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Description de la Chine (La Haye)/De la Province de Tche kiang

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Scheuerleer (Tome Premierp. 190-199).



CINQUIÈME PROVINCE
DE L'EMPIRE DE LA CHINE.


TCHE KIANG


Cette province est une des plus fertiles de l’empire, et où il y a le plus de commerce. Elle est bornée au levant par la mer ; au midi par la province de Fo kien ; au septentrion, et au couchant par les provinces de Kiang nan et de Kiang si dont elle est environnée. On y compte onze fou ou villes du premier ordre, qui sont comme autant de provinces ; et 77 villes, tant du second, que du troisième ordre, sans compter un nombre infini de bourgs et de villages fort peuplés.

Tout le pays qui est mêlé de montagnes presque toutes cultivées, et de rases campagnes du moins aussi fertiles, est encore percé de rivières et de canaux creusés par la nature, ou par l’industrie des Chinois. Ces canaux sont larges, profonds, et revêtus de chaque côté de pierres de taille, avec des ponts de distance en distance, qui joignent les campagnes de part et d’autre ; de sorte qu’on peut voyager par eau et par terre dans toute la province. Les sources d’eau vive, et les lacs qui s’y trouvent, contribuent encore à sa fertilité.

Ses habitants sont d’un caractère fort doux ; ils ont beaucoup d’esprit et de politesse ; les étoffes de soie brodées d’or et d’argent, qu’ils fabriquent avec industrie, sont les meilleures qui se fassent dans toute la Chine, et à si bon marché, qu’un habit d’assez belle soie coûte moins, que ne coûterait en Europe un habit de laine la plus ordinaire. Aussi y voit-on quantité de champs remplis de mûriers nains, qu’on empêche de croître, et qu’on plante et taille à peu près comme les vignes. Une longue expérience a appris aux Chinois, que les feuilles des plus petits mûriers, produisent la meilleure soie.

On nourrit dans cette province une si grande quantité de vers à soie, qu’on peut dire qu’elle est en état de fournir presque elle seule à bon compte, des étoffes de toutes les sortes, au Japon, aux Philippines, et à l’Europe.

Tout ce qui est nécessaire à la vie, s’y trouve en abondance. Les montagnes qui sont au midi et au couchant, sont toutes cultivées : en d’autres endroits où elles sont semées de rochers, elles fournissent des bois pour la construction des vaisseaux et des édifices. C’est dans ses lacs qu’on trouve ce poisson doré, dont je fais ailleurs la description : elle fournit d’excellentes écrevisses, et en quantité. Il y croît en certains lieux une infinité de champignons, qu’on transporte dans tout l’empire. Après les avoir confits dans le sel, on les sèche, et on les garde toute l’année. Quand on veut en faire usage, il suffit de les tenir quelque temps trempés dans l’eau, pour les rendre aussi beaux et aussi frais, que si l’on venait de les cueillir.

C’est de cette même province que viennent les meilleurs jambons. On y trouve aussi cet arbre extraordinaire appelé ou kieou mou, qui porte le suif ; et de ces arbrisseaux qui produisent une fleur très blanche, laquelle ressemblerait au jasmin, si elle n’avait pas un plus grand nombre de feuilles, et si son odeur n’était pas plus agréable. Une seule de ces fleurs suffit pour parfumer toute une maison. Aussi les Chinois en font-ils tant de cas, que pour conserver ces petits arbrisseaux, ils apportent les mêmes précautions qui sont en usage en Europe, pour préserver les orangers de la rigueur de l’hiver.

Quoiqu’on trouve ailleurs le fruit appelé pe tçi, il est bien plus commun dans cette province : il y croît dans les eaux marécageuses, et est de la grosseur d’une châtaigne. Son noyau est couvert d’une peau fort mince ; la chair en est blanche, et est pleine d’un suc agréable ; elle est ferme, et un peu aigrette.

Il y en a qui prétendent, que si l’on met une monnaie de cuivre avec ce fruit dans la bouche, les dents peuvent la rompre aussi aisément que le fruit même ; c’est ce que le père Martini assure ; mais d’autres missionnaires en ont voulu faire l’expérience, et n’ont pu y réussir.

On trouve dans tout l’empire des cannes ou des roseaux, que les Portugais ont appelés bambous ; mais le Tche kiang en est plus fourni qu’aucune autre province. Il y en a des forêts entières. Ces bambous sont d’un usage infini à la Chine, ils sont très gros et très durs : bien qu’ils soient creux en dedans, et partagés de nœuds, ils sont très forts, et soutiennent les plus lourds fardeaux. Les feuilles en sont longues et repliées vers l’extrémité. Quelque durs qu’ils soient, on ne laisse pas de les couper aisément en filets très déliés, dont on fait des nattes, des boîtes, des peignes, etc. Comme ils sont percés naturellement, ils sont très propres à faire des tuyaux, pour conduire l’eau d’un lieu à un autre, ou pour servir aux lunettes d’approche, soit comme tuyau, soit comme étui, soit comme support.


Première ville et capitale de la province.
HANG TCHEOU FOU.


C’est une des plus riches et des plus grandes villes de l’empire : elle est surtout considérable par sa situation la plus avantageuse qu’on puisse désirer, par le nombre prodigieux de ses habitants, par la commodité de ses canaux, et par le commerce qu’elle fait des plus belles soies du monde.

A en croire le proverbe chinois, c’est le paradis de la terre. Elle est de figure presque ronde, et a quarante lis ou quatre lieues de circuit, sans y comprendre les faubourgs. Ces lis doivent être de trois cent soixante pas. Depuis la porte orientale jusqu’à la porte septentrionale, on compte dix lis, un de nos missionnaires en comptant les pas des porteurs de chaise, jugea aisément que le li avait cette mesure.

Pour ce qui est du nombre des habitants, il monte à plus d’un million d’âmes. Un bachelier chrétien assura un missionnaire qui y résidait, que dans le seul enclos de la ville, sans y comprendre les faubourgs qui sont immenses, les officiers qui lèvent la taille, avaient sur leurs rôles environ trois cent mille hou ou familles, san che ouan, c’est ainsi qu’il s’exprimait en chinois : san che ouan signifie trente fois dix mille.

Les murailles de Hang tcheou sont belles, fort hautes, et fort épaisses. L’eau des canaux de la ville n’est pas belle. Il y a sur les canaux des faubourgs une quantité prodigieuse de barques habitées par des familles entières. Les rues sont assez étroites, mais les boutiques sont propres, et les marchands y passent pour être très riches.

Ces rues sont embellies d’arcs de triomphe : on en trouve surtout dans les places de grand abord : ce sont autant de monuments élevés en l’honneur des mandarins, qui se sont distingués dans les fonctions de leurs charges, ou qui ont été élevés aux premières dignités de l’empire. On y voit aussi quatre grandes tours à plusieurs étages. Il y a sept mille hommes de garnison sous le tsiang kiun, ou général tartare ; et trois mille sous le fou yuen ou viceroi.

Quoiqu’il y ait de grands jardins dans la ville, et que les maisons n’aient qu’un étage, il est étonnant combien elle est peuplée : les grandes rues fourmillent de monde comme celles de Paris, avec cette différence qu’on n’y voit aucune femme. Les troupes tartares y ont une forteresse qui est séparée de la ville par une muraille. Le fleuve appelé Tçien tang kiang coule auprès de ses murs, et a en cet endroit une grande lieue de largeur.

On peut dire sans aucune exagération, que Hang tcheou est proprement le pays de la soie, parce que c’est là principalement qu’on la met en œuvre. On prétend qu’elle renferme environ soixante mille ouvriers dans son enceinte. Si cela est, il doit y en avoir plusieurs centaines




de mille dans les environs, et dans les lieux dépendants de Kia hing fou et de Hou tcheou fou puisqu’à peine trouve-t-on le moindre village, où l’on ne travaille à la soie.

Certains taffetas à fleurs et satinés, qu’on nomme lin tse ; et d’autres tout simples, mais serrés et unis, appelés lao fang se, qui se font dans cette ville, sont regardés comme les meilleurs qui se fassent dans tout l’empire, et sont extrêmement recherchés.

Mais ce qui rend cette ville délicieuse, c’est un petit lac nommé Si hou qui est tout proche, et qui a deux lieues de circuit : l’eau en est belle, claire comme du cristal, en sorte qu’on voit au fond les plus petites pierres : au bord où l’eau est basse, il est tout couvert de fleurs de lien hoa. On y a élevé sur des pilotis des salles ouvertes soutenues de colonnes, et pavées de grands quartiers de pierre pour la commodité de ceux qui veulent se promener à pied. On y a aussi construit des levées revêtues partout de pierres de taille, et dont les ouvertures qui servent de passage aux bateaux, sont jointes par des ponts assez bien travaillés.

Au milieu du lac sont deux petites îles, où l’on se rend d’ordinaire, après avoir pris le plaisir de la promenade sur des barques ; on y a bâti un temple et quelques maisons propres à se divertir. Les bords du lac sont d’ailleurs ornés de temples, de grands monastères de bonzes et d’assez jolies maisons, parmi lesquelles on voit un petit palais à l’usage de l’empereur : il y a logé, lorsqu’il voyageait dans les provinces méridionales.


KIA HING FOU. Seconde ville.


Tout ce pays est arrosé de lacs et de canaux, que l’industrie chinoise a creusés. La ville est grande, bien peuplée, et très marchande ; ses faubourgs sont d’une très grande étendue, et l’on voit quantité de beaux ponts sur ses canaux et sur ses fossés. Il n’y a point de maison où l’on ne nourrisse des vers à soie.

On a fait entrer dans la ville des canaux de tous côtés, dont les bords sont revêtus de belles pierres de taille ; il y a dans toutes les rues de beaux portiques sous lesquels on peut se promener à couvert de la pluie. On y voit beaucoup d’arcs de triomphe, et dans la ville, et au dehors. Il y a quinze tours de marbre sur les bords du canal, qui est au couchant de la ville, par où passent toutes les barques.

Le fruit nommé po tçi dont j’ai déjà parlé, croît partout dans des eaux croupies et marécageuses. En automne on prend de petits oiseaux qui se confisent dans du vin fait de riz, et qu’on vend toute l’année. On y pêche aussi de très bonnes écrevisses.

Aux environs de la ville de Hai yen hien qui est sur le bord de la mer, sont des salines dont l’on tire beaucoup de sel. De tous côtés on ne voit que manufactures de soie. Tout le pays est plat, et l’on n’y trouve aucune montagne. La juridiction de cette ville contient sept villes du troisième ordre.


HOU TCHEOU FOU. Troisième ville.


Le grand lac, sur le bord duquel cette ville est située, lui a donné le nom de Hou tcheou qu’elle porte, car hou signifie lac. C’est une des plus grandes et des plus considérables villes de la Chine, par ses richesses, par son commerce, par la fertilité de ses terres, et par la beauté de ses eaux et de ses montagnes.

La quantité d’étoffes de soie qu’on y travaille, est inconcevable. Le tribut que paie seulement en étoffes une des villes de sa dépendance, nommée Te tsin hien, monte à cinq cent mille taëls ou onces d’argent. C’est aussi l’endroit de la Chine où l’on fait les meilleurs pinceaux à écrire. La récolte des feuilles de thé y est très abondante. Elle a dans son ressort une ville du second ordre et six du troisième.


NING PO FOU. Quatrième ville.


Ning po, que les Européens ont appelé Liam po, est un très bon port sur la mer orientale de la Chine, vis-à-vis du Japon, et une ville du premier ordre, qui en a quatre autres du troisième sous sa juridiction. Elle est située au confluent de deux petites rivières, lesquelles après leur jonction, forment le canal qui conduit à la mer. Ce canal peut porter des sommes, ou vaisseaux chinois de deux cents tonneaux. Une de ces rivières, que les Chinois nomment Kin, vient du côté du midi : l’autre nommée Yao, vient de l’ouest nord-ouest.

Ces rivières arrosent une plaine entourée presque de tous côtés de montagnes, qui en sont une espèce de bassin ovale, dont le diamètre de l’orient à l’occident, en tirant une ligne au travers de la ville, peut être de dix à douze mille toises : la toise chinoise est, comme je l’ai dit, de dix pieds ; celui du midi au septentrion est beaucoup plus grand.

La plaine, qui ressemble à un jardin, tant elle est unie et bien cultivée, est remplie de villages et de hameaux. Elle est coupée d’un grand nombre de canaux, formés des eaux qui tombent des montagnes. Le canal, sur lequel est une partie du faubourg de l’orient, va jusqu’aux pieds des montagnes, et se partage en trois bras : il peut avoir cinq à six mille toises de long, sur environ six à sept de large.

Dans cette étendue de chemin on compte soixante-six canaux à droite et à gauche du canal principal, dont plusieurs sont plus larges que ce canal. La multitude de ces eaux ménagées avec art, rend cette plaine très fertile, et lui fait porter deux moissons de riz. Outre le riz, on y sème du coton et des légumes. On y voit un grand nombre de ces arbres qui portent le suif.

L’air y est presque partout pur et sain, et le pays agréable et découvert. La mer y fournit des poissons en abondance, toutes sortes de coquillages, et de bonnes écrevisses. Entr’autres au commencement de l’été, on y pêche des poissons qui se nomment hoang, c’est-à-dire, jaunes, qui sont fort recherchés à cause de leur bon goût, et de leur délicatesse ; mais comme ils ne peuvent se conserver longtemps hors de l’eau, on a soin de les mettre dans de la glace, et par ce moyen on les transporte dans tout l’empire.

Les murailles de Ning po ont 5.074 pas géométriques de tour. En la traversant depuis la porte occidentale, jusqu’à la porte orientale, dans une rue presque tirée au cordeau, on a compté 2.574 grands pas. Ses murailles sont bâties de pierres de taille, bien entretenues, et capables de résister à tout autre effort qu’à celui du canon.

On y entre par cinq portes, dont deux regardent l’orient, parce que le port est de ce côté-là ; sans parler de deux portes d’eau, comme les nomment les Chinois, qui sont de grandes arcades ouvertes dans la muraille, pour donner passage aux barques qui entrent ou qui sortent de la ville ; car elle est coupée de plusieurs canaux dans la partie qui est entre le midi et l’occident. Il n’y a pas un seul édifice qui mérite quelque attention. On y voit une tour à plusieurs étages bâtie de briques, et devant la porte de l’orient, la plus avancée vers le midi, un pont sur le Kin de seize barques plates, liées avec des chaînes de fer qui peut avoir quarante toises de long.

Ce qu’il y a de plus raisonnable en matière d’architecture, c’est ce que les Chinois appellent pai leou ou pai fan, et que nous appelons arcs de triomphe. Les rues, qui sont étroites, paraissent encore plus rétrécies par les auvents des boutiques, de sorte que deux de nos grands carrosses auraient peine à y passer. Cette ville fut pillée et saccagée durant les dernières guerres ; mais il y a quelques années qu’elle commence à se rétablir. Il y a une grosse garnison.

L’entrée de Ning po est difficile, surtout pour les grands vaisseaux, la barre n’ayant pas quinze pieds d’eau dans les plus grandes marées. En entrant dans la rivière, on laisse à gauche la ville de Tin hai hien, qui est de sa dépendance.

Cette ville, qui est un carré long de mille toises de circuit, est commandée par une citadelle bâtie sur un rocher fort élevé, au pied duquel il faut nécessairement que les vaisseaux passent à la demi-portée du pistolet. On y entre dans une seule marée par une fort belle rivière, large pour le moins de cent cinquante toises, profonde partout de sept à huit brasses, bordée de salines des deux côtés, avec des villages et des campagnes cultivées, que de hautes montagnes terminent à l’horizon.

Les marchands chinois de Siam et de Batavie, y viennent tous les ans pour y chercher des soies, qu’ils savent être les plus belles de l’empire : ceux de Fo kien et des autres provinces y abordent continuellement. Il s’y fait aussi un très grand commerce avec le Japon : Nangazaki n’en est éloigné que de deux journées. Les Chinois y portent des soies, des étoffes, du sucre, des drogues, et du vin ; et ils en rapportent du cuivre, de l’or, et de l’argent.

A dix-huit ou vingt lieues de Ning po dans la mer, est une île nommée Tcheou chan. Le port est très bon, mais peu commode pour le commerce. C’est où les Anglais abordèrent par hasard la première fois, n’ayant pu démêler ni trouver le chemin de Ning po parmi toutes les îles de cette côte.


CHAO HING FOU. Cinquième ville.


C’est dans une des plus belles plaines du monde que cette ville est située. Elle est toute percée de canaux, et il n’y a point de ville qui ressemble mieux à Venise, mais elle lui est préférable, en ce que l’eau qui remplit ses canaux est très claire et coulante.

De tous les environs on peut venir, entrer, et aller dans toute la ville en bateau. Il n’y a point de rue, où il n’y ait un canal, c’est pourquoi il y a quantité de ponts qui sont fort élevés, et presque tous d’une seule arche. Des deux côtés de chaque canal sont de grandes rues fort nettes, et pavées de grandes pierres de taille blanches, de la longueur pour la plupart de six à sept pieds. On y voit quantité d’arcs de triomphe assez propres. On lui donne au moins quatre lieues de circuit : c’est pour cela qu’elle est partagée en deux hien ou justices subalternes, qui ont leurs gouverneurs distingués, dont l’une s’appelle Chan in, et l’autre Quei ki.

Plusieurs maisons, ce qu’on ne voit guère dans les autres villes de la Chine, sont bâties de pierres de taille extrêmement blanches. Ces pierres se tirent d’une carrière presque inépuisable, qui est dans la montagne appelée Niao men chan, éloignée de deux heures de la ville. Les murs qui lui servent d’enceinte, sont entre deux fossés, l’un au dehors de la ville, et l’autre au dedans. Ces fossés sont remplis d’une eau aussi belle et aussi claire que celle des canaux.

Chao hing est en quelque sorte une ville de lettrés : ses habitants sont les plus redoutables de la Chine en fait de chicane. Comme il sont très versés dans la connaissance des lois, il n’y a point de viceroi, ni de grand mandarin, qui ne veuille avoir quelqu’un de cette ville pour lui servir de siang cong, ou de secrétaire. Elle compte dans son ressort huit villes du troisième ordre.

Le vin qu’on y fait en quantité, est très estimé, et se transporte dans tout l’empire. On voit à une demie lieue de la ville un tombeau, que les Chinois disent être du grand Yu, qui se fraya le chemin au trône, par le service qu’il rendit dès le commencement de la monarchie, en faisant couler dans la mer les eaux qui inondaient une partie de l’empire. A côté de ce tombeau, on a élevé un superbe édifice par les ordres du feu empereur Cang hi, qui la vingt-huitième année de son règne, alla marquer son respect à la mémoire de ce grand prince.

Il y a aussi près de là une montagne remarquable, qui s’appelle Heou chan, c’est-à-dire, Montagne du Singe, parce qu’elle en a un peu la figure ; c’est
un lieu de divertissement, où l’on va se régaler. On y voit un joli cabinet, où l’on sert le repas, au bas duquel il y a une pièce d’eau fort profonde, dans laquelle on entretient des poissons d’une grosseur extraordinaire. Ils paraissent sur l’eau, et de la fenêtre du salon on leur jette de petits pains, qu’ils avalent tout entiers.


TAI TCHEOU FOU. Sixième ville.


Cette ville qui en a six autres dans sa dépendance, est située sur le bord d’une rivière, et dans un pays tout couvert de montagnes. Quoiqu’elle soit beaucoup moins riche et moins considérable que les villes dont je viens de parler, le voisinage de la mer ne lui laisse rien manquer de ce qui lui est nécessaire.

Ce qu’elle a de singulier, c’est qu’on y pêche une espèce de raie dont la peau s’emploie à plusieurs usages, et surtout à faire des fourreaux de coutelas. Il s’en fait un grand commerce dans le pays, et l’on en transporte au Japon et dans tout l’empire.


KIN HOA FOU. Septième ville.


Cette ville est placée au cœur de la province, et sur le bord d’une assez belle rivière, dans laquelle plusieurs autres petites rivières se déchargent. Elle était autrefois fort vaste, et célèbre par la beauté de ses édifices : mais ses peuples qui sont belliqueux, ayant résisté longtemps à toute la puissance des Tartares qui envahirent la Chine, furent enfin subjugués. Une partie de la ville fut brûlée, on l’a rebâtie depuis, de même qu’un grand pont qui est à son couchant, et un autre pont de bateaux qui est proche de la ville de Lan ki hien, et qui est bien plus beau que celui qui avait été brûlé par les Tartares.

Kin hoa a huit villes du troisième ordre dans sa dépendance : elles sont situées partie dans des rases campagnes, partie dans des pays environnés de montagnes. Le riz y croît en abondance, et le vin qu’on en fait est estimé dans le pays.

On y fait un grand commerce de grosses prunes sèches, et de jambons qui sont fort estimés, qu’on envoie dans toutes les provinces de l’empire. On y trouve presque partout de ces petits arbrisseaux dont la fleur blanche ressemble au jasmin, et de ces arbres qui produisent le suif dont on fait des chandelles très blanches, qui ne s’attachent point aux mains, et qui ne jettent aucune mauvaise odeur lorsqu’on les éteint.


KIU TCHEOU FOU. Huitième ville.


La situation de cette ville est assez agréable : elle est bâtie sur une belle rivière, et entre-deux autres plus petites qui s’y déchargent. C’est la ville la plus méridionale de la province. Elle confine avec les provinces de Kiang si et de Fo kien : mais le chemin qui conduit dans cette dernière province, et qui est de trois journées, est très difficile à tenir à cause des montagnes qu’il faut nécessairement traverser.

Ce chemin commence aux environs de la ville de Kiang chan hien, où l’on est obligé de passer près de 30 lieues de montagnes, dont la montée et la descente sont assez raides. Il y en a une où l’on a fait un degré de plus de trois cents marches de pierre plate, lequel tourne à l’entour, afin de la monter plus aisément. Les voyageurs y trouvent de temps en temps des hôtelleries. Du reste ce pays n’a rien de bien remarquable. Kiu tcheou compte dans sa dépendance cinq villes du troisième ordre.


YEN TCHEOU FOU, ou NIEN TCHEOU FOU. Neuvième ville.


Quoique cette ville soit sur les bords d’une rivière qui coule auprès de ses murs, et assez près d’une autre dans laquelle elle se jette, et qui porte d’assez grandes barques, elle n’est pas pourtant comparable aux autres villes de la province pour la grandeur, le nombre, et la richesse de leurs habitants. Les collines et les montagnes dont son terroir est rempli, le rendent très inégal.

On y trouve des mines de cuivre, et des arbres qui distillent le vernis, lequel donne le prix aux coffres et aux cabinets dont on les couvre, et qui les font si fort estimer en Europe. Quand ce vernis est une fois sec, il ne se fond jamais, et il souffre les liqueurs les plus brûlantes. Le papier qu’on y fabrique, est également estimé, et il s’en fait un très grand débit. Six villes du troisième ordre sont de son ressort.


OUEN TCHEOU FOU. Dixième ville.


La situation de cette ville bâtie dans un terrain marécageux fort près de la mer, et la beauté de ses édifices lui ont fait donner le nom de petite Hang tcheou. Le flux et le reflux de la mer monte jusqu’à ses murailles, où l’on voit un grand nombre de barques et de sommes chinoises qui y trouvent un havre sûr et commode.

Tout le pays est mêlé de campagnes très fertiles, et de montagnes, dont quelques-unes sont affreuses, surtout celles qui sont dans le voisinage de la province de Fo kien. Elle a sous sa juridiction cinq villes du troisième ordre.


TCHU TCHEOU FOU. Onzième ville.


Tout ce pays est environné de vastes montagnes : les vallées sont abondantes, et le riz y est à très bon compte, par la difficulté qu’il y a de le transporter ailleurs. La ville est située sur le bord d’une belle rivière qui est navigable jusqu’à la mer. Les montagnes sont couvertes de beaux arbres, et entr’autres de pins d’une grosseur extraordinaire. Il y en a, à ce qu’on assure, qui contiendraient plus de trente hommes dans la cavité de leur tronc. On s’en sert pour la construction des maisons et des vaisseaux chinois.

Les ruisseaux sont bordés de forêts entières de roseaux ou de cannes, que les Européens ont nommé bambous ; il y en a de la hauteur de plus de trente pieds ; les plus petits n’ont pas moins de dix pieds. Si l’on brûle ces cannes encore vertes et nouvellement coupées, il en sort une eau que les médecins regardent comme très salutaire, et qu’ils font boire à ceux qui ont le sang caillé par quelque coup ou par quelque chute : ils prétendent que cette eau a la vertu de chasser ce mauvais sang du corps. Dix villes du troisième ordre sont de la dépendance de Tchu tcheou.