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Depuis l’Exil Tome VI Pour l’amnistie

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J Hetzel (p. 107-109).

I

DISCOURS POUR L’AMNISTIE

SÉANCE DU SÉNAT
du 28 février 1879

Le 28 janvier 1879, Victor Hugo avait déposé au Sénat une proposition d’amnistie pleine et entière, ainsi conçue :

« Les soussignés,

« Voulant effacer toutes les traces de la guerre civile, ont l’honneur de présenter la proposition suivante :

« Article premier. — Sont amnistiés tous les condamnés pour actes relatifs aux événements de mars, avril et mai 1871. Les poursuites, pour faits se rapportant aux dits événements, sont et demeurent non avenues.

« Art. 2. — Cette amnistie pleine et entière est étendue à toutes condamnations politiques prononcées depuis la dernière amnistie de 1870.

« Ont signé : MM. Victor Hugo, Schoelcher, Peyrat, Corbon, Laurent-Pichat, Scheurer-Kestner, Barne, Ferrouillat, Romet, Massé, Demôle, Lelièvre, Combescure, Ronjat, Tolain, Griffe, Ch. Brun, La Serve. »

Le gouvernement proposa par contre une amnistie partielle.

Le projet de loi vint en discussion à la séance du 28 février.

Victor Hugo prit la parole :

J’occuperai cette tribune peu d’instants. Tout ce qui pouvait être dit pour ou contre l’amnistie a été dit. Je n’ajouterai rien. Je ne répéterai rien de ce que vous avez entendu.

Le pouvoir exécutif intervient cette fois, et il vous dit : La grâce dépend de moi, l’amnistie dépend de vous. Combinez ces deux solutions ; faites des catégories : ici les amnistiés ; là les commués ; au fond, les non graciés. La peine d’un côté, l’effacement de l’autre.

Messieurs, composez ainsi le pour et le contre ; vous verrez tous ces demi-pansements s’irriter, toutes ces plaies saigner, toutes ces douleurs gémir. La question se plaindra jusqu’à ce qu’elle revienne.

Si, au contraire, vous acceptez la grande solution, la solution vraie, l’amnistie totale, générale, sans réserve, sans condition, sans restriction, l’amnistie pleine et entière, alors la paix naîtra, et vous n’entendrez plus rien que le bruit immense et profond de la guerre civile qui se ferme. (Applaudissements.)

Les guerres civiles ne sont finies qu’apaisées.

En politique, oublier c’est la grande loi.

Un vent fatal a soufflé ; des malheureux ont été entraînés, vous les avez saisis, vous les avez punis. Il y a de cela huit ans.

La guerre civile est une faute. Qui l’a commise ? Tout le monde et personne. (Bruits à droite.) Sur une vaste faute, il faut un vaste oubli.

Ce vaste oubli, c’est l’amnistie.

Vous êtes un gouvernement nouveau, établissez-vous par des actes considérables. Faites voir aux vieux gouvernements comment vous montez pendant qu’ils descendent ; enseignez-leur l’art de sortir des précipices.

Quel précipice fut plus profond que le vôtre ? quelle sortie est plus éclatante ? Continuez cette sortie admirable. Montrez comment un peuple magnanime sait préférer à la haine la fraternité, à la mort la vie, à la guerre la paix.

Il est bon qu’après tant de luttes et d’angoisses, une puissante nation sache prouver au monde qu’elle répond par la grandeur de ses actes à la grandeur de ses institutions.

Quel mal y aurait-il à ce qu’on pût dire : La France a eu un moment terrible ; il y avait d’un côté la commune, menaçant la magnifique fondation de 93, l’unité nationale ; il y avait de l’autre côté trois monarchies et le pouvoir clérical ; ces forces obscures se sont livré bataille… Vous êtes alors intervenus ; vous avez saisi les deux forces et les avez brisées l’une sur l’autre, et vous en avez extrait la clémence, la vraie clémence, — l’oubli. Et c’est ainsi que, dans l’ombre et dans la nuit, la république, la république souveraine, la république toute-puissante, a su, du choc de deux blocs de ténèbres, faire jaillir la lumière. (Applaudissements à gauche.)