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De la sagesse des Anciens (Bacon)/07

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De la sagesse des Anciens (Bacon)
Traduction par Antoine de La Salle.
De la sagesse des Anciens15 (p. 48-51).


VII. La sœur des géans, ou la renommée.


Les géans, qui étoient enfans de la terre, firent la guerre à Jupiter et aux autres dieux[1] mais ils furent vaincus et écrasés par la foudre. Puis la terre irritée par l’effet de la colère même des dieux, et voulant tirer vengeance de la défaite de ses fils enfanta la renommée, qui doit en conséquence être regardée comme leur sœur puînée et posthume, suivant cette fiction d’un poëte célèbre.

La terre irritée par la colère des dieux, l’enfanta, dit-on après Cée et Encelade.

Voici quel paroît être le sens de cette fable. La terre représente la nature séditieuse du vulgaire ou du peuple qui, étant presque toujours mécontent de ceux qui gouvernent, soupire après les innovations[2]. Cette mauvaise disposition, lorsque l’occasion paroît favorable, enfante, pour ainsi dire, les rebelles et les séditieux, qui trament des complots, et se coalisent pour attaquer les souverains et les détrôner. Puis, lorsque le parti insurgent est abattu, et la révolte étouffée, cette même nature de la populace, qui applaudit en secret aux perturbateurs des états, et qui ne peut endurer le repos[3], enfante des bruits séditieux, des murmures, des médisances, des plaintes et des libelles, qui circulent pour décréditer le gouvernement et le rendre odieux ; en sorte que les discours et les déportemens des rebelles semblent être d’une même extraction, d’une même race, et ne différer tout au plus que par le sexe ; les actions étant mâles, et les paroles femelles[4].

  1. Et aux autres dieux ; ces mots nous paroissent de trop, parce qu’ils mettent cette phrase en contradiction avec la suivante ; si, après la défaite des géans, la terre, leur mere, fut irritée par les dieux, ceux-ci étoient donc du parti des géans ; et c’est en effet ce que disent plusieurs fables connues : allégorie qui signifie que les grands, coalisés avec le peuple, excitent une révolte.
  2. Ce gouvernement dont le peuple est l’ennemi, ce n’est nommément ni la monarchie, ni l’aristocratie ni la démocratie, mais celui auquel il est actuellement soumis ; et c’est toujours le tenant qui a tort à ses yeux. L’homme est toujours mécontent de sa situation, et le peuple est un composé d’hommes non moins injustes que ceux qui les gouvernent.
  3. Le peuple ne peut endurer son état parce que sa misère n’est pas un repos, mais une continuelle agitation occasionnée par une multitude immense de besoins non satisfaits ; et il voudroit se délasser par un peu plus d’aisance que les séditieux lui promettent toujours et ne lui donnent jamais : celui qui ne pêche rien dans l’eau claire, tâche de pêcher dans l’eau trouble.
  4. Les livres sont un peu plus mâles que les discours, quand l’auteur n’est point comme une femelle, continuellement occupé de sa toilette, et pense plus souvent au public qu’à son individu.