il est avantageux de beaucoup manger lorsqu’on a des Vers, autant il est dangereux de le faire lorsqu’on en est délivré ; car il faut en cette occasion vivre le plus sobrement & le plus frugalement qu’il est possible, pour éviter toute sorte de corruption ; sans quoi ce seroit s’exposer de nouveau à la même maladie : cette sobriété cependant doit avoir ses regles, & il ne faut point la faire pratiquer avec trop d’exactitude aux enfans, parce qu’ayant plus de chaleur naturelle que les autres, & avec cela un corps qui prend son accroissement tous les jours, ils ont besoin d’être soûtenus par une plus abondante & plus fréquente nourriture ; aussi remarque-t’on que les jeunes gens portent le jeûne avec bien plus de peine, que ne font les personnes d’un âge avancé ; c’est pourquoi Hippocrate dit dans un Aphorisme exprès, que les enfans, & tous ceux dont le corps n’a pas encore pris son accroissement, doivent être plus nourris, sans quoi, dit-il, il faut qu’ils dessèchent, parce qu’ils ont une chaleur plus grande.

Il y a une autre précaution à observer quand on fait des remedes contre les Vers, c’est d’interrompre des remedes de temps en temps, & cela de peur que les Vers, trop obstinément attaqués, ne se cantonnent dans les cavités de l’intestin colon, ou qu’ils ne tournent leur corps d’une maniere qui les mette hors d’atteinte à l’action des remedes ; car l’un ou l’autre arrive quelquefois. Ce n’est pas toujours de l’usage opiniâtre des médicamens, que dépend la guérison ; le point est de sçavoir prendre son temps, & dans le traitement d’une maladie, comme dans le gouvernement d’une affaire, la trop grande précipitation est souvent cause qu’on échoue.

Il y a des occasions où c’est un grand remede, pour rétablir la santé, que de suspendre tout remede, & si Pline[1] le jeune dit si bien, en parlant de l’Eloquence, que cet Art ne consiste pas moins à se taire qu’à parler ; on peut bien dire de celui de la Médecine, qu’il ne consiste pas moins quelquefois à s’abstenir d’ordonner des remedes, qu’à en prescrire.

Nous finirons ce Chapitre par une remarque importante touchant les médicamens que l’on prend d’ordinaire contre les Vers ; elle regarde en même temps les autres dont on a coûtume d’user dans la plupart des maladies : c’est qu’il faut quelquefois éviter de les prendre en bol, à moins qu’il ne s’agisse d’avaler quelque drogue qui puisse gâter les dents en s’y arrêtant[2] ; la raison de cela, c’est que le bol est une masse que l’on ne mâche point, & qui entrant dans l’estomac sans avoir été divisée, résiste souvent à l’action des dissolvans de ce viscére, lesquels ne font que glisser sur cette masse sans la pénétrer ; en sorte que le remede demeurant trop long-temps sans se déveloper, ne produit pas l’effet qu’il devroit. Tous les estomacs des Malades ne sont pas tels qu’ils puissent dissoudre les bols. Les Partisans du systême de la trituration, répondront sans doute, que l’estomac a une si grande force pour broyer tout ce qui y entre, qu’il ne faut pas craindre qu’un petit bol puisse résister à cette action : ils diront que dans l’état de santé, cette force broyante passe de beaucoup celle des mâchoires ; qu’elle est capable de surmonter une résistance de douze mille neuf cens cinquante & une livres, & qu’ainsi il n’est pas possible qu’elle diminue assez dans une maladie, pour ne pouvoir écraser un petit bol. A cela je n’ai que deux choses à opposer ; la premiere, c’est l’expérience, & sans citer là-dessus un grand nombre d’exemples, en voici un qui pourra suffire.

En 1711. à l’Hôtel de Tours à Paris, je traitois Mr le Marquis de Senecterre, malade d’une fièvre ; je lui donnai en diverses fois des bols de quinquina, préparés avec le syrop d’absynthe. Plusieurs jours s’étant passés sans que le Malade ressentît du soulagement, j’eus recours à d’autres fébrifuges, & quelques jours ensuite j’ordonnai, de concert avec Mr Dumoulin, qui fut appellé en consultation, un breuvage purgatif, qui entraîna avec des excrémens bien liés, plusieurs bols de quinquina, qui avoient été avalés quatre jours auparavant, & ils sortirent aussi entiers que si on les avoit conservés dans une boëte.

La seconde chose que j’ai à opposer, c’est qu’à consulter la structure de l’estomac, ses mouvemens, la disposition de ses fibres, &c. il n’est pas possible qu’il soit capable d’un broyement tel que les Partisans de la Trituration le supposent ici. On peut voir ce que nous avons dit là-dessus dans le Traité des alimens de Carême ; il est inutile de le répéter : au surplus les efforts que quelques Auteurs modernes ont fait depuis peu pour tirer de l’oubli ce systême abandonné[3], ont tellement achevé de le décrier, que ce n’est presque plus la peine de le combattre.


  1. Accepi non minus interdum oratorium esse tacere, quàm dicere. Plin. jun. Epist. Lib. 7. Epist. 126.
  2. Comme le mercure.
  3. Le systême de la digestion par le broyement, naquit du temps d’Hippocrate, c’est-à-dire, dans un temps où l’Anatomie n’étoit encore guère connue, c’est ce qui favorisa d’abord, le cours de ce systême, & donna lieu à quelques Médecins de soûtenir que l’estomac n’étoit que le réceptacle des alimens solides ; que ces alimens après avoir été délayés & broyés dans la bouche, achevoient de se broyer dans l’estomac, où par ce moyen, ils se convertissoient en chyle ; mais que la boisson à cause de sa liquidité, ne pouvant être sujette au broyement, alloit aux poûmons, & non à l’estomac, où par son abondance elle auroit, disoient-ils, plûtôt nui à la digestion, qu’elle n’y auroit aidé. Hippocrate, comme on le voit dans son quatriéme Livre des Maladies, s’éleva fortement contre une opinion si visiblement contraire à la raison & à l’expérience ; & il nous apprend que s’il se donna ce soin c’est parce que l’erreur dont il s’agissoit, avoit déjà un grand nombre de Partisans. Elle ne tint pas long-temps contre les raisons d’Hippocrate, & la ruine d’une erreur si grossiére fut bien-tôt suivie de la déroute du systême de la Trituration, qui y avoit donné lieu. Mais Erasistrate se releva ensuite, & le systême s’étant soûtenu quelque temps, retomba de nouveau dans l’oubli, d’où quelques Auteurs récens s’efforcent en vain aujourd’hui de le tirer. Voyez le 38e Journal des Sçavans, 1713. page 599. in-4.